Intervention de Simon Sutour

Réunion du 10 octobre 2012 à 14h30
Nouvelles perspectives européennes — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Simon SutourSimon Sutour, président de la commission des affaires européennes :

L’étape suivante, l’émission d’euro-obligations, devra être franchie un jour ou l’autre, et le plus tôt sera le mieux.

L’Europe a également besoin d’un meilleur équilibre entre rigueur et croissance. Je ne veux pas aborder ce sujet en termes manichéens. Presque tous les pays membres ont des finances publiques dégradées à la suite de la crise bancaire. Face à cette dégradation, ils doivent aujourd’hui réaliser l’assainissement indispensable. On ne peut cependant s’en tenir là. La rigueur à l’échelon national doit avoir pour contrepartie, à l’échelon européen, des mesures propres à encourager l’activité et à donner des perspectives. On ne peut avoir l’austérité pour seul horizon.

Le Conseil européen de juin a pris à cet égard des décisions importantes. La priorité est aujourd’hui de faire en sorte que ce rééquilibrage se concrétise sans tarder : il y a là une question de crédibilité pour l’Europe.

C’est, selon moi, dans ce nouvel esprit qu’il faudrait considérer les négociations en cours sur le cadre financier pour 2014-2020. À cet égard, monsieur le Premier ministre, je salue les propos que vous avez tenus sur la position de la France et sur sa participation. En effet, si l’on commence par dire qu’on diminue le budget de l’Union européenne, c’en est fini des grandes politiques européennes ; ce ne serait pas cohérent.

Il est compréhensible que, dans le contexte actuel, les pays fortement contributeurs cherchent à maîtriser le prélèvement européen sur le budget national. Pourtant, si nous persistons à considérer ces négociations comme un jeu à somme nulle, nous ne parviendrons pas à un résultat porteur d’avenir. Or, qu’il s’agisse de la politique de cohésion, de la politique agricole commune, de la politique de recherche et d’innovation, sans ces grandes politiques européennes, nous n’arriverons pas à rééquilibrer durablement rigueur et croissance. La politique de cohésion est essentielle au maintien de l’investissement public en Europe et à une plus grande justice sur l’ensemble des territoires européens. La politique agricole est une politique d’avenir dans un domaine où l’Europe a des atouts importants, même si la manière dont s’opère l’attribution des aides, en particulier à l’échelon national, doit être réorientée. Quant au soutien à la recherche et à l’innovation, il est nécessaire à la compétitivité européenne.

Cela doit nous inciter à chercher éventuellement des financements proprement européens, en complément des prélèvements sur les budgets nationaux, pour dégager des moyens suffisants en faveur de ces politiques.

Je sais qu’il est très difficile d’obtenir le consensus sur de nouvelles ressources propres ou de nouvelles possibilités d’emprunt à l’échelon européen. Il reste que l’on peut dire aujourd'hui que le Gouvernement a mis en place, avec onze autres pays, une taxe sur les transactions financières au niveau européen, alors que cela paraissait impossible voilà quelques années. On nous dira que ce n’est pas suffisant, mais c’est un début et c’est extrêmement positif.

Nous ne devons pas renoncer à l’idée d’un budget européen qui soit, certes, très ciblé, mais ambitieux, car si une austérité européenne venait s’ajouter aux austérités nationales, on voit mal d’où pourrait venir la relance de l’activité.

Je voudrais évoquer un troisième rééquilibrage, moins souvent mentionné, quoi que vous en ayez parlé, monsieur le Premier ministre, mais il n’est pas sans lien avec les précédents : il concerne les rapports entre les exécutifs et les parlements dans le fonctionnement de l’Union.

À l’occasion de la crise financière, nous avons vu le centre des décisions se déplacer vers la zone euro et prendre une forme largement intergouvernementale. Alors que le traité de Lisbonne organise un renforcement du contrôle parlementaire, tant du Parlement européen que des parlements nationaux, les parlements se sont trouvés à l’écart. Cette situation a favorisé l’émergence du « directoire » franco-allemand. Et elle a sans doute contribué à ce que s’installe un déséquilibre entre les préoccupations d’assainissement financier, d’une part, et les préoccupations de retour à la croissance, d’autre part.

Cette nouvelle forme de « déficit démocratique » doit être comblée. Or elle ne peut l’être uniquement en associant davantage le Parlement européen aux décisions. Le Parlement européen doit, bien sûr, prendre toute sa place, mais il ne peut régler le problème à lui seul. Pourquoi ? D’abord, parce qu’il représente collectivement les vingt-sept pays membres et n’a pas de formation propre à la zone euro : c’est même une Britannique qui préside la commission économique et monétaire du Parlement européen. Ensuite, parce que le renforcement de l’Union économique et monétaire aboutit à coordonner et à encadrer de plus en plus les politiques économiques et budgétaires des États membres, qui sont votées par les parlements nationaux. Il convient donc de mieux associer ces derniers en amont.

