Intervention de Gilbert Barbier

Commission des affaires sociales — Réunion du 3 octobre 2012 : 1ère réunion
Bioéthique — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Gilbert BarbierGilbert Barbier, rapporteur :

Un an après le vote de la loi de juillet 2011 relative à la bioéthique, il apparaît nécessaire au groupe du RDSE de modifier l'une des dispositions centrales, celle relative à la recherche sur l'embryon humain et sur les cellules souches qui en sont issues.

L'article L. 2151-5 du code de la santé publique a fait l'objet de débats approfondis, intenses, voire passionnels entre partisans de l'autorisation de ces recherches et tenants de leur interdiction. Dans une période préélectorale, le Gouvernement a choisi ce qu'il présentait comme une « voie moyenne ». En 2004, le principe de l'interdiction avait été posé et assorti de dérogations pour cinq ans. Le ministre de la santé proposait de maintenir l'interdiction de principe de ces recherches mais de l'assortir de dérogations permanentes. A une très courte majorité, cette vision a finalement prévalu au Sénat.

Notre commission, suivant les conclusions de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), du Conseil d'Etat comme les propositions de son rapporteur, Alain Milon, s'était pourtant engagée résolument, et de manière transpartisane, dans la voie de l'autorisation encadrée. Ce choix était le bon et le groupe auquel j'appartiens vous propose un texte très largement similaire à celui que nous avions adopté en 2011 en première, puis en deuxième lecture.

Je me suis appuyé sur les importants travaux préparatoires de la loi de bioéthique et sur les auditions que j'ai menées. J'ai examiné ce texte tant du point de vue éthique que juridique. Un an après, la mobilisation des uns et des autres n'a pas faibli. Faut-il interdire par principe la recherche sur l'embryon ? Un régime d'autorisation encadrée ouvre-t-il la voie à toutes les dérives ?

La nécessité d'un interdit symbolique fort a souvent été invoquée pour justifier le maintien de dispositions contradictoires au sein de l'article L. 2151-5. Le groupe de travail du Conseil d'Etat, que présidait Philippe Bas, avait écarté cette solution, qui n'offre ni solide garantie éthique ni protection efficace contre les dérives possibles.

Pourquoi interdire la recherche sur l'embryon ? Parce qu'il est une vie humaine potentielle. Mais ce potentiel de vie n'existe pas en soi. Même si l'on rejette le droit à l'avortement et la possibilité de l'assistance médicale à la procréation (AMP), ce potentiel dépend au moins de la nature. Si l'on accepte ces possibilités, consacrées dans notre droit depuis bientôt quarante ans, le potentiel de vie de l'embryon dépend également du projet du couple qui l'a conçu, ou pour lequel il a été conçu. S'agissant des embryons conçus dans le cadre de l'AMP, les seuls visés par l'article L. 2151-5, les embryons dont un couple peut faire don à la recherche sont ceux qui sont voués à la destruction. En effet, soit ils ne sont pas implantables en raison d'un problème affectant leur qualité, soit ils sont porteurs d'une anomalie détectée à la suite d'un diagnostic préimplantatoire (DPI), soit enfin ils ne font plus l'objet d'un projet parental et, à moins d'être donnés à un autre couple, l'article L. 2141-4 du code de la santé publique prévoit qu'ils sont détruits après cinq ans. L'alternative entre destruction et recherche à des fins de progrès de la médecine est donc la seule ouverte pour décider du devenir de ces embryons.

Le don par des parents d'un embryon pour l'amélioration du bien-être collectif est un choix éthique. La proposition de loi prévoit la confirmation du don après un délai de réflexion s'agissant d'embryons sains ; dans tous les cas le don est révocable sans motif tant que les recherches n'ont pas commencé.

Plusieurs de nos collègues soutenaient que la destruction était préférable, afin de limiter la tentation démiurgique de l'homme de créer la vie et de la modeler selon ses désirs. Eviter les dérives de la science, c'est un objectif que nous partageons tous... et qui est garanti dans la proposition de loi. En effet, le régime d'autorisation encadrée ne donne nullement le droit à toute équipe de recherche de mener sans contrôle des expériences sur l'embryon humain et les cellules souches embryonnaires. Les équipes de pointe qui élaborent des protocoles de recherche doivent déposer une demande auprès de l'Agence de la biomédecine. Tel n'est pas le cas pour les recherches sur les cellules souches dites adultes qui se trouvent dans les tissus humains ou pour les cellules génétiquement modifiées afin de ressembler aux cellules souches embryonnaires : les équipes qui les utilisent n'ont de compte à rendre à aucune autorité publique.

