Permettez-moi d'abord de me présenter, de revenir sur les objectifs que me fixait la lettre de mission du ministre et d'exposer la méthode que nous avons suivie pour produire ce rapport.
Je suis polytechnicien, ingénieur des Télécoms, ingénieur des Mines depuis la fusion des deux corps en 2003. J'ai occupé pendant onze ans des postes de responsabilité dans l'industrie au cours de mes 38 ans de carrière. J'ai également été chargé par le ministre de l'économie, il y a quelques années, de rédiger le rapport sur l'avenir de l'usine Renault de Sandouville.
La lettre de mission qui m'a été remise le 10 juillet dernier me demandait de donner un avis indépendant de celui de la direction et des organisations syndicales sur l'avenir du groupe PSA. Les objectifs étaient d'analyser la situation actuelle du groupe, les raisons de ses difficultés et la pertinence des solutions proposées pour y répondre. Le rapport, qui avait été demandé pour le 31 juillet, était prêt dès le 30 mais n'a été présenté que le 11 septembre, après les congés d'été.
Il s'agit d'un travail ramassé dans le temps et réalisé avec des moyens limités, de façon totalement indépendante par rapport à la procédure en cours au sein du comité central de PSA. En particulier, je dois souligner que je ne disposais d'aucun moyen d'investigation sur pièces et sur place, de sorte que je ne pouvais m'appuyer que sur la bonne volonté des personnes rencontrées. Nous avons procédé à des entretiens avec les dirigeants du groupe, les organisations représentatives du personnel et les experts du secteur. Nous avons aussi exploité l'ensemble des données et études publiques disponibles.
Pour en venir au fond, le rapport constate la situation très difficile de PSA, qu'il attribue à des raisons tant conjoncturelles que structurelles.
Parmi les causes conjoncturelles, figure d'abord une forte dépendance au marché européen, puisque le groupe y réalise 58 % de ses ventes. Or, ce marché va mal. Il a connu une crise sévère en 2008 et 2009, suivie d'une reprise en 2010 et au premier semestre 2011, grâce notamment aux primes à la casse mises en place dans plusieurs pays, avant de se retourner de nouveau au second semestre 2011, puis de plonger en 2012. On s'attend cette année à un recul de 12 % des ventes selon le Comité des constructeurs français d'automobiles (CCFA). PSA, il faut le noter, est particulièrement dépendant des pays du Sud de l'Europe, tels que la Grèce, l'Espagne, l'Italie et le Portugal, dont les marchés ont fortement régressé suite à la crise financière et aux politiques de rigueur. Le marché espagnol par exemple a été divisé par deux, le marché grec, par cinq. Pour l'avenir, les experts n'attendent pas un retour à la situation de 2007, année où le marché automobile européen était à son plus haut, avant 2017 ou 2018.
Ce choc conjoncturel est d'autant plus sensible que PSA est essentiellement présent sur les segments B et C du marché, qui sont les plus concurrentiels, puisque tous les constructeurs européens et mondiaux les ont investis. PSA, dont l'outil de production est encore largement centré en France, est ainsi « pris en tenaille » entre des automobiles low cost fabriquées en Europe de l'est ou en Turquie et les fabricants allemands de voitures premium, qui n'hésitent plus à diminuer la taille de leurs modèles pour occuper la partie la plus rentable des segments B et C.
Facteur aggravant pour PSA : le groupe souffre de surcapacités. Il s'était fixé au début des années 2000 un objectif de production de 4 millions de véhicules par an qu'il n'a jamais atteint.
Ventes en baisse et marges faibles affectent fortement les résultats du groupe. Sa consommation de cash n'est plus tenable. Elle est de l'ordre de 950 millions d'euros au premier semestre. Par ailleurs, le résultat d'exploitation est négatif avec des pertes supérieures à 800 millions d'euros.
Au-delà des facteurs conjoncturels de crise, le groupe paye probablement les conséquences de sa taille moyenne. Il n'occupe plus que la huitième place des constructeurs mondiaux, alors qu'il était quatrième au début des années 80. Il risque même d'être bientôt dépassé par Honda. Cela tient à une stratégie d'internationalisation trop tardive. Présent en Amérique latine et en Chine depuis respectivement les années 60 et 80, le groupe n'en a pas réellement profité car sa production ne correspondait pas aux besoins de ces marchés. Il y a eu une vingtaine d'années perdues.