Comment procéder ? Nous avons besoin d’un instrument interparlementaire, comprenant des parlementaires européens et des parlementaires nationaux, qui puisse se réunir soit en format « Union européenne », soit – c’est devenu indispensable – en format « zone euro », et qui soit en mesure d’avoir un véritable dialogue politique avec les instances exécutives de l’Union.

La commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale vient d’adopter une proposition de résolution en ce sens, qui est très proche, dans son esprit, de celle qu’avait adoptée le Sénat à l’unanimité au mois de mars dernier. Cette proposition ayant recueilli un très large consensus. Je suis persuadé que le Gouvernement nous apportera son soutien pour aller dans cette direction.

Le dernier rééquilibrage que je voudrais évoquer a trait aux rapports entre l’échelon européen et l’échelon national. Lors de la préparation de ce qui est devenu le traité de Lisbonne, il a beaucoup été question de clarifier le partage des compétences, et le traité tend à aller dans ce sens. Toutefois, on voit bien chaque jour que l’échelon européen et l’échelon national sont en réalité indissociables et fonctionnent en interaction. On ne pourra jamais parvenir à un partage très clair des compétences. Mieux vaut essayer, au cas par cas, de faire prévaloir le principe de subsidiarité, de considérer quel est le meilleur échelon pour agir et de voir comment les responsabilités doivent se combiner.

Le traité de Lisbonne, qui a décidément beaucoup de vertus, a marqué un progrès à cet égard en instituant le contrôle de subsidiarité confié aux parlements nationaux. Cette année, pour la première fois, sur l’initiative de notre assemblée, les parlements nationaux ont été assez nombreux pour adresser un « carton jaune » à la Commission européenne au sujet d’un texte concernant le droit de grève des travailleurs détachés. La Commission était donc censée « revoir sa copie », mais elle a finalement retiré son texte. Quoi qu'il en soit, cela nous montre que ce contrôle fonctionne.

Toutefois, on aurait envie que le principe de subsidiarité fonctionne en quelque sorte dans les deux sens. Montesquieu ne dit-il pas dans De l’esprit des lois que le véritable art politique consiste à « savoir dans quels cas il faut l’uniformité, et dans quels cas il faut des différences » ?

Il est vrai que la Commission européenne – même si beaucoup de progrès ont été réalisés dans ce domaine – continue de temps à autre à vouloir introduire l’uniformité dans des domaines où l’on pourrait sans inconvénient laisser subsister des différences.

Mais on peut faire tout autant la critique symétrique : l’Union continue à ne pas s’affirmer suffisamment dans des domaines où, indiscutablement, c’est pourtant à elle qu’il reviendrait d’agir.

Malgré tout un luxe de dispositions dans le traité de Lisbonne, nous ne voyons pas véritablement émerger la politique étrangère et de sécurité commune qui donnerait à l’Union plus de poids dans les relations internationales – mon collègue Daniel Reiner a largement développé ce point. Le constat n’est pas plus encourageant pour ce qui concerne la politique de sécurité et de défense commune, alors que l’état des efforts nationaux en souligne plus que jamais la nécessité.

De même, le minimum d’harmonisation fiscale et sociale auquel on pourrait s’attendre au sein d’une Union n’est toujours pas atteint ; nous en sommes même très loin !

On pourrait également mentionner la lenteur des progrès en matière de justice et d’affaires intérieures, alors que le traité de Lisbonne donne à l’Union beaucoup d’instruments pour agir à cet égard.

Je sais que des réflexions sont en cours concernant une nouvelle révision des traités, afin de relancer la construction européenne. Je ne suis pas sûr, pour ma part, que le moment soit venu de se replonger dans le débat institutionnel, avec tous les risques que cela comporte. Dans le contexte actuel, mieux vaut utiliser toutes les potentialités des traités et se limiter à des révisions ponctuelles, si elles sont vraiment indispensables.

Le débat institutionnel peut parfois servir d’alibi pour ne pas agir. Les progrès que nous réalisons en ce moment même pour parvenir à une véritable union bancaire se font dans le cadre des traités ; il s’agit pourtant d’un changement majeur.

De même, la plupart des suggestions étudiées par le rapport Van Rompuy sur l’approfondissement de l’Union économique et monétaire n’exigeraient pas nécessairement une révision des traités, ou pourraient passer par une révision ponctuelle.

Rien, aujourd'hui, ne serait pire pour l’Europe que de s’enfermer dans un débat byzantin sur le fédéralisme – même si j’ai personnellement une certaine inclination pour cette solution –…

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