L'autorisation de l'agence est soumise à quatre conditions cumulatives. Le projet doit être scientifiquement pertinent. Le texte prévoit d'ailleurs l'interdiction d'implanter à des fins de gestation les embryons sur lesquels une recherche a été effectuée et la création de chimères ou d'embryons transgéniques est interdite en France. Le projet doit avoir une finalité médicale, ce qui exclut notamment les projets à visée purement esthétique. Il ne doit pouvoir être conduit autrement qu'avec des embryons humains ou des cellules souches embryonnaires humaines. Enfin, il doit offrir des garanties éthiques : l'agence exerce un contrôle sur la manière dont ont été conçues les lignées de cellules souches embryonnaires importées de l'étranger.

La troisième condition est la plus contraignante puisque les recherches sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires n'auront jamais qu'un caractère subsidiaire. Si demain il devient possible de mener, à partir de modèles animaux ou des cellules souches induites, le même type d'expériences, celles sur les recherches sur les embryons humains et les cellules souches embryonnaires seront interdites. L'agence se prononce selon l'état de la science et l'évaluation réalisée par un comité scientifique. Cette disposition garantit la « protection adéquate de l'embryon » telle que prévue par la Convention d'Oviedo sur les droits de l'homme et la biomédecine, ratifiée par la France. Les chercheurs que j'ai auditionnés soulignent qu'en pratique, les différents types de recherche sont menés en parallèle et que les équipes ne privilégient pas la recherche sur l'embryon humain. Je les crois, mais cette condition est liée à la nature particulière de l'embryon humain et, à la lumière du progrès des connaissances scientifiques, il convient de la conserver.

Pendant encore sans doute plusieurs années, les recherches sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires feront progresser les connaissances sur le développement de la vie ainsi que la modélisation des maladies génétiques. De nombreuses questions de génétique ou d'épigénétique impliquent le recours aux embryons humains et aux cellules souches embryonnaires.

L'Agence de la biomédecine ne se fonde pas uniquement sur des avis scientifiques pour prendre ses décisions. Son comité d'orientation, qui réunit des scientifiques et des représentants de la société civile et au sein duquel siègent désormais quatre sénateurs, se prononce sur chaque dossier. Les considérations éthiques sont donc présentes dès l'instruction du dossier. Les avis de l'agence sont susceptibles de réexamen à la demande conjointe des ministres de la recherche et de la santé. Enfin, l'agence reçoit des rapports annuels sur le progrès des recherches et conduit des inspections. Je vous proposerai un amendement tendant à renforcer encore ces pouvoirs d'inspection.

J'en viens aux aspects juridiques. Le gouvernement de 2011 soutenait que l'interdiction de principe assortie de dérogations et l'autorisation encadrée étaient en droit équivalentes. Le juge administratif n'en a pas décidé ainsi. La Cour administrative d'appel de Paris a déduit de l'interdiction de principe qu'il appartenait à l'Agence de la biomédecine de faire la preuve que des moyens alternatifs ne pourraient conduire au même résultat. Une autorisation accordée trois ans auparavant à un protocole de recherche a été annulée. Les scientifiques sont, dans ce cas, tenus d'arrêter immédiatement leurs travaux sous peine de sanctions pénales. Cinq recours en annulation, dont quatre concernent les travaux d'équipes de l'Inserm, sont en cours d'instruction par le tribunal administratif de Paris.

L'insécurité juridique résulte des ambiguïtés de la loi de 2004, accentuées par la loi de 2011. L'article L. 2151-5 porte la marque de ceux qui, à l'Assemblée nationale, à défaut de pouvoir obtenir l'interdiction des recherches, cherchaient à rendre l'autorisation quasiment impossible à force de conditions irréalisables : nécessité de prouver l'impossibilité de parvenir au résultat escompté par d'autres moyens, exigence d'informer le couple donateur sur la nature des recherches projetées,...

Soit on interdit complètement, soit on autorise de manière encadrée. En l'état de la science, la recherche sur l'embryon humain et les cellules embryonnaires est nécessaire. Il faut l'autoriser, en prenant toutes les précautions utiles contre les possibles dérives. C'est pourquoi, sous réserve de quelques amendements tendant à améliorer la sécurité juridique du texte et le contrôle sur les protocoles, je vous propose d'adopter cette proposition de loi et de mettre en place un régime de recherche assumé et encadré : notre pays n'a que trop attendu.

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