Madame la présidente, madame le ministre, mes chers collègues, notre commission d’enquête sur la fuite des capitaux et ses conséquences fiscales a donc travaillé de février à juillet. Ces travaux se sont déroulés dans une ambiance empreinte de sérénité, avec le souci d’appréhender le phénomène, d’en comprendre les mécanismes, de commencer à chercher des solutions à ce mal des temps modernes qui ronge notre société ; je veux parler de la cupidité organisée, accompagnée, nous l’avons vu, d’une culture de la faille, totalement indifférente à l’intérêt général.
Je tiens dès à présent à remercier notre rapporteur, Éric Bocquet, pour le sérieux et l’objectivité de ses conclusions, ainsi que le président Philippe Dominati, qui a su faire preuve de l’attention et du respect indispensables à nos travaux. Je remercie également les services de notre assemblée, qui ont dû supporter le rythme accéléré, parfois effréné, de nos auditions. Leur efficacité a été particulièrement remarquée !
Nos travaux se sont tenus avec, en toile de fond, les difficultés économiques, sociales et financières traversées par notre pays. Mais nous avions aussi présente à l’esprit la Déclaration universelle des droits de l’homme qui, dans son article XIII, indique : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les Citoyens, en raison de leurs facultés. »
Je ferai, tout d’abord, un triple constat sur le contexte environnant nos réflexions. Les derniers chiffres parus sur la pauvreté en France nous indiquent qu’il y a 8 600 000 personnes sous le seuil de pauvreté, soit plus de 12 % de notre population. Par ailleurs, durant la période qui vient de s’écouler, seuls les 5 % les plus riches ont vu leur niveau de vie augmenter. Enfin, nous le savons tous, notre dette est astronomique : elle représente environ 27 000 euros par habitant, risquant ainsi d’obérer l’avenir des jeunes et des prochaines générations.
Face à cela, l’évasion fiscale annuelle représenterait une somme comprise entre 30 milliards et 50 milliards d’euros. Comme François Patriat vient de le souligner, c’est l’équivalent des intérêts de la dette française !
De nos auditions, nous pouvons d’abord tirer l’enseignement suivant : manifestement, ce n’est ni le Français moyen, ni la PME locale, ni la très petite entreprise qui pratiquent l’évasion fiscale par la fuite des capitaux. Sont en cause les plus fortunés et les grandes, voire très grandes entreprises, bref, ceux qui ont les moyens de rétribuer une certaine compétence pour transgresser la loi, en en méprisant l’esprit et en guettant d’éventuelles insuffisances de forme, car il en existe parfois !
Tout cela est insupportable financièrement, insupportable économiquement, insupportable socialement, insupportable moralement, et doit être condamné avec la plus grande fermeté !
L’urgence d’agir devant cette profonde injustice a été partagée par tous les membres de notre commission d’enquête, ce qui nous donne, je l’espère, un ancrage important et déterminant pour faciliter la mise en œuvre des mesures préconisées.
À travers les 61 propositions adoptées, c’est une action de très grande envergure qui est envisagée, notamment sur les plans législatif et réglementaire, mais qui est aussi souhaitable au niveau européen et – rêvons un instant ! – au niveau international.
Tout d’abord, clarifions la politique pénale en matière fiscale et portons le délai de prescription à quinze ans, afin de nous appuyer aussi sur l’exemplarité. Cela, c’est bien du ressort national !
Créons une obligation, pour les entreprises, de transmettre, à la demande de l’administration fiscale, le détail des comptes consolidés. Cela permettra de vérifier si les bénéfices ne sont pas exfiltrés dans une filiale opportunément située dans un paradis fiscal. Pour cela, il faudra en outre proposer l’adoption d’une règle générale anti-évasion.
Renforçons aussi, dans les entreprises, les prérogatives des institutions représentatives du personnel en matière de prévention de la fraude et de l’évasion fiscales. Nos actions et notre détermination méritent, en effet, d’être collectivement partagées, et la citoyenneté doit l’emporter sur l’avidité !
Il est aussi indispensable de faciliter le travail de la justice et son indépendance pour agir, l’exemplarité pouvant, nous le savons, avoir des vertus pédagogiques.
Par ailleurs, il apparaît nécessaire de créer un haut- commissariat à la protection des intérêts financiers publics. Le développement d’outils statistiques précis relatifs à la fraude et à l’évasion fiscale serait également très utile, si ce n’est indispensable.
La tâche serait, bien sûr, plus aisée si les autres pays, notamment européens, partageaient notre démarche. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas ! Notre déplacement en Suisse aura suffi à le démontrer. Et le résultat de la consultation récemment organisée dans le canton de Berne ne répond évidemment pas à notre attente !
Nous devrons donc, pour une meilleure efficacité, obtenir l’obligation de transparence comptable, pays par pays, pour les multinationales communautaires, mais aussi internationales.
Toutes ces recommandations méritent d’être mises en application au plus tôt, parce que la situation dans laquelle nous sommes l’exige, parce que l’égalité des citoyens par la contribution qu’ils apportent à la collectivité nationale l’impose. Nous devrons aussi, et peut-être est-ce le plus important, assurer un suivi précis de nos préconisations et évaluer en permanence l’efficacité des mesures mises en œuvre.
Je suis convaincu que c’est un travail de très longue haleine. Peut-être un comité de suivi est-il indispensable, à travers une commission regroupant députés et sénateurs. Toujours est-il qu’il faut impérativement nous donner les moyens de réussir, avec une évaluation annuelle des progrès accomplis et des recettes apportées.
Mes chers collègues, cette fuite de capitaux et cette évasion fiscale, ce sont des moyens en moins pour notre pays, donc, des recettes en moins pour la solidarité, mais aussi des difficultés en plus pour rembourser notre dette. C’est inacceptable !
Pour permettre, au bout du compte, plus d’égalité, plus de fraternité et plus de liberté, il faut combattre sans relâche et sans merci ceux qui, du haut de leur richesse parfois extrême, toisent et méprisent, de par leur comportement, ceux qui n’ont même plus la force de crier leur infinie souffrance. Victor Hugo, qui fut notre glorieux prédécesseur dans cet hémicycle, n’écrivit-il pas un jour : « C’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches » ?