Intervention de Pierre Laurent

Réunion du 10 octobre 2012 à 14h30
Nouvelles perspectives européennes — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Pierre LaurentPierre Laurent :

Mes chers collègues, l’Histoire s’accélère : ou bien l’Europe poursuit sa fuite en avant avec toujours plus d’austérité et de confiscation des pouvoirs, et elle laissera toujours plus de terrain aux apprentis sorciers qui prônent la dissolution de la zone euro et le retour au choc des égoïsmes nationalistes ; ou bien elle choisit la voie de la solidarité et de la démocratie, et c’est alors un projet de refondation de l’Union européenne qui doit être d’urgence mis en chantier.

Voila trente ans que l’objectif numéro un de l’Union européenne est d’être attractive pour des capitaux qui n’ont ni patrie ni sens de l’intérêt général ! Voila trente ans que tous les pouvoirs, à commencer par le pouvoir monétaire, ont été mis au service de la finance, qui dispose du droit de vie ou de mort sur les outils productifs !

Privatisations, déréglementation, reculs des droits sociaux et mise en concurrence sont allés de pair avec les missions d’une Banque centrale européenne qui n’a été indépendante qu’à l’égard des peuples et de leurs besoins, et dont le seul rôle a été de protéger les marchés.

Et quand la crise a éclaté, qu’a décidé le Conseil européen ? De soutenir la finance, encore et toujours ! Tous les dispositifs mis en place l’ont été sans contrepartie pour les banques. Seuls les peuples ont été forcés de payer l’addition.

Recapitalisations, FESF, MES, Six-pack, pacte « euro plus »… que de termes et sigles barbares dissimulant systématiquement des plans d’austérité qui ne le sont pas moins, et dont la « troïka » est la sinistre ambassadrice !

Résultat, on parle aujourd'hui de « crise humanitaire » en Grèce. La situation sociale est explosive en Espagne, au Portugal, où le chômage de masse est devenu la règle pour les jeunes et pour les femmes. La récession menace l’ensemble de la zone euro. Et ce n’est guère plus brillant en France.

Si des ruptures ne sont pas opérées, c’est l’idée même d’Union européenne qui est menacée. Aujourd’hui, donner des perspectives à l’Europe, c’est agir pour une refondation de l’Union européenne au service des Européens, dans la coopération. Or, jusqu’à ce jour, ce n’est pas le chemin qui est pris : cela n’a pas été évoqué lors du sommet européen du mois de juin dernier et cela ne figure pas non plus à l’ordre du jour des prochains sommets, notamment celui des 18 et 19 octobre.

Nous proposons, pour notre part, trois chemins pour refonder l’Union européenne. Du reste, vous devriez écouter les forces critiques qui refusent ce traité et qui, comme nous, travaillent à des propositions de réorientation.

Je pense par exemple à la Confédération européenne des syndicats, qui, pour la première fois de son histoire, rejette en bloc un traité. Je pense aussi, en France, aux 65 organisations politiques, associatives et syndicales qui appellent ouvertement à la non-ratification – pour une Europe solidaire ! –, aux 80 000 personnes qui étaient dans la rue le 30 septembre à Paris ou aux 120 économistes qui viennent de publier un appel dans le même sens.

Le premier des chemins à emprunter, c’est la rupture avec l’austérité. Il faut sans attendre donner la priorité au redressement social et productif de la France et de l’Europe.

La crise de l’Union européenne n’est pas une crise de la dette. Sans création de richesses, nous ne résoudrons aucun problème.

C’est pourquoi le chemin qu’il faut suivre, c’est l’harmonisation des standards sociaux, pour lutter contre le dumping social et les délocalisations. Il faut choisir la coopération industrielle pour construire la mutation sociale et écologique, et non plus la concurrence. Il faut cesser d’attaquer la protection sociale et la formation, qui sont des atouts, et non des obstacles à notre productivité. La promotion des services publics doit reprendre le pas sur les privatisations.

Allons-nous laisser Mittal dépecer la sidérurgie européenne et les constructeurs automobiles s’entre-tuer en Europe ? Allons-nous laisser les fusions financières piller le trésor EADS, sacrifier la chimie et la pharmacie ? Allons-nous assister à ce massacre sans que jamais la France appelle l’Europe à la mobilisation et à la reconstruction d’une politique industrielle digne du XXIe siècle ?

Vous savez qu’une véritable politique de redressement productif nécessite la mobilisation massive de ressources financières au service d’une stratégie industrielle publique européenne. Comment ferons-nous si les robinets du crédit restent fermés sauf pour nourrir des actionnaires avides de dividendes ?

Dès lors, le deuxième chemin est celui de la reconquête des pouvoirs bancaire et monétaire, au service du redressement social et productif.

La bataille pour le changement du statut et des missions de la Banque centrale européenne doit être un objectif central, et la France doit la mener sans faillir.

L’appel des économistes que j’ai évoqué contient plusieurs propositions pour une expansion coordonnée de l’activité, de l’emploi et des services publics. Je pense notamment au financement direct, sélectif et à bas taux, par la BCE, des organismes publics de crédit.

Un fonds européen de développement social et écologique pourrait appuyer une telle dynamique. Et l’Union européenne devrait reprendre le contrôle sur la finance, par exemple en interdisant les échanges d’obligations souveraines sur les marchés de gré à gré, autrement dit la spéculation sur la dette, en limitant strictement la titrisation et les produits dérivés et en taxant les mouvements financiers spéculatifs.

Tout cela est indispensable.

Le troisième chemin est la démocratie. L’Union européenne est devenue un empire autoritaire où la voix des peuples est sans cesse bafouée.

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