Nous avons observé aussi que, dans les années 2000, PSA a consacré 3 milliards d'euros au rachat de ses propres actions, alors que ces sommes auraient pu être consacrées à l'investissement et à l'internationalisation.
Au final, dans un marché mondial qui se divise aujourd'hui en quatre grandes zones quasiment autosuffisantes, entre lesquelles les flux d'exportation sont faibles, on constate que PSA est positionné principalement sur la zone Europe, c'est-à-dire sur un marché de renouvellement peu dynamique. Son outil de production, surdimensionné, est sous-utilisé, avec un taux d'utilisation des capacités de l'ordre de 61 % en 2011 pour ses usines du « segment B ». Vue la situation, les mesures conjoncturelles, telles que le chômage partiel, ont atteint leurs limites et la question du redimensionnement de l'outil industriel se pose donc de façon claire. C'est pourquoi notre rapport admet la nécessité d'un plan de réorganisation des activités industrielles et de baisse des effectifs. Pour autant, certains éléments du plan présenté par la direction en juillet dernier appellent des réserves.
Ces réserves portent en premier lieu sur le choix du site d'Aulnay. C'est un choix douloureux pour notre pays, qui évacue trop rapidement une vraie réflexion sur l'avenir de l'usine de Madrid. Créée dans l'après-guerre, présentant des contraintes logistiques du fait de sa situation urbaine, offrant de petites capacités, cette usine a pourtant fait l'objet d'investissements importants depuis 2009 pour la E cube. PSA fait valoir que si on revenait sur ce choix, il faudrait désormais investir 250 millions d'euros à Aulnay pour produire ce modèle, et que cela entraînerait deux années de retard dans la sortie de celui-ci.
Nous avons aussi des interrogations sur l'avenir d'Aulnay en tant que site industriel. La direction de PSA nous a assuré qu'elle ne souhaite pas y réaliser d'opération immobilière et qu'elle entend lui conserver un caractère industriel centré sur l'automobile. Elle a dit avoir eu des contacts avec des entreprises désirant s'y installer, mais sans donner plus de détails. Or, le temps presse : si le site doit être revitalisé, la démarche doit débuter dès que possible, l'arrêt des activités d'assemblage étant prévu pour 2014.
En ce qui concerne le site de Rennes, c'est un site sensible car il s'inscrit dans un bassin d'emplois fragilisé par la crise de l'électronique au début des années 2000. Il faudra donc observer attentivement les conclusions des négociations avec General Motors sur la mise en commun de leur plate-forme et sur le modèle qui succèdera à la C5 en 2016.
La décision de PSA de réduire les effectifs de structure de 3 600 personnes, sur la base du volontariat, appelle également une certaine vigilance. La réduction ne doit pas se faire « à l'aveugle », mais préserver les activités de recherche et développement du groupe.
S'agissant de la sous-traitance à Aulnay, PSA indique que, le volume de production devant rester identique après transfert sur le site de Poissy, les entreprises de la filière ne devraient pas affectées par une baisse de leurs commandes. Or, si cela est vraisemblable pour les sous-traitants de rang 1, la question demeure posée pour ceux de rang 2, 3 et 4, car les sous-traitants actuels de Poissy pourraient bien récupérer l'activité de ceux d'Aulnay.
Si le plan de PSA est couronné de succès, il devrait permettre de revenir à un cash flow à l'équilibre fin 2014, date à laquelle le marché européen devrait enfin redémarrer. Mais, au-delà de l'Europe, c'est le marché mondial qui connaît aujourd'hui une croissance de plus de 3 % par an. L'avenir passe donc par une implantation forte sur les marchés émergents. Pour y parvenir, il est indispensable que le groupe s'appuie sur des partenaires mondiaux. Le choix d'une alliance avec General Motors en 2012 va dans ce sens : il a permis un apport de capital d'un milliard d'euros en février dernier et la conclusion d'un accord logistique avec Gefco. Quatre groupes de travail réfléchissent par ailleurs à une mise en commun des plates-formes et des achats entre les deux groupes, mais les effets concrets qu'on peut en attendre sur l'outil de production et la localisation de l'emploi n'apparaissent pas encore clairement.
PSA reste un fleuron industriel français, apprécié dans notre pays comme dans le monde entier ; espérons que sa politique drastique de réforme profitera à l'entreprise comme à ses salariés.