Intervention de Marie-Christine Saragosse

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 3 octobre 2012 : 1ère réunion
Audiovisuel extérieur de la france — Audition de Mme Marie-Christine Saragosse candidate pressentie pour la présidence

Marie-Christine Saragosse :

Mme Lepage revenait sur les angoisses très fortes des personnels. Il me semble que les gens sont prêts à s'investir dans un nouveau projet, mais je pèche peut-être par excès d'optimisme : encore une fois, j'ai tendance à regarder l'horizon sans me concentrer sur l'obstacle.

Vous m'interrogez aussi sur l'option choisie pour la réforme. Lorsque je suis arrivée au ministère de la communication en 1996, mon premier dossier était le décret de défilialisation de RFI et Radio France. Pourquoi défilialiser ? Parce que pour une société qui est en concurrence avec d'autres médias nationaux, l'international n'est pas une priorité. C'est une tendance naturelle bien connue : ce qui est ici, pèse moins lourd que ce qui est là-bas.

En outre, les Français, les électeurs, tout le monde est ici. Parfois, pour que l'international prenne toute sa place, il faut le sortir du national. La réforme que nous faisons n'est pas aberrante - contrairement à ce qu'affirme Libération, on ne fait pas le contraire de ce qui a été fait, car ce serait totalement déstabilisant - et obéit à une logique internationale. Dans le secteur public, les logiques capitalistiques ne sont pas tout. J'avais hésité à me porter candidate, lorsqu'il fut annoncé, le 12 juillet dernier, que TV5 Monde sortait de l'AEF pour retourner à France Télévisions et que j'ai été pressentie par le CSA pour présider l'AEF : ce fut un véritable dilemme émotionnel. Mais au fond, les liens capitalistiques qui existaient n'ont pas vraiment eu pour effet le développement de projets communs, ou d'un esprit de groupe. Leur disparition ne devrait donc pas être une entrave à des coopérations futures.

Il faut à présent stabiliser la configuration de l'AEF, qui a fait l'objet d'un nombre record de rapports et de projets de réforme, alors qu'il représente un budget plus faible que l'audiovisuel national. Radio France et France Télévisions devraient être représentées à son conseil d'administration afin de resserrer les liens : des coproductions sont possibles entre Radio France, France Télévisions, RFI, TV5 Monde et doivent être développées, indépendamment des liens capitalistiques entre ces sociétés. Les craintes portant sur le risque que ferait courir aux finances de l'une d'entre elles sa proximité avec d'autres doivent être apaisées : les nomenclatures spécifiques dont chacune dispose permettent de s'assurer de la bonne destination des crédits, et ceux-ci peuvent aussi être fléchés précisément dès la loi de finances. Pour autant, il ne faut pas s'interdire des collaborations, dès lors qu'aucun des acteurs n'a le sentiment que ses fonds profitent à l'autre.

Un COM est avant tout l'aboutissement d'un projet. Certes, l'État n'a pas à se prononcer sur la ligne éditoriale ou sur les contenus, mais il a son mot à dire sur la stratégie générale de l'entreprise, sa cartographie mondiale, ses priorités en matière de numérique, ses partenariats. Je n'ai pas été associée, pas plus que les salariés, à l'actuel projet de COM, alors même que la subvention à TV5 Monde en faisait partie. Il me semble qu'un tel projet ne doit pas être brutalement annoncé mais travaillé en concertation. Patientez encore quelques mois pour que les équipes puissent préparer un COM pour 2013-2015 dans un dialogue social suffisant pour construire une union sacrée derrière l'audiovisuel extérieur de la France, comme je le souhaite.

Le budget 2013, de 314,2 millions d'euros, est maintenu, ce qui, dans le contexte actuel, est positif. Le COM prévoyait dans sa trajectoire financière une baisse de 8 millions de ce budget ; je me réjouis qu'il n'ait pas été signé car cette baisse était, me semble-t-il, infondée : il aurait fallu renoncer à nos ambitions. L'évolution des coûts risque de causer des difficultés, mais je m'attacherai, comme je l'ai toujours fait, à ce que l'équilibre budgétaire soit respecté : c'est pour moi une règle absolue.

Vous avez évoqué les problématiques de la diversité et de la parité ; en ce qui me concerne, je mets à part la question du genre, qui relève de l'universel et non du particulier. Notre société est au fond assez exemplaire sur ces questions, comme l'a bien montré la réserve de la communauté musulmane de France dans la récente affaire des caricatures de Mahomet et des musulmans. Lorsqu'avec Culture France nous organisions des tournées à l'étranger de troupes françaises qui incarnaient la diversité de notre pays, la fréquentation des salles doublait lors de notre passage. Ces valeurs, nos valeurs, sont partie intégrante d'un grand média public international : effectivement, qui dit « média » dit « médiation » !

