Les espaces éthiques régionaux constituent un lieu de réflexion et de réunion original où les opinions peuvent se croiser, de manière libre. Leur ancrage dans des hôpitaux risque néanmoins de provoquer des confusions dans l'esprit du grand public, tenté d'assimiler bioéthique et réflexion sur la maladie.
Je soutiens l'initiative des panels citoyens que le législateur, depuis la révision de la loi de bioéthique, peut constituer. La richesse des échanges est parfois exceptionnelle ! Ces instances demeurent toutefois quelque peu formelles. Il convient de les ouvrir davantage au public. En effet, la réflexion ne peut se construire que sous forme de récit. Or les médias n'abordent pas les démarches, les réflexions, ils se contentent d'évoquer les résultats et les recommandations. Bref, des photographies, jamais de récits. Tout lieu de dialogue est bienvenu. Il faut désolenniser ces espaces pour favoriser leur appropriation par tous.
En ce qui concerne les missions du CCNE, je crois à la complémentarité des approches. Je participe à la mission Sicard. De même, lors de la révision des lois de bioéthique, nous étions trois membres du CCNE à appartenir également au groupe de travail du Conseil d'Etat. Les deux instances ont eu des conclusions différentes - les approches n'étaient pas les mêmes. En la matière, le principal risque est l'uniformisation des pensées. Vive les discordances harmonieuses !
Quand le législateur a interdit la recherche sur l'embryon et les cellules embryonnaires sauf dérogation, il a créé une législation d'exception. Celle-ci est donc possible. La société a besoin de lois, mais ne respire que lorsqu'elle les fait vivre et se les approprie. C'est la seule manière de résoudre les cas difficiles. Le professeur Amartya Sen considère que l'accès aux droits, dans nos sociétés, est dissocié du droit lui-même. Les enfants handicapés ont droit à certaines facilités, les personnes en fin de vie aux soins palliatifs, mais beaucoup n'y ont pas réellement accès. La loi ne vit que grâce à une pédagogie dans le corps social.
Certains souhaitent réduire le nombre de membres du Comité. A mon sens, il faut au contraire enrichir sa composition, tisser des liens avec des institutions comme le Conseil économique, social et environnemental, associer des chefs d'entreprise, des syndicalistes, etc. : la diversité, voire l'opposition des points de vue font la richesse du débat, auquel le Comité doit participer avec d'autres.
L'expertise est nécessaire : l'ignorance n'est pas une garantie éthique. Mais il n'y a pas de responsabilité sans liberté, pas de liberté sans choix, pas de choix sans incertitude. C'est cette part d'incertitude qui fait la noblesse de toute décision ; les experts sont là pour informer et éclairer ceux qui ont à décider, non pour se substituer à eux. La société voudrait qu'on lui impose ses choix, tout en protestant quand les décisions prises lui déplaisent. Il faut, si je puis dire, la désinfantiliser. Dans l'esprit de la loi Kouchner de 2002, le plus grand service qu'une équipe soignante puisse rendre à un patient, c'est de le laisser libre tout en l'informant. Le médecin n'est plus celui qui dicte la conduite à tenir. Mais ce droit individuel, nous avons du mal à en faire un droit collectif.
Le crime d'Echirolles m'effraie comme vous. Je crains la fragmentation de la société, entre personnes âgées, handicapées, pauvres, malades psychiatriques... C'est l'une des racines de la violence. La réflexion éthique doit éviter cet écueil : n'opposons pas « nous » et « les autres » - les trop jeunes, les trop vieux, les malades, etc. Cela vaut aussi à l'échelle internationale : on parle des progrès de la médecine, mais à qui profitent-ils ?
Vous m'avez interrogé sur l'assistance médicale à la procréation (AMP) pour les couples de femmes homosexuelles. Faisons la distinction entre les problèmes éthiques soulevés par les progrès de la recherche et ceux qui se posent en amont. L'AMP relève de la seconde catégorie : le problème est issu des changements sociaux, non des avancées de la science.