Intervention de Jean-Marc Ayrault

Réunion du 10 octobre 2012 à 14h30
Nouvelles perspectives européennes — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Jean-Marc Ayrault, Premier ministre :

Mesdames, messieurs les sénateurs, notre réponse doit aussi passer par l'approfondissement de l'union économique et monétaire, qui sera une nouvelle étape de notre histoire commune. C'est ce que le Président de la République a appelé l'intégration solidaire. Il faut, pour cela, réformer le fonctionnement même de l’Union économique et monétaire afin qu’il réponde à trois exigences.

La première, c’est de mettre en place une coordination des politiques économiques, ce que nous avons appelé depuis des années le gouvernement économique de la zone euro.

La deuxième exigence, c’est l’équilibre qui doit être trouvé entre le développement de mécanismes financiers de solidarité et la vigilance budgétaire. La zone euro doit disposer d’instruments budgétaires et financiers communs pour permettre aux pays qui rencontrent des difficultés de les surmonter et de retrouver le chemin de la croissance. Il ne peut pas y avoir d’Europe sans solidarité. Les pays qui en ont besoin doivent pouvoir désormais bénéficier du mécanisme européen de stabilité puisqu'il a été officiellement mis en place.

Agissons sans attendre et ne cherchons pas toujours un prétexte pour retarder les décisions !

La France est favorable à ce que l’on aille même plus loin, vers une mutualisation d’une partie de la dette par l’émission d’eurobonds. Elle est aussi favorable à une nouvelle législation bancaire qui sépare la gestion des dépôts des activités à risque. Nous voulons que la finance, en France comme en Europe, soit exclusivement mise au service de l’économie, et non de la spéculation. Cette réforme bancaire, à la suite du rapport Liikanen, nous la ferons, mais nous souhaitons qu'elle soit également réalisée à l'échelle de l’Europe tout entière.

La troisième exigence, c’est la légitimité démocratique. Il n’y aura pas d'étape supplémentaire dans l'approfondissement de l'Europe et dans son intégration solidaire sans adhésion des peuples. Dans le processus de décision, l’articulation entre le niveau européen et le niveau national doit faire l’objet d’une attention particulière, et cela doit passer autant par une reconnaissance accrue du Parlement européen que par la place consacrée aux parlements nationaux.

Aller plus loin, c’est aussi relever le défi de l’Europe sociale, qui n’a jamais bénéficié du même niveau de priorité que la mise en œuvre du marché unique et de l’intégration monétaire. Il faut que l’Europe sociale arrête d’être un slogan pour devenir une réalité. Je pense à la lutte contre le chômage de masse, les exclusions et les discriminations sociales. En favorisant la convergence sociale et fiscale sur notre continent, nous réconcilierons l’Europe et les citoyens.

Œuvrer pour la convergence fiscale, cela signifie concrètement que la concurrence fiscale déloyale doit être combattue. La France mènera cette bataille au niveau européen. §

Quant à l'éducation et la formation tout au long de la vie, vous le savez, c'est une priorité nationale. La France plaidera pour que tous les Européens, quel que soit leur niveau de qualification, aient la possibilité de se former dans un autre pays de l’Union européenne. Elle veillera au respect du principe de subsidiarité, parce qu'il faut tourner la page des dérives et en finir avec l’Europe des pratiques tatillonnes et des règlementations inutiles. Vous en connaissez tous des exemples, aussi ne m'étendrai-je pas sur ce point. L’Europe doit se concentrer sur ses missions essentielles.

Nous, Français, sommes particulièrement attachés à la question des services publics, même si nous ne sommes pas les seuls en Europe. La France travaillera donc à l’élaboration d’une directive-cadre sur les services d’intérêt économique général pour préserver la conception des services publics qui est la nôtre.

L’Europe doit se doter, enfin, d’une grande politique industrielle, qui ne peut se réduire aux règles de la concurrence. Nous avons souvent le sentiment que la politique économique et industrielle de l'Europe repose sur la seule loi de la concurrence. Nous savons bien que cela ne peut pas marcher ! Cette politique doit passer par l’engagement de deux grands chantiers, celui de l’innovation et celui de la réindustrialisation. La recherche européenne est performante, mais elle ne se traduit pas suffisamment en projets innovants. Nous devons maintenant inventer les « Airbus » de demain, éliminer les freins à l’innovation et relever le défi de la compétitivité.

Le Président de la République s’est aussi prononcé pour une communauté européenne de l’énergie et pour une politique environnementale à l’échelle du continent. Voilà un formidable défi pour l’avenir ! Si nous savons y consacrer les moyens nécessaires, la transition énergétique sera au cœur du processus de croissance verte et permettra la création de millions d’emplois en Europe.

Pour améliorer notre compétitivité, nous avons besoin d’une Europe qui sache défendre ses intérêts à l'échelle du commerce mondial. Cette politique doit être fondée sur le juste échange et la réciprocité et elle doit être mise en œuvre au niveau européen. Si nous voulons préserver nos intérêts, ceux de notre pays, mais aussi ceux de l'Europe, à l'échelle du commerce mondial, il nous faut promouvoir, affirmer et imposer des règles du jeu qui prennent en compte notamment les normes sociales et environnementales, auxquelles nous, Européens, sommes particulièrement attachés.

Très souvent, l’Europe fait preuve de naïveté même vis-à-vis de partenaires parmi les plus avancés et les mieux intentionnés, qui savent aussi préserver leurs intérêts. Elle doit être capable de faire face – nous y veillerons – à des concurrents qui n’hésitent pas à défendre pied à pied leurs positions.

C'est l'une des conditions de la confiance des Européens dans l'Europe. C’est aussi ce qui permettra à l’Europe de continuer d'exister avec force sur le plan économique et commercial ; sinon, nous amorcerons, non seulement à l'échelle de la France, mais aussi à celle de toute l'Europe un déclin dont nous ne voulons pas.

Mesdames, messieurs les sénateurs, les dirigeants européens auront aussi à se prononcer sur les perspectives financières et budgétaires de l'Europe. La majorité précédente avait fait de la baisse de la contribution française sa seule priorité. Telle n'est pas la volonté de mon Gouvernement. Nous sommes favorables à son maintien à un niveau élevé, en tenant bien évidemment compte des contraintes budgétaires de chacun, y compris des nôtres.

En effet, si l’on s’inscrit dans une logique de pure baisse, rien ne sert de faire des discours sur la défense de la politique agricole commune, sur la cohésion, sur les fonds structurels ou encore sur le Fonds social européen ! Le niveau du budget doit être suffisant.

Sur ce plan, un accord doit être trouvé, en particulier avec l’Allemagne. Il y va de la défense des intérêts de l’Europe, comme de ceux de la France !

Mesdames, messieurs les sénateurs, soyons cohérents ! Je vous appelle à être vigilants sur ce point ! §

Hier, à l’Assemblée nationale, les députés ont ouvert la voie à la ratification du traité. Avec 477 voix contre 70, une très large majorité s’est exprimée en sa faveur.

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