Intervention de Daniel Reiner

Réunion du 10 octobre 2012 à 14h30
Nouvelles perspectives européennes — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Daniel ReinerDaniel Reiner :

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous présente d’emblée les regrets de M le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées de ne pouvoir être présent parmi nous aujourd'hui. Il participe, avec une délégation de notre commission, à l’assemblée générale des Nations unies qui se tient actuellement à New York.

C’est en tant que vice-président de cette commission que j’interviens dans ce débat. Mais c’est aussi, et peut-être surtout, en tant qu’européen convaincu et lucide.

Mes chers collègues, vous le savez, comme certains autres de nos collègues aujourd'hui présents sur ces bancs je suis lorrain. Chaque année, depuis les derniers jours d’août, anniversaires des premiers combats de 1914, à novembre, mois qui vit les derniers affrontements de la Seconde Guerre mondiale, je rends hommage à la mémoire des victimes de ces conflits en parcourant, avec mes collègues de la région, les dizaines de cimetières militaires qui jalonnent notre région. Y reposent, parfois côte à côte, les milliers de jeunes Français, Allemands, Américains ou autres, tombés sur ces terres des marches de France.

Pendant vingt siècles – en moyenne trois fois par siècle –, la Lorraine a connu des invasions, des conflits, les horreurs et les misères de la guerre !

En ma qualité de lorrain, je n’oublie jamais que c’est dans la réconciliation franco-allemande et grâce à la construction de l’Europe que nous vivons et que nous connaissons la paix depuis près de soixante-dix ans ! §

Il est essentiel d’apprécier les événements du moment à l’aune de cette histoire ! La paix est notre bien précieux. Il faut le répéter sans cesse, en particulier à l’adresse des jeunes générations, qui pourraient l’oublier.

Pourtant, la crise financière et des dettes souveraines, liée, pour une grande part, aux dérégulations libérales, voire ultralibérales des années quatre-vingt, a été une véritable surprise stratégique. Elle a agi comme un catalyseur d’évolutions qui étaient déjà à l’œuvre depuis plusieurs années.

Les États européens, pris à la gorge par la désindustrialisation – à laquelle ils avaient, d'ailleurs, consenti –, par le malaise social, par une précarité financière inédite et par de sombres perspectives économiques, sont confrontés à la montée en puissance accélérée de nouvelles puissances désormais largement « émergées », qui poursuivent leur décollage économique et qui, après avoir été l’atelier de l’Occident, en deviennent les « banquiers ».

Comme le relève Hubert Védrine, le fait majeur de ce début du XXIe siècle est la fin du monopole occidental de la richesse et de la puissance. Si nous n’arrivons pas à la résoudre, la crise européenne ne fera qu’accélérer le grand mouvement de rééquilibrage avec ces pays émergents. Quelle politique l’Europe entend-elle mener pour que ce rééquilibrage ne signe pas son déclin ? Telle est la vraie question qui se pose aujourd'hui.

Il y a de quoi inquiéter dans la désaffection croissante des opinions publiques à l’égard de l’Union européenne, dans la perte de confiance en son devenir, voire dans la montée du populisme et du retour des nationalismes en Europe.

Ma conviction est que, une fois que l’Europe aura passé le cap de la crise de l’euro, qui mobilise aujourd’hui son énergie, il lui faudra, pour exister sur la scène internationale, rebâtir un projet politique, retrouver sa légitimité aux yeux de nos concitoyens. L’Europe doit à nouveau être associée à un projet, elle qui paraît souvent aujourd’hui génératrice de normes, de règles, d’austérité et de sanctions. Elle doit faire la preuve qu’elle est capable de porter une stratégie, au bénéfice des citoyens européens, des producteurs, des salariés, des consommateurs.

Pour donner de nouvelles perspectives, redonner un sens à l’Europe, il ne suffit pas de renforcer les mécanismes de discipline budgétaire. Il faut aussi que l’Europe sache susciter l’adhésion des citoyens et se donne les moyens de répondre à leurs angoisses, à leurs inquiétudes et à leurs attentes. En effet, c’est à partir de ces préoccupations que l’on pourra rétablir la confiance.

Dans certains domaines, les attentes sont particulièrement fortes. Permettez-moi de citer trois d’entre eux.

Le premier est bien évidemment celui de la croissance et de l’emploi.

C’est, on le sait, la première et principale préoccupation des Français et des Européens. Pendant longtemps, la construction européenne a été, pour nous, synonyme de progrès et de prospérité. Aujourd’hui, dans un contexte marqué par l’atonie de la croissance, la persistance du chômage et les délocalisations, l’Europe ne répond plus aux attentes et aux inquiétudes ; il faut en prendre acte.

Pire, au regard de la mondialisation, l’Europe n’apparaît plus comme une chance, mais comme une menace, ce qui est un paradoxe. Le bilan de la stratégie de Lisbonne s’est révélé très décevant, et la zone euro n’a pas rattrapé son retard en matière de croissance et de création d’emplois.

Or ce continent peut être un formidable levier pour adapter la mondialisation et résister à la toute-puissance du marché. L’Europe peut être un atout pour la croissance économique et la création des emplois. Encore faut-il qu’elle ait la volonté et qu’elle se donne les moyens, y compris financiers, de réaliser ces objectifs.

Certes, pour répondre à la crise financière et préserver la monnaie unique, renforcer la discipline budgétaire est nécessaire. Mais la seule réduction des déficits publics ne peut tenir lieu de politique : il est indispensable qu’elle s’accompagne d’une relance de la croissance et de l’emploi. C’est le sens que je donne au Pacte européen pour la croissance et l’emploi, adopté à l’initiative du Président de la République.

Deuxième domaine où les attentes des citoyens européens sont fortes : la convergence sociale et fiscale.

Au-delà de la diversité des systèmes, comment préserver l’originalité du modèle social européen qui figure au cœur de l’identité européenne ?

Non, l’Europe ne peut se résumer à un grand marché. L’Europe que nous voulons n’est ni celle de la compétition vers le « moins-disant » en matière fiscale ou sociale, ni celle des délocalisations ou encore de l’ouverture sans limite de nos marchés à la concurrence déloyale de pays qui ne respectent pas les normes élémentaires dans ces matières.

Au contraire, nous devons progresser vers la convergence et faire en sorte que l’Europe soit plus ferme en matière de réciprocité et de respect des normes sociales dans ses échanges commerciaux.

Dans une Europe élargie, plus hétérogène, cette dimension sociale doit rester au cœur du projet européen.

La « préférence communautaire » n’est pas un vain mot : elle doit retrouver toute sa place au sein des politiques communautaires. Nous voulons une véritable politique industrielle européenne, un soutien à de grands projets européens dans des secteurs à forte valeur ajoutée, comme les énergies renouvelables ou les technologies de l’information.

Le troisième défi est de bâtir une véritable politique étrangère et de défense.

J’en suis convaincu, dans ce domaine, nous pouvons faire tellement mieux !

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