La semaine prochaine, vous verrez que vos préconisations ont été suivies.
Madame Gonthier-Maurin, vous avez une vision très négative de la situation. Je le sais, votre amour de ce métier et l’attachement que vous portez aux enseignants vous conduisent à dénoncer les difficultés que ces derniers ont rencontrées au cours des dernières années. Cela dit, vous avez raison, il faut faire évoluer le métier d’enseignant. D’ailleurs, comme vous l’avez fort bien souligné, il a déjà évolué.
Le travail en équipe, le travail par projet, le travail interdisciplinaire, la prise en charge des relations avec les parents et avec les collectivités territoriales et l’utilisation de l’e–éducation sont autant de pratiques qui se développent, même si ces évolutions sont parfois mal mesurées au niveau national.
Il faudra sans doute en tirer les conséquences dans la formation des enseignants – madame Brigitte Gonthier-Maurin, vous avez traité ce sujet avec beaucoup de précision –, mais aussi dans la définition même du métier.
Le concours de recrutement sera-t-il organisé à la fin de l’année de L3 ? Je ne le sais pas encore, même si j’ai une petite idée sur la question, car il me semble que cette mesure contrarierait beaucoup les enseignants, qui sont malgré tout attachés à la réforme de la mastérisation.
Nous avons un problème de finances publiques et, comme je ne cesse de le répéter aux personnels de mon ministère, l’éducation nationale a la responsabilité, parce qu’elle bénéficie d’une priorité budgétaire dans la période que nous connaissons, de bien utiliser l’argent qui lui est accordé. Il faut, tout de même, un peu d’exigence intellectuelle !
L’annonce de l’ouverture d’un deuxième concours pour permettre le remplacement des départs à la retraite en 2014 a surpris et suscité des cris d’orfraie. Pensez-donc : 43 000 recrutements ! Ces belles intelligences ont simplement confondu les recrutements et les postes…
À la vérité, nous allons créer 8 700 postes supplémentaires, dont 8 200 postes d’enseignants, le reste étant des postes administratifs, en plus du renouvellement des départs à la retraite. Au total, plus de 21 000 nouveaux enseignants seront recrutés, ce qui représente un effort considérable.
Les nouveaux enseignants recrutés en juin 2013, qui suivront une année de formation et commenceront vraiment à travailler au début de l’année 2014, seront payés à mi-temps, contrairement à ce qui a été dit à cette tribune, mais ils n’assureront qu’un tiers temps, c’est-à-dire six heures sur le terrain.
S’ils devaient suivre deux années complètes de formation, vous imaginez combien de postes cela consommerait ! Dans cette hypothèse, nous n’aurions plus aucun moyen à consacrer aux autres actions. Je pense aux réformes pédagogiques et à la santé scolaire, dont il a été dit qu’elle est en difficulté. Je pense aussi à l’encadrement des adultes, à la lutte contre la violence, qui est un problème majeur, pour lequel nous venons de créer un nouveau métier, et, bien entendu, à l’accompagnement des enfants en situation de handicap.
Comme je l’ai dit aussi aux universitaires participant à la concertation, nous devons toujours veiller à accompagner nos propositions d’un examen de faisabilité et à ne pas soutenir des positions contradictoires.
En l’occurrence, si l’on voulait que la formation soit plus longue, il faudrait recruter plusieurs centaines de milliers d’enseignants dès cette année et les années suivantes. Certes, dans un monde idéal, il pourrait être souhaitable de le faire. Mais alors il faudrait ajouter quelques milliards d’euros à un budget de 63 milliards d’euros, qui augmentera déjà de 0, 6 % en 2013 et de 2, 5 % sur trois ans, hors pensions. Je ne crois pas que ce serait raisonnable.
La formation que nous prévoyons sera un instrument efficace de redressement et de recrutement, parce qu’elle aura lieu en alternance et que nous mettrons en place, dès l’année de L2, un pré-recrutement ciblé sur les disciplines déficitaires.
Ceux qui se sont inquiétés des viviers commettent la même erreur qu’à propos du nombre de postes. Et c’est toujours le pessimisme français…
En vérité, ce sont les conditions invraisemblables faites aux nouveaux enseignants qui ont découragé les jeunes de choisir ce métier : tout était fait pour les en dégoûter. Mais, dès que se profile un changement d’orientation, ô surprise ! les jeunes gens et jeunes filles, comme nous autrefois, attachés aux valeurs de ce beau métier, ont de nouveau envie de l’exercer.
Notez que je ne parle pas seulement d’un changement dans le discours tenu – encore que cela compte – sur la transmission des connaissances, le respect dû au professeur. Je parle aussi de nouvelles pratiques : veiller à ne pas affecter les jeunes enseignants dans les établissements les plus difficiles, ne pas les envoyer immédiatement sur le terrain, sans aucune formation, peut-être même leur donner quelques émoluments supplémentaires.
S’agissant de ce dernier point, si l’on compare la manière dont les générations précédentes et nous-mêmes avons été traités et la manière dont nous traitons notre jeunesse, l’écart est invraisemblable ! Nous devons donner à ces jeunes les moyens de poursuivre convenablement leurs études.
