Intervention de Philippe Dominati

Réunion du 3 octobre 2012 à 14h30
Débat sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de france et ses incidences fiscales

Photo de Philippe DominatiPhilippe Dominati, président de la commission d’enquête :

Cet épisode montre que, s’il est facile de porter des jugements à l’emporte-pièce sur une justice qui passerait par la mise au ban des prétendus riches, il est beaucoup plus responsable et désirable pour un pays de disposer de gouvernants réalistes et de façonner sa fiscalité pour assurer sa prospérité. Or la restauration structurelle des finances publiques souffrira certainement non seulement de l’impulsion fiscale négative que vous ferez subir au pays, mais encore, et de façon beaucoup plus profonde, de l’inévitable affaiblissement de la base productive qu’on doit attendre d’une politique pénalisant l’investissement et le risque.

Nous retrouverons bien sûr ces questions lors de l’examen du projet de loi de finances et j’en reviens au strict cadre qui nous réunit aujourd’hui, pour mettre l’accent sur quelques-unes des principales conclusions de la commission d’enquête.

J’ai évoqué à l’instant, sur le plan politique, les inquiétudes très vives que m’inspirent vos projets fiscaux. Lors de nos travaux, nous avons rencontré, sur un plan plus technique, le lancinant problème de l’évaluation des dispositions fiscales. Un très grand nombre de dispositifs fiscaux sont en cause quand on analyse les problèmes d’évasion fiscale internationale et, chaque fois, un même constat s’impose : le défaut trop fréquent d’évaluation sérieuse de nos dispositifs fiscaux. J’ai notamment à l’esprit la suppression du régime du bénéfice mondial consolidé, qui s’est traduite par un recul de l’information sur les opérations réalisées par les groupes multinationaux français, pouvant aboutir à un résultat inverse de celui qui était recherché.

Je forme des vœux pour que nous puissions porter remède à cette situation. Nous devons légiférer avec soin, ce qui passe par une réforme en profondeur du processus d’adoption de la loi fiscale, où l’évaluation doit occuper toute sa place.

Sans doute devrions-nous doter notre assemblée de tous les moyens nécessaires. À coup sûr, nous devrions nous laisser suffisamment de temps pour procéder à des simulations, sans lesquelles la législation fiscale relève trop souvent de la technique du doigt mouillé en météorologie.

L’une des propositions du rapport est que nous complétions notre arsenal législatif par l’édiction d’une disposition générale condamnant l’évasion fiscale internationale. Cette proposition me donne l’occasion de souligner l’ampleur des mesures adoptées lors de la précédente législature pour prévenir et combattre l’évasion fiscale internationale. Le rapport en dresse la liste avec une grande honnêteté, même si le rapporteur, comme c’est son droit, s’interroge sur leurs effets.

En réalité, vingt-trois mesures ont été adoptées sous la précédente législature, dont un assez grand nombre ont été votées ici à l’unanimité. On peut bien sûr faire mieux.

Nous pouvons nous accorder sur nombre des propositions contenues dans le rapport de la commission d’enquête. Il s’agit de suggestions légitimes, mais je dois cependant insister sur la nécessité d’assurer une certaine sécurité juridique aux contribuables de sorte que, si nous nous engagions dans cette voie, nous devrions particulièrement veiller à cette exigence.

Je veux rappeler également le principe constamment réaffirmé par nos juridictions selon lequel nul n’est contraint d’employer la voie la plus imposée et que, si l’optimisation fiscale ne doit pas déboucher sur des pratiques abusives, on ne saurait la reprocher à des contribuables à qui l’on en donne l’opportunité, quand on ne les incite pas à y recourir.

La précédente ministre du budget que nous avons auditionnée avait jugé qu’en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale, la seule stratégie efficace était la peur du gendarme. Il est assez peu contestable, en effet, que nous avons recouru assez largement à cette stratégie dans le passé en renforçant considérablement les moyens d’enquête de l’administration fiscale. Le rapport de notre commission d’enquête préconise une voie complémentaire consistant à améliorer la gouvernance fiscale des entreprises et à instaurer une forme de contrôle en continu entre les contribuables à forts enjeux et l’administration fiscale.

Ces deux orientations présentent chacune un véritable intérêt.

Je souligne que ces différentes pistes devraient être accompagnées des conditions nécessaires à la sécurisation des choix fiscaux. Celle-ci passera nécessairement par des obligations de confidentialité, mais aussi par une prise de responsabilité de l’administration fiscale, qui devra éclairer plus systématiquement les contribuables, mais aussi le Parlement, quant à ses positions sur l’application de la loi fiscale.

J’ai tout à l’heure évoqué la concurrence fiscale. Le rapport met bien en évidence les problèmes de coordination qui se posent dans la lutte contre l’évasion fiscale internationale tant au niveau international qu’en Europe.

Le Président Sarkozy a beaucoup fait pour placer la communauté internationale face à ses responsabilités au regard des paradis fiscaux. C’est une tâche qui n’est pas achevée, convenons-en. C’est à juste titre que le rapporteur a insisté sur la fixation d’objectifs ambitieux à notre diplomatie, parmi lesquels celui de mener à bien et d’amplifier le processus de l’examen par les pairs, mais aussi de conclure au mieux les négociations des différentes directives européennes en cours et de faire pression sur les pays qui rechignent à pratiquer l’échange d’informations, qui est le pivot de la lutte contre une partie importante de l’évasion fiscale internationale.

Nous avons, dans le passé, adopté une position dure face aux tentations visant à déroger aux principes d’action de la communauté internationale sur ce point. En particulier, nous avons toujours marqué notre opposition aux propositions émanant de certains pays, dont notre voisin suisse, de solder certaines situations fiscales au prix de quelques entorses à ces principes. Certains de nos voisins, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Autriche, n’ont pas montré la même fidélité à ces principes. Je voudrais, monsieur le ministre, que vous puissiez nous préciser si vous entendez vous situer dans la continuité de l’action de la précédente majorité sur ce point.

Une série de propositions visent à renforcer l’efficacité et la coordination de la politique de lutte contre l’évasion fiscale internationale en la situant dans un ensemble plus vaste de protection des intérêts financiers publics. La création d’un haut-commissariat irait dans ce sens, comme vont également dans ce sens les propositions concernant la prescription fiscale, le régime des présomptions dans le champ des prix de transfert, les recommandations portant sur les moyens du contrôle fiscal et de nombreuses autres.

Ces propositions méritent à l’évidence un débat approfondi que j’appelle de mes vœux. Il faudra respecter les libertés fondamentales, ce dont, je crois, tout le monde convient, tenir compte des progrès d’efficience que peut réaliser l’administration fiscale – dont, pour ne citer que cet exemple, le déploiement des moyens sur le territoire n’est pas toujours en harmonie avec les enjeux fiscaux – et digérer les très nombreuses mesures adoptées lors de la précédente législature.

Madame la présidente, en vous renouvelant mes remerciements pour l’organisation de ce débat, je crois pouvoir dire que les 61 propositions de la commission retiendront encore longtemps notre attention sur un sujet qui le mérite.

Monsieur le ministre, je forme des vœux pour que le dialogue entre le Sénat et le Gouvernement se poursuive activement sur ce point et que les divergences qui peuvent nous séparer ne nuisent pas à notre accord, que je crois profond, pour que la loi fiscale soit pleinement respectée.

Pour conclure, je remercie, au nom de tous les membres de la commission, l’ensemble des fonctionnaires du Sénat qui nous ont permis de mener à bien cette mission.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion