Dans notre cas, nous avons dû attendre autour de trois semaines pour que la désignation des membres intervienne, ce qui présente les inconvénients que chacun comprend tout seul.
Ces questions de délais se retrouvent d’ailleurs au terme des travaux des commissions d’enquête. Chaque membre de la commission a disposé d’une semaine en fin de parcours pour consulter le projet de rapport. Certes, c’est dans les règles, mais une semaine est un temps vraiment trop court pour s’approprier pleinement un document si important !
Il est bien possible qu’une partie de ces difficultés doive être attribuée à la complexité du sujet proposé aux travaux de la commission d’enquête.
Tout d’abord, complexité technique des problèmes que pose l’évasion fiscale internationale, qui engage des techniques aussi variées que le droit comptable, le droit financier, le droit des sociétés, toutes au confluent des questions fiscales au cœur du sujet.
Ensuite, complexité des analyses financières et économiques en jeu, sur lesquelles la littérature disponible est souvent bien évasive.
Enfin, complexité due à l’ampleur des questions qui étaient soulevées dans la proposition de résolution fondatrice et qui, il faut bien le reconnaître, n’avaient peut-être pas toutes les caractéristiques que l’on peut attendre des faits soumis aux investigations d’une commission d’enquête, en particulier sous l’angle de leur détermination.
Autrement dit, le champ ouvert aux travaux de la commission était si vaste que, chacun le comprendra, quelques choix ont dû être faits pour répondre aussi bien que possible à la mission qui lui avait été confiée. Peut-être sera-t-il raisonnable, à l’avenir, de circonscrire davantage les questions posées ou alors de recourir à des structures disposant de davantage de temps. Il est vrai que nos missions d’information n’ont pas les mêmes prérogatives que celles des commissions d’enquête...
Sur ce point, je dois témoigner que la solennité des procédures représente un atout, mais que, pour autant, les sanctions dont disposent nos commissions d’enquête ne sont pas également adaptées à leur pratique.
Par ailleurs, il serait justifié de réfléchir à l’attribution des dispositions les plus utiles aux commissions d’enquête que sont le témoignage sous serment et les droits d’accès aux informations nécessaires à d’autres instances. Le renforcement du rôle du Parlement y gagnerait sans doute.
Pardonnez-moi ces propos institutionnels un peu généraux, mais l’amélioration de notre gouvernance publique est un chantier de longue haleine et, si nous avons fait un très grand pas en 2008 sur l’initiative du président Sarkozy, rien ne nous empêche d’améliorer encore ce qui peut l’être.
Permettez-moi aussi de vous indiquer que les travaux d’une commission d’enquête doivent être situés dans son environnement, ce qui est un défi permanent pour son président. Il ne doit jamais oublier que la commission d’enquête s’arrête là où la justice pénale intervient. Dans le temps de notre mission, des instructions judiciaires ont pu être ouvertes sur tel ou tel dossier que nous avons été conduits à envisager. Nous nous sommes adaptés au rythme de la vie judiciaire, mais il faut bien reconnaître que la Chancellerie ne nous a pas systématiquement informés des initiatives des magistrats.
Par ailleurs, les commissions d’enquête interviennent dans des champs où existent des organes de supervision éventuellement dotés de pouvoirs de sanction. Il est naturel que ceux-ci soient informés quand une commission d’enquête vient à se voir signaler des infractions avant même que le rapport ne soit rendu ou dans le cadre de la publication du rapport. La durée de vie limitée des commissions d’enquête pose un problème de suite, que nous avons pu rencontrer dans quelques cas et qu’il nous faudra résoudre.
Pour conclure sur ce retour d’expérience, je voudrais encore ajouter deux observations.
En premier lieu, il me semble que les informations demandées aux entreprises ont généralement été fournies par celles-ci dans des conditions acceptables, tandis que pour les administrations sollicitées, les retours ont été sensiblement plus incertains.
Je dois même indiquer que certaines informations ne sont jamais parvenues malgré le changement de gouvernement.
Un temps, nous avons eu la chance de compter parmi les membres de la commission d’enquête Mme Bricq, qui réclamait à juste titre que le rapport sur le contrôle fiscal des filiales françaises détenues à l’étranger, qui ne lui avait pas été remis alors qu’elle était rapporteur général, soit transmis à la commission d’enquête.
Il ne l’a jamais été et le président de la commission d’enquête s’associe de tout cœur, monsieur le ministre, à l’expression du mécontentement de notre ancienne rapporteur général.
En second lieu, je voudrais relayer une préoccupation unanime des membres de la commission d’enquête en formulant le souhait que nous puissions accorder au sujet dont nous nous sommes saisis une attention soutenue dans le temps.
Notre commission a beaucoup travaillé – j’y reviendrai –, mais il était hors de notre portée d’apprécier la totalité des éléments de la cause, si je puis dire. Or, comme nous sommes vraiment au cœur d’une affaire de principe, la force de la loi fiscale et du consentement à l’impôt, mais aussi d’une question fondamentale pour notre devenir économique et financier, la commission d’enquête a exprimé la volonté que, sous une forme à définir, le Sénat puisse continuer d’exercer sa mission de contrôle et d’évaluation sur un sujet si essentiel.