Nous avons donc 100 000 inscrits pour le concours qui a lieu en ce moment, destiné à recruter les 21 000 enseignants dont j’ai parlé. Et, croyez-moi, ils seront beaucoup plus nombreux au concours du mois de juin !
Non seulement parce que ce deuxième concours sera organisé en année de M1, où le vivier est plus large, et qu’il y a une crise de l’emploi, mais aussi parce que les jeunes qui s’inscriront à ce concours sauront que, l’année suivante, ils auront six heures de cours à assurer, et non pas dix-huit, qu’ils percevront un traitement et qu’ils seront accompagnés dans des écoles supérieures du professorat et de l’éducation.
Ils pourront ainsi construire leur identité professionnelle qui, chez les enseignants, repose toujours sur une seule ambition : la réussite de leurs élèves et, par là, le service de leur pays.
Mesdames, messieurs les sénateurs, de ce point de vue, comprenez qu’un mouvement se crée. Et vous qui êtes mieux informés et plus réfléchis, ne confondez pas recrutements et postes ; lorsqu’on parle des viviers, considérez les chiffres au lieu de colporter le discours des médias !
Les viviers sont au rendez-vous et, pour le concours qui est en cours, il y a cinq inscrits pour un poste. Je ne dis pas que, dans certaines disciplines, nous ne rencontrerons pas des difficultés à moyen et à long terme. Mais, si nous avons choisi le modèle des emplois d’avenir, c’est précisément parce que nous avons décidé de cibler notre action, par académies et par disciplines, afin d’élargir le vivier.
Certains, bien sûr, souhaiteront que cette politique s’applique partout. Je leur réponds par avance : non ! Nous avons besoin de mathématiciens et d’anglicistes, et certains départements sont plus sinistrés que d’autres. Il faut donc porter nos efforts là où il y a des besoins particuliers.
Ceux qui ont rappelé que le tronc commun est la clé du succès ont eu raison. Il ne faut pas d’orientation précoce et ce serait merveilleux si l’apprentissage, que d’ailleurs nous allons développer sous statut scolaire, avait toutes les vertus dont certains orateurs l’ont paré.
À la vérité, la question des filières professionnelles et de l’apprentissage soulève fondamentalement, dans notre pays, le problème du système d’orientation, que nous devons absolument refonder.
Pour cela, je crois beaucoup en une meilleure collaboration avec les collectivités territoriales, en particulier avec les régions. Je pense aussi que le parcours d’orientation doit être construit depuis la sixième jusqu’à l’université.
Nous devons essayer de mutualiser tous les dispositifs d’information qui existent et tous les niveaux d’intervention. Nous devons également mieux faire connaître les entreprises à nos élèves et faire en sorte que l’éducation nationale et le monde économique se comprennent et se rapprochent.
J’ai relu récemment des discours anciens et je me suis aperçu qu’au fond on méconnaissait très souvent la doctrine républicaine, la doctrine libérale, comme d’ailleurs la laïcité.
Notre mission est évidemment de faire des citoyens et d’émanciper des personnes. C’est notre conception, libre à l’égard de tous les pouvoirs et même à l’égard de l’État. C’est notre tradition des droits de l’homme.
Mais notre mission est aussi de favoriser l’insertion professionnelle des jeunes. Comment combattre l’ignorance si l’on ne combat pas l’indigence ?
Notre génération, qui n’a pas connu les mêmes difficultés, aurait beau jeu de dire à la jeunesse : nous allons faire de vous des citoyens, vous émanciper, mais vous irez percevoir des revenus minimums et mendier dans la précarité.
L’exigence de l’emploi est donc au cœur du projet de citoyenneté et d’émancipation ; notre mission est d’y répondre.
Or, comme vous le savez, il y aurait 600 000 offres d’emploi non pourvues dans les entreprises, et, depuis la rentrée, 40 000 places ne sont pas pourvues dans les lycées professionnels. En outre, le Conseil d’analyse économique prévoit que, d’ici à 2020, 6 millions d’emplois devront être renouvelés et 1, 5 million d’emplois devront être créés.
De vives tensions sont à venir dans un certain nombre de secteurs comme les industries de bouche ou l’hôtellerie-restauration, qui ont de formidables difficultés à recruter, mais aussi le numérique et les nouvelles technologies.
C’est ainsi que nous manquons d’ingénieurs. Certaines de nos filles, qui ont de très bons résultats scolaires, sont ensuite désorientées, déprogrammées ; même l’Espagne fait mieux que nous dans ce domaine.
Il est essentiel qu’un lien existe entre l’investissement éducatif et le redressement productif. J’observe d’ailleurs qu’on prime de nombreux ouvrages d’économistes savants qui expliquent les vertus de cette association.
Un grand pays moderne est un pays qui fait progresser le niveau de qualification de toute sa jeunesse. C’est pour nous un objectif absolument central.
Certains orateurs ont très justement soulevé la question des rythmes scolaires. Quelques-uns ont été conduits à soutenir des gens qui ont fait exactement le contraire de ce qu’eux-mêmes, à cette tribune, ont considéré comme étant de l’intérêt du pays ; mais ce sont les vicissitudes de la politique, et je les ai connues moi aussi…