Intervention de Anne-Marie Escoffier

Réunion du 3 octobre 2012 à 14h30
Débat sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de france et ses incidences fiscales

Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée :

Comme l’a souligné M. Patriat, en particulier, il serait en effet proprement incompréhensible pour nos concitoyens et nos entreprises, et profondément injuste, qu’au moment où un effort est consenti pour le redressement des finances publiques et de notre économie, les différentes formes de fraude restent sans réponse adaptée. Il y va non seulement des exigences de la gestion des comptes publics, mais aussi de l’égalité devant les contributions publiques et du bon fonctionnement de l’économie, y compris dans nos échanges avec l’ensemble de nos partenaires commerciaux.

En toute période, la fraude fragilise l’échange entre partenaires en donnant au fraudeur un avantage indu par rapport à ses homologues. Sans une réponse adaptée de la puissance publique à tous les niveaux, elle finit par corrompre l’esprit public et nourrir toutes les défiances, jusqu’à menacer le consentement à l’impôt, qui est le ciment du pacte démocratique.

La spécificité des temps de crise, telle que celle que nous traversons depuis quelques années déjà, est de révéler de manière éclatante nos forces comme nos faiblesses en ce domaine. Il n’y a pas d’échappatoire à une politique déterminée visant à remédier à ces dernières.

Devant vous, ce soir, je voudrais revenir sur chacun des éléments du diagnostic établi de manière très convergente par les travaux du Sénat et plusieurs rapports publics de la Cour des comptes sur le contrôle fiscal datant du début de l’année 2012, de manière à vous dire comment le Gouvernement entend y répondre.

Avant de vous apporter ces précisions, je voudrais balayer sans la moindre ambiguïté la thèse que M. le président Dominati et M. du Luart paraissent faire leur, et selon laquelle la réponse au défi de l’évasion des capitaux et de la fraude fiscale internationale serait à rechercher dans l’abaissement du niveau de nos prélèvements obligatoires, suivant une logique de concurrence permanente entre systèmes fiscaux à l’échelle internationale.

J’appelle l’attention des tenants de cette thèse sur un fait récent, qui a pu leur échapper, mais qui est tout sauf anecdotique : après s’être prévalu, aux premiers temps de son mandat et au moment même où il déployait un plan d’austérité sans précédent, d’avoir abaissé le taux marginal d’imposition des ménages les plus aisés, le gouvernement britannique, que l’on ne soupçonnera sans doute pas de complaisance excessive envers l’impôt, vient d’annoncer que, confronté à de nouveaux dépassements de ses objectifs budgétaires structurels, il allait désormais intensifier sa lutte contre l’évasion fiscale.

Vous avez là une nouvelle illustration de ce qu’est la réalité du phénomène de l’évasion des capitaux depuis des décennies, sinon, disent certains spécialistes, depuis le XIXe siècle : ainsi que l’a justement souligné Yvon Collin, elle est le moteur d’une concurrence déstabilisatrice pour l’ensemble des systèmes fiscaux des pays en voie de développement comme des pays développés.

N’ayez aucun doute : il se trouve des agents économiques obnubilés par la fuite devant l’impôt, ainsi que, sur les marchés financiers, des forces qui s’y entendent pour presser chaque fois davantage des pays où la puissance publique est faible à se muer – souvent au détriment d’un véritable développement économique – en paradis fiscaux susceptibles d’attirer chez eux des capitaux mobiles, à la recherche permanente de nouvelles exonérations.

Regardez comment évolue au fil des décennies la carte des paradis fiscaux et vous vous convaincrez que les pays développés qui sont entrés dans cette course effrénée, jusqu’à laisser se constituer chez eux ou au plus près d’eux des mini-paradis fiscaux, sont aujourd’hui au nombre des premières victimes de cette logique folle.

La proposition d’adapter notre politique fiscale, et donc notre politique budgétaire, au seul objectif de retenir des capitaux mobiles serait en réalité proprement suicidaire budgétairement, en plus d’être profondément injuste. Car les victimes en seraient naturellement ceux que la fuite ne tente pas ou que cette tentation ne saurait même effleurer.

Le Gouvernement en fait la démonstration par les choix budgétaires et fiscaux qu’il vient de présenter au Parlement : son choix est le redressement dans la justice. Ne comptez pas sur nous pour dévier de cette ligne !

Ce choix implique, en contrepartie, une grande intransigeance dans le traitement de la fraude fiscale internationale, dans nos relations avec les autres États membres de l’Union européenne comme au-delà des frontières de l’Europe. Il implique également la plus grande intransigeance dans notre action sur le plan national. Cette intransigeance ne nous fera pas défaut, et je veux m’employer à vous le démontrer ce soir.

Avant d’en venir à la fraude proprement dite, j’évoquerai brièvement la question de la distinction, qu’opère le rapport de la commission d’enquête sénatoriale, entre l’optimisation fiscale et la fraude fiscale. Celle-là se différencie de celle-ci en ce qu’elle est légale dans la mesure où elle consiste, pour un agent économique, à utiliser au mieux les dispositions en vigueur pour minimiser son imposition. Il reste que la frontière entre ces deux notions est ténue.

Il est bien évidemment de la responsabilité de la puissance publique de s’interroger sur ce que l’optimisation révèle d’éventuelles imperfections du droit fiscal, notamment lorsque l’impôt finit par distordre les comportements qui seraient économiquement les plus rationnels dans une perspective de moyen et long terme.

Un pas plus loin, il est de la responsabilité de la puissance publique d’identifier ce qui, dans l’optimisation, confine à l’abus de droit, entendu comme l’utilisation des dispositifs légaux à rebours des objectifs qui leur sont assignés.

S’agissant des entreprises, chacun a bien à l’esprit que l’optimisation est beaucoup plus couramment pratiquée par les plus grandes d’entre elles plutôt que par les plus petites. Cela pour une raison que chacun perçoit : la recherche de l’optimisation suppose de mobiliser des moyens, en matière de conseil notamment, dont les premières disposent bien plus aisément que les secondes.

Nul n’ignore que là gît l’explication de cette situation des plus surprenantes que nous avons trouvée à notre arrivée – situation qui, si mes souvenirs sont bons, avait été découverte in extremis par le précédent Président de la République, au terme de son mandat… –, à savoir que le taux d’imposition effectif des entreprises du CAC 40 est, en moyenne, nettement inférieur à celui des PME. Ce n’est pas un constat dont on puisse se satisfaire, sachant le rôle que le tissu des petites et moyennes entreprises a à jouer dans le dynamisme de notre économie.

Vous le savez, le Président de la République et le Gouvernement ont inscrit cette réflexion au premier rang des travaux visant à redessiner, pour la nouvelle législature, le cadre fiscal des entreprises et des particuliers.

Le projet de loi de finances pour 2013, dont le Parlement est saisi, comprend en particulier deux mesures majeures de ce point de vue : d’une part, l’aménagement de la déductibilité des charges financières ; d’autre part, la limitation, sur le modèle de ce qui se pratique déjà en Allemagne ou en Italie, de l’avantage lié à l’exonération totale des plus-values à long terme réalisées par les entreprises à l’occasion de la cession de titres de participation, autrement connue sous le nom de « niche Copé ».

À ce dernier égard, je veux vous rassurer, monsieur Bocquet : la mesure couvre l’ensemble des cas de risque de perte de recettes.

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