Je vais donc m’efforcer d’aborder quelques points qui n’ont pas été mentionnés par les orateurs précédents.
Je dirai tout d’abord, au risque de paraître iconoclaste, que nous avons, en tant que législateur, une part de responsabilité dans ce que nous dénonçons. En effet, la variabilité des mesures fiscales d’une année à l’autre a suscité le développement de l’industrie du conseil, qui favorise la fraude et l’évasion fiscales. Nous devons prendre cette réalité en compte.
Par ailleurs, l’Europe doit balayer devant sa porte, car certains pays veulent bénéficier des avantages de l’Union et de la libre circulation, mais sans reculer sur le secret bancaire. Là encore, nous ne ferons pas l’économie d’une autre approche avec un certain nombre de nos voisins, même si ce sont nos amis depuis très longtemps.
Je veux aussi évoquer un de mes dadas : la question des trusts. La suggestion, formulée dans le rapport, de créer un registre européen des trusts répondant à un certain nombre de critères, avec des seuils d’actifs sous-jacents, et où figureraient l’objet et le contenu du trust serait, me semble-t-il, hautement utile.
Permettez-nous au passage, madame la ministre, d’attirer aimablement votre attention sur les trusts Wildenstein, dont il sera question aux États-Unis dans les semaines qui viennent et qui pourraient à l’avenir mettre certains de nos musées dans une situation terriblement inconfortable, même s’ils ont eu une politique volontariste concernant les tableaux MNR – musées nationaux récupération. C’est un dossier délicat qui s’ouvre pour nous.
Je crois devoir signaler ici un oubli du rapport, un angle mort, en quelque sorte. Il s’agit pourtant d’un point qui mérite qu’on s’y intéresse à la veille de ce rendez-vous très important que constituera l’acte III de la décentralisation : le rôle très important que peuvent jouer les collectivités territoriales dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.
Je prendrai simplement deux exemples, qui montrent que, si cette lutte est certes l’affaire de l’État, ainsi que, bien sûr, celle des entreprises, dont on attend qu’elles soient vertueuses, les collectivités locales peuvent, à leur niveau, apporter leur pierre.
Dans certains conseils régionaux, des motions ont été votées afin de soumettre toutes les actions de la région menées avec des banques ou d’autres partenaires à un certain nombre de règles de transparence. Ce n’est pas la panacée, mais cela peut donner des résultats.
On m’a également signalé le cas tout à fait intéressant d’intercommunalités qui, elles aussi, ont à cœur de travailler avec des banques ou des entreprises qui ne pratiquent pas la fraude et l’évasion fiscale.
Avant de conclure, je tiens à relever un paradoxe : alors que notre situation budgétaire est particulièrement délicate et que tout le monde est appelé à l’effort, la fraude et de l’évasion fiscales mais aussi les moyens de la lutte à mener dans ce domaine sont sous-documentés sur le plan académique et universitaire. On trouve, dans notre pays, pléthore de très bons cours sur « comment frauder le fisc ? » et d’excellentes entreprises de conseil pour apprendre « comment faire de l’évasion fiscale » Dès lors, il me semble essentiel d’encourager, dans le cadre de la recherche publique, des recherches indépendantes sur ce dossier.
Je souligne au passage que, comme plusieurs d’entre nous au sein de la commission d’enquête en avaient fait la remarque, il y a dans la population une forte demande de pédagogie et d’explications sur la fraude et de l’évasion fiscales, au point que nous pourrions passer notre temps à faire des causeries-conférences et que nous aurions un public nombreux tant les sollicitations sont importantes dans l’opinion publique.
Il me semble que nous devons absolument répondre à cette attente, comme nous nous sommes tous, déjà, efforcé de le faire avec nos sensibilités respectives.
Bien sûr, nous avons ici, avant tout, en tant que pouvoir législatif, une responsabilité majeure, celle de nous atteler à la définition d’une politique lisible sur ce dossier, en retenant plus particulièrement, parmi les 61 propositions que nous avons formulées, trois ou quatre qui pourraient être rapidement et facilement appliquées.
La première pourrait consister à mettre en place un comité, une sorte d’observatoire en temps réel, qui procéderait chaque année à l’évaluation de la fraude, à l’étude des travaux universitaires consacrés au sujet. Et cela ne coûterait pas un centime puisque nous disposons déjà d’un certain nombre de personnes parfaitement compétentes en la matière.
Pour conclure, j’évoquerai la question des sanctions. Vous le savez, dans la famille écologiste, nous ne sommes pas vraiment des adeptes de la répression. Je veux cependant souligner, après avoir étudié les jurisprudences en matière de fraude et d’évasion fiscales – et j’invite tous mes collègues à faire de même –, que la fraude et l’évasion fiscales en France sont nettement moins punies que le vol de scooter.
Ainsi, dans notre pays, on punit plus sévèrement les jeunes qui volent des scooters – ce qui est évidemment inacceptable – que ceux qui grugent l’État en pratiquant la fraude et l’évasion fiscales, alors que cela coûte 50 milliards d’euros par an, comme si ces derniers méritaient qu’on fasse preuve à leur égard de plus de tolérance et de souplesse !