Madame la présidente, madame la présidente de la commission, mesdames les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à vous remercier très chaleureusement pour la qualité de vos interventions.
Ce débat intervient à un moment particulier. En effet, vendredi prochain, les membres de la concertation « Refondons l’école de la République » remettront leur rapport après plusieurs mois de travaux. Ensuite, mardi 9 octobre, le Président de la République réaffirmera l’éducation comme l’une de ses priorités et définira, sur la base dudit rapport, les choix que le Gouvernement devra suivre. Jeudi 11 octobre, je réunirai le Conseil supérieur de l’éducation pour exposer les premiers arbitrages qui en découleront. Enfin, à la fin du mois d’octobre, après avoir consulté une nouvelle fois les partenaires concernés, nous présenterons un projet de loi.
Pour toutes ces raisons, ce débat revêt une importance toute particulière pour moi et il m’a été particulièrement agréable de vous écouter. Ma conviction profonde est que les Français peuvent se rassembler autour de l’école s’ils mesurent l’ambition juste que nous devons partager.
Madame la présidente de la commission, vous avez évoqué un certain nombre de points dans votre intervention liminaire. Je partage l’idée selon laquelle tradition et modernité ne s’opposent pas. C’est l’idée même de la refondation républicaine, qui est un retour au fondement de la République, non pas pour refaire la République du XIXe siècle, mais pour y puiser un exemple instaurateur de ce que peut être la République du XXIe siècle.
La République, c’est notre histoire. On voit les difficultés qu’elle peut avoir au présent, dans son cheminement. Elle doit être notre avenir. La France n’a pas de religion civile, et elle ne peut pas toujours se comparer à ses voisins. L’école, ce sont évidemment des bâtiments, des circulaires ministérielles, des programmes éducatifs, mais c’est aussi l’esprit d’un peuple, des habitudes très profondes, ce que Condorcet appelait « l’esprit public ».
Il s’avère que, depuis la Révolution française, la France s’est construite avec l’école et autour d’elle. Chaque fois que l’école française a été attaquée, c’est la République tout entière qui a été blessée. Inversement, lorsque la République a été attaquée – et elle l’a été au cours de notre histoire ! –, l’école était atteinte en tout premier lieu.
Ce que nous recherchons dans la tradition, ce n’est pas la répétition du même, c’est la vitalité de ce qui a permis d’instituer et de provoquer la novation. Nous avons un effort considérable à accomplir les uns avec les autres. Les élèves ont changé, le monde a changé, les écoles supérieures du professorat et de l’éducation ne seront ni des écoles normales ni des instituts universitaires de formation des maîtres. Il nous faut puiser dans ces principes et dans l’inspiration ancienne la force d’aborder notre avenir.
De ce point de vue, nous ne sommes pas soumis à la dictature du présent, à l’accélération du temps. Faire de l’école l’une des priorités de ce quinquennat, c’est faire le choix de réconcilier l’action publique avec le temps long, avec la logique de l’efficacité. Faire le choix de l’école – et vous avez évoqué, madame la présidente de la commission, le discours prononcé par le Président de la République au pied de la statue de Jules Ferry – c’est aussi faire le choix de revenir à la raison contre l’émotion.
De ce point de vue, notre action ne pourra être jugée à l’aune des résultats des enquêtes PISA qui interviendront dans trois ans. Celles-ci évalueront en effet les élèves des collèges qui ont eu à supporter, au cours de ces dernières années, la disparition de la formation des enseignants, la fin de l’accueil des petits, la suppression de postes…
Nous savons que nous entamons une action longue. Le vrai temps de l’action publique, celui qui exprime l’amour de son pays et de la confiance en son avenir, suppose parfois d’enjamber le temps médiatique, voire peut-être le temps politique. Car, souvenez-vous en toujours, l’école, c’est la France de demain !
L’action que nous menons est notamment intéressante quand il s’agit de réfléchir à la formation des enseignants de demain ; vous avez d’ailleurs, vous aussi, exposé à cette tribune les fruits de votre réflexion. Vous l’avez souligné, évoquant la spécificité des écoles maternelles : former ces enseignants qui devront accueillir dans les classes de maternelle des enfants âgés de trois ans, c’est former ceux qui vont instruire, éduquer et former à leur tour les citoyens français du XXIIe siècle.
Ce sera à nous, dans notre pays qui a fait tous les mauvais choix – on le voit avec le débat budgétaire et avec celui sur l’école ! –, sacrifiant toujours son avenir au présent, sa jeunesse aux anciens, d’avoir la capacité d’en finir avec la crise de l’avenir qui nous mine et qui est au fond du pessimisme français.
C’est pour suivre ce mouvement de pensée que François Hollande a choisi de faire de la jeunesse et de l’école ses priorités, exprimant la volonté de dénouer la crise de l’avenir que connaît notre pays. Il s’est engagé à aborder le siècle qui s’ouvre dans la compétitivité internationale en faisant prévaloir avec force nos valeurs.
Dans cette logique, je l’ai dit très tôt lors de la campagne présidentielle – et le Président de la République le redira encore ! –, l’école a beaucoup souffert de la « réformite ». Quant à nous, madame la présidente de la commission, nous ne ferons pas une simple réforme de structure. Il y en a eu tant – et, à cet égard, vous avez cité l’éducation prioritaire –, que l’on s’y perd et que l’on ne comprend plus rien à la multitude de sigles qui existent.
Les réformes de structure, qui seront d’ailleurs portées par la loi, devront engager, comme je l’ai souligné précédemment, des réformes d’esprit et de pédagogie susceptibles de modifier le rapport que nous avons avec l’acte d’instruire.
Nous voulons une France de la confiance. Or nous avons une école de la défiance. À lire quelques ouvrages récents, je constate que tout le monde s’accorde à reconnaître, au-delà des clivages politiques, que nous devons passer de cette défiance à la confiance, de la compétition généralisée à la coopération entre les uns et les autres.
Il faut comprendre – et je n’ai de cesse de le dire ! – que l’éducation est aujourd'hui une coéducation. L’école n’est la propriété ni des professeurs ni de l’éducation nationale ; elle appartient à tous les Français.
Aujourd'hui, les dépenses d’investissement dans l’éducation – la gauche a voulu la décentralisation et elle la veut encore ! – sont supportées à concurrence de 25 % par les collectivités locales. Il faut donc que celles-ci soient pleinement associées – et pas seulement lorsqu’il s’agit de faire le chèque ! – à la définition des politiques éducatives. Collectivités locales, mouvements d’éducation populaire, fédérations des parents d’élèves bien entendu, mais aussi les élèves eux-mêmes, dont le profil a changé, certains ayant accès à une autonomie qui doit être respectée, tous doivent participer à ce mouvement de refondation de notre école.
Permettez-moi maintenant d’apporter quelques éléments de réponse, de réflexion, voire, tout simplement, d’information, sur les sujets plus particuliers que vous avez abordés.
Madame Cartron, la qualité du travail du Sénat a été saluée par tous les membres de la concertation. D’ailleurs, certaines des préconisations incroyablement audacieuses qui étaient les vôtres sont en passe d’être reprises. C’est d’autant plus frappant qu’elles le sont par des personnalités, des associations, des acteurs venant d’horizons très divers.
D’abord, le diagnostic est juste. Le débat de 2007 sur la carte scolaire était un faux débat et une absurdité. Votre rapport ainsi que d’autres études ont montré que l’assouplissement de la carte scolaire n’a fait qu’aggraver la situation de certains collèges et territoires en grande difficulté.
Nous savons tous que le retour à la situation antérieure n’est pas non plus une solution. En outre, il est difficile de dissocier la question de la carte scolaire de celle de l’éducation prioritaire. Si on le fait, on passera à côté de l’essentiel.
