Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, être jeune dans la société française est devenu un problème, tant pour celui qui ne possède aucune qualification que pour celui qui a fait le choix de poursuivre des études à l’université, faute de débouchés professionnels avérés.
Pourtant, une filière permet à l’élève ou à l’étudiant de bénéficier tout à la fois des enseignements d’une scolarité dite « classique » et d’une véritable formation professionnelle en entreprise. Je veux bien sûr parler de l’apprentissage.
Mes chers collègues, lorsque l’on parle des conditions de la réussite scolaire, de quoi s’agit-il ? Bien évidemment de fournir à nos enfants la formation qui leur permettra de s’épanouir et d’arriver armés sur le marché du travail. Mais je me demande toujours pour quelle raison l’on s’obstine à vouloir absolument que nos enfants soient bacheliers s’ils ne sont pas faits pour le devenir.
Au pays de Pascal et de Descartes, il était de tradition de placer le savoir abstrait au-dessus du savoir concret, de choyer le lettré, l’intellectuel, l’étudiant et de traiter avec condescendance, voire avec une certaine forme de mépris, l’artisan ou l’apprenti.
Nous savons tous combien cette hiérarchie implicite des savoirs marque depuis longtemps notre système éducatif et influence les élèves et leurs familles, notamment au moment de l’orientation professionnelle. Les options du lycée professionnel, de l’apprentissage, de la formation en alternance sont encore trop souvent ressenties comme des choix par défaut réservés à ceux qui n’auraient pas les moyens intellectuels de poursuivre leur formation dans des filières académiques.
C’est oublier l’importance de la qualification pour les artisans, qu’ils travaillent dans le bâtiment, la coiffure ou les métiers de bouche. C’est oublier également que l’apprentissage est le meilleur moyen de susciter des vocations et de transmettre un savoir-faire.
Je tiens en cet instant à saluer tous les artisans qui forment des apprentis. Très souvent, ils se transforment le soir en maître d’école. Remarquons que certains métiers requièrent encore plus que d’autres une culture du savoir-faire. Je prendrai l’exemple du pâtissier. S’il est incapable de définir la quantité de sucre, de crème ou de beurre nécessaire à la confection de son gâteau, il le ratera.
C’est oublier enfin que l’apprentissage est une arme efficace contre le chômage des jeunes et une qualification très recherchée par les entreprises. En effet, les jeunes ayant suivi la voie de l’apprentissage obtiennent plus facilement un emploi en CDI et peuvent prétendre plus rapidement à des hausses de salaire. À l’issue de leur formation, 79 % d’entre eux trouvent un premier emploi dans les trois mois et 90 % dans les six mois. Ils sont 50 % à avoir signé un CDI à la sortie de l’apprentissage, et près d’une fois sur deux ils commencent leur carrière au sein de l’entreprise qui les a formés.
Enfin, il est un volet rarement évoqué : la dynamique entrepreneuriale de celles et ceux qui sont passés par ces filières. On estime à environ 40 %, tous secteurs confondus, le nombre d’apprentis qui, au sortir de leur formation ou à terme, deviendront chefs d’entreprises.
Dès lors, ne vaut-il pas la peine de tenter la voie de l’apprentissage plutôt que celle de la formation générale et théorique ?
Pourtant, cette formation en alternance qu’est l’apprentissage continue d’éprouver de grosses difficultés à trouver sa place dans le système éducatif français.
Tournons-nous vers l’Allemagne, notre voisine : deux tiers des jeunes y sont formés par l’alternance, contre un tiers en France. Comment combler notre retard ?
Le modèle allemand est plus efficace que le nôtre pour au moins quatre raisons.
Tout d'abord, les parents disent souvent à leurs enfants : « Obtiens une qualification, suis une formation et tu reprendras tes études plus tard ». Nous avons des difficultés à développer cette culture.
Ensuite, en Allemagne, la question de l’orientation des jeunes est abordée très tôt. Dans ces conditions, l’apprentissage relève d’un choix individuel assumé, non d’une solution de rechange, d’un pis-aller après une succession d’échecs scolaires.
Le troisième élément fort de l’apprentissage en Allemagne est lié à son mode d’organisation. Depuis toujours, ce sont les entreprises elles-mêmes qui pilotent le système de formation professionnelle, en adéquation avec leurs nécessités, ce qui permet une évaluation fine des besoins sur le territoire national.
Enfin, nos amis allemands s’appuient sur une coordination forte entre les différents bassins d’emploi.
Pendant le mandat de Nicolas Sarkozy, le Gouvernement, pleinement conscient des enjeux en la matière, avait affiché un objectif de bon sens : un jeune sur cinq formé par l’alternance à l’horizon de 2015. Pour ma part, je suis intervenu à plusieurs reprises, notamment en 2011 lors de notre débat sur l’apprentissage, pour réclamer une nécessaire égalité de traitement entre les apprentis et les étudiants. Il s’agit là d’une forme de reconnaissance indispensable à ces formations.
Monsieur le ministre, dans un contexte économique contraint, il est urgent de poursuivre en ce sens. Nous ne pouvons qu’encourager les jeunes à s’engager dans cette voie d’excellence, faire partager le succès de celles et ceux qui réussissent par l’apprentissage, rendre leurs lettres de noblesse aux métiers qui recrutent mais qui ne séduisent plus les jeunes.
L’alternance, j’en suis sûr, est une formule gagnante pour tous. §