Monsieur le sénateur, nous travaillons ensemble depuis des années : le journal Libération peut choisir les titres qu'il veut, j'espère que mon intervention devant vous aujourd'hui aura plus de force. Non, nous ne faisons pas le contraire, ce ne serait pas un projet ! Néanmoins, nos équipes, malgré tout leur talent, se sont heurtées à de nombreux obstacles. RFI a beaucoup progressé en termes d'audience, et va continuer à aller de l'avant, grâce à sa grande expérience alliée à son avance sur les nouvelles technologies. En audience cumulée hebdomadaire, nous avons un auditoire considérable. Quel est l'avenir de TV5 Monde ? Des concertations approfondies, telles qu'elles sont prévues par la charte qui régit cette chaîne, ont lieu au niveau des gouvernements bailleurs de fonds, et lors du conseil d'administration prévu le 16 octobre les actionnaires (RTBF, TSR, radio Canada, France Télévisions, Arte et aujourd'hui l'AEF) prendront une décision qui, je l'espère, dissipera l'inquiétude des salariés. Vous citiez la BBC, mais ce type de comparaison est délicat à manier, tant les périmètres, les budgets et les héritages historiques diffèrent. Mieux vaut être soi-même et chercher à développer son propre modèle, surtout quand il s'agit de porter la parole d'un pays ! L'expression « CNN à la française » me paraît ainsi devoir être rejetée. Ne mimons pas un autre modèle, inventons le nôtre.

M. Legendre parlait de TV5 Monde comme d'un objet pas toujours bien compris. Sa construction asymétrique faisait qu'elle n'était ni présente dans l'AEF, ni prioritaire pour le Gouvernement français. Il ne s'agissait donc pas d'un problème de personnes. TV5 Monde est française à 66,6 %, et pas seulement francophone. Le fait d'insister sur son aspect francophone, lorsque l'on est français, n'est pas toujours le signe d'un intérêt bien vif pour cette chaîne. La France y est le plus gros fournisseur de contenus, en plus d'être le premier financeur, même si nos partenaires francophones ont fait un très gros effort au cours de la période précédente en augmentant de 61 % leur contribution et en augmentant leur fourniture de programme. France 24 a proposé à TV5 Monde sa valise satellitaire pour que les images puissent être rapatriées. RFI et TV5 Monde ont des émissions communes qui seront délocalisées à Kinshasa. Je pense qu'en laissant faire nos confrères sur le terrain, des échanges d'images seraient possibles. Et nous avons sollicité tous ensemble une interview du chef d'État soit de la République démocratique du Congo, soit de la République française. Car il peut arriver que trois médias soient réunis sans pour autant être dans une concurrence forte. Les projets de fusion ont figé tous les acteurs dans la peur, en particulier à la suite du rapport de l'Inspection générale des finances. Il faut décrisper l'atmosphère et permettre à la confraternité, qui est naturelle entre journalistes sur le terrain, de renaître. Nous ferons également une convention de distribution pour que France 24 et TV5 Monde ne soient pas concurrentes : nous avons déjà tellement de concurrents ! Les savoir-faire de TV5 Monde devraient pouvoir servir, avec des objectifs précis, à France 24, qui ne doit pas se dire que TV5 Monde risque de l'empêcher de rentrer sur tel ou tel territoire, de même qu'il ne faut pas que TV5 Monde reproche à France 24 de casser le marché en payant des choses jusqu'alors gratuites, car ce sont deux chaînes publiques utilisant des fonds publics ! Il faut qu'on se parle et qu'on se fasse confiance. RFI est déjà très présente en francophonie, TV5 Monde aussi, peut-être France 24 pourrait-elle avoir une approche un peu différente ?

Sur la parité, nous pourrions avoir une émission, pas forcément longue. Vous savez que si, sur un plateau, il y a moins d'un tiers de femmes, on s'adresse toujours à elles en tant que femmes; elles apparaissent comme victimes ou comme témoins et non comme expertes, quand leur parole devrait être aussi universelle que celle des hommes. L'engagement volontaire que nous avions signé à TV5 Monde doit être étendu aux autres médias. Je me suis réjouie, lors de la dernière Conférence des ambassadeurs, de voir que nombre d'entre eux étaient prêts à se mobiliser sur ce thème.

TV5 Monde renoue avec ses origines : elle a été créée par TF1, Antenne 2 et FR3. C'est une chaîne généraliste : les contenus fournis par France Télévisions, qui représentent 25 % des grilles, ont un poids considérable. Le budget de la chaîne ne permettrait pas de les remplacer, car ce sont des productions de grande qualité. Mais nous devons veiller à assurer une grande synergie, à l'international, dans la distribution. Il est possible en tous cas que je reste au conseil d'administration. Je serai présidente, parce que c'est prévu pour TV5 Monde, ensuite ce sera probablement le président de France Télévisions qui me succèdera, mais l'AEF gardera probablement un siège au conseil et je serais très heureuse si je peux me rendre utile en l'occupant. Un au-revoir, donc, mais pas un adieu !

France 24 et TV5 Monde sont diffusés en France sur le câble, le satellite et l'ADSL. RFI n'est présente qu'à Paris en FM, et non à Marseille ou Strasbourg, villes pourtant très ouvertes à l'international. La chaîne arabophone de France 24 est sur Arabsat et Nilesat, donc sur les satellites vers lesquels pointent les fameuses antennes paraboliques des populations arabophones de France. Elle est donc très regardée par celles-ci, comme l'a montré le pic d'audience énorme mesuré lors de l'affaire Merah. Le vecteur francophone, en revanche, ne touche pas le grand public français, mais un foyer sur deux, ceux qui sont équipés de la TNT.

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