Vous avez, les uns et les autres, établi les mêmes constats à cette tribune, et ce au-delà des clivages politiques : accroissement des inégalités, poids des déterminismes sociaux sur les destins scolaires. Vous avez, en outre, observé une aggravation de la situation au cours des dernières années. Tout cela, ce n’est pas la République !
Si nous faisons le choix, ou plutôt si nous refaisons le choix de la République – c’est l’idée même de refondation de la République –, il nous faudra être courageux et ambitieux sur la question de la mixité scolaire et sociale.
Vous avez eu raison de souligner que la mixité scolaire et sociale était un facteur de réussite ; les études le montrent. J’ajoute qu’une production trop malthusienne de nos élites s’accompagne d’un accroissement du nombre d’élèves qui décrochent. Or beaucoup de pays parviennent à la fois à produire des élites en nombre suffisant et à restreindre le nombre de « décrocheurs ».
Opposer les bons aux moyens et aux mauvais, c’est notre spécialité. Mais c’est inopérant ! L’un d’entre vous l’a souligné avec beaucoup de cœur, c’est évidemment un gâchis humain, social et économique !
Nous laissons 150 000 « décrocheurs » sur le bord de la route, ou plutôt nous les produisons nous-mêmes. On repère très bien les jeunes en difficulté dans les cohortes. Et il y en a, en France, des instances d’évaluation : en grande section de maternelle, en CP, en CE1… La difficulté devient un échec et le redoublement en rajoute. Des mécanismes destinés à apporter une prétendue aide ont été créés, mais ils ne font qu’aggraver les difficultés. En effet, l’aide proposée est apportée en dehors du temps scolaire et stigmatise les élèves. Toutes les études le prouvent, et cela a été rappelé à plusieurs reprises. Puis vient l’orientation, négative et discriminante.
Toutefois, la coupe n’est pas encore assez pleine !
Si l’élève a réussi à obtenir un baccalauréat professionnel ou s’il a été traîné jusqu’à ce niveau et qu’il veut s’inscrire dans une école préparant un BTS ou dans un institut universitaire de technologie, il se verra refuser la place au profit d’un titulaire du baccalauréat scientifique. Il sera donc obligé d’aller à l’université. Belle université, qui connaît un échec massif du premier cycle !
La loi remédiera à cette situation, car l’échec, nous le produisons nous-mêmes.
Il nous faudra donc prendre la décision d’assurer cette mixité sociale et scolaire, car celle-ci ne peut être que volontaire, par le réaménagement de la carte scolaire.
Comme je l’ai indiqué précédemment, je souhaite que les collectivités locales soient associées – cela n’a jamais été le cas ! – aux projets pédagogiques et aux contrats d’objectifs qui existent déjà. Il nous faudra toutefois être ambitieux sur ces objectifs de mixité sociale et scolaire que nous nous fixons. Si cela doit aboutir à l’émergence d’une nouvelle territorialisation, nous devrons affecter aux établissements scolaires des moyens, non pas en fonction d’un certain nombre de labels qui se sont superposés au cours des années, entraînant un effet d’éviction, mais en fonction de la politique que nous définirons en matière de mixité. Nous modulerons ainsi les dotations en fonction de la mixité sociale et scolaire.
Par pitié, ne faisons pas la même erreur que le candidat à l’élection présidentielle de 2007, qui l’avait emporté en dénonçant l’hypocrisie républicaine entre les discours et les actes ! Nous avons vu le résultat en 2012 ! Si nous pensons que l’égalité et la justice sont au cœur du projet éducatif français – ce que vous n’avez cessé de dire – donnons-nous réellement les moyens de mettre en œuvre les mesures qui vont y concourir !
À travers vous, madame la rapporteur, je remercie le Sénat pour sa précision et son audace, faisant ainsi mentir sa réputation !