Intervention de Fabienne Keller

Réunion du 10 octobre 2012 à 14h30
Nouvelles perspectives européennes — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Fabienne KellerFabienne Keller :

Baignés dans une actualité économique et sociale européenne morose et pessimiste, les Français ont le sentiment que l’organisation et le mode de fonctionnement de l’Union européenne sont inefficaces et ne sont plus adaptés pour les protéger des crises successives.

Nous le constatons tous sur le terrain, les règles européennes qui influent directement sur la vie des Français souffrent d’un manque de visibilité et de légitimité démocratique. Nos concitoyens comprennent de moins en moins les contraintes imposées par l’Europe. Elles deviennent à leurs yeux, au fur et à mesure que la crise s’aggrave, de plus en plus discutables… notamment parce qu’elles ne sont pas assez discutées !

Les citoyens européens ont l’impression que l’Europe se construit sans les consulter. Tous, et parmi eux les Français, demandent une Europe plus démocratique et plus légitime, dans laquelle ils se sentiraient mieux pris en compte et représentés.

Il est donc nécessaire, mes chers collègues, de sortir du paradoxe d’un Parlement européen très soucieux de démocratie – je veux en témoigner ici –, mais qui peine à faire entendre la voix des citoyens qu’il a la charge de représenter.

La construction européenne est inaboutie. Avec, d’un côté, l’échelon national, de l’autre, l’échelon européen, nous sommes pris entre deux difficultés : notre échelon national est légitime, mais il ne possède plus les leviers et les compétences pour faire face à la crise d’une ampleur inégalée que nous connaissons ; l’échelon européen est outillé pour résoudre la crise, mais, faute de légitimité démocratique, il est bien souvent rejeté par les peuples.

Nous sommes à la croisée des chemins et devons faire un choix.

Première voie possible, nous retournons à une gestion économique et politique nationale : ce ne serait ni souhaitable ni efficace. La France est grande, mais le monde change. La Chine, le Brésil, les États-Unis, l’Inde, le Japon sont autant de puissances politiques intégrées, aux pouvoirs politique et économique forts. La France est-elle armée pour lutter à moyen et long terme contre ces puissances ? Évidemment, non !

Seconde voie, nous décidons d’aller vers une plus grande intégration, non seulement économique, mais aussi et surtout politique et sociale, au niveau européen. Cette voie, qui a été évoquée par plusieurs de mes collègues siégeant sur diverses travées, fait, me semble-t-il, l’objet d’un véritable consensus, mais il nous faut maintenant avancer dans sa direction. Si l’Europe se voit conférer par le TSCG de nouveaux pouvoirs pour surveiller les budgets nationaux comme pour imposer des mesures d’austérité et des réformes, elle devra aussi participer à une véritable union politique, avec un Parlement européen et un Président de l’Europe forts.

Nous devrions approfondir l’idée d’un Parlement à « 17 + », c’est-à-dire d’un lieu démocratique réunissant les députés européens et des délégations des parlements nationaux des pays de la zone euro, auxquels pourraient s’adjoindre les autres États membres qui souhaiteraient s’associer à cette première étape vers l’intégration politique et sociale.

Autre suggestion de ma part, à l’échelon non plus européen mais national cette fois, le Sénat pourrait également assurer sa part en construisant un lieu de débat et de rencontre, non seulement entre les niveaux européen et national – pratique qui existe déjà –, mais aussi avec les acteurs de terrain, les maires et les représentants des collectivités territoriales notamment.

Ce lieu servirait de cadre pour aborder des problématiques qui nous concernent tous. Je pense, par exemple, à la mise en œuvre des directives européennes dans le domaine de l’environnement : souvent difficile, car mal acceptée sur le terrain, elle pourrait être facilitée grâce à des discussions plus approfondies et à une meilleure prise en compte des réalités.

Ce moment historique de la construction européenne appelle le retour d’une véritable démocratie européenne, qui ne soit pas seulement celle des scrutins, mais aussi celle des esprits et des consciences.

C’est en développant le sentiment d’appartenance que nous pourrons résoudre ensemble le problème de la crise de confiance à l’égard de l’Europe. Pour que chacun puisse se sentir vraiment intégré et pour que nous puissions partager une communauté de destin, il nous faut aussi partager des valeurs communes et même, j’ose le dire, un idéal.

Strasbourg, … §Strasbourg et son histoire ont toute leur place dans cette quête. Strasbourg, presque évoquée tout à l’heure, de manière subliminale, par François Rebsamen, n’est pas seulement le symbole de la paix entre la France et l’Allemagne. C’est aussi le symbole de la capacité, à un moment historique, quelques années après un drame inouï, de construire une nouvelle vision partagée, un nouvel avenir, de reconstruire le dialogue, d’ouvrir la voie à la négociation et aux concessions entre deux pays qui étaient des « ennemis héréditaires ».

Strasbourg n’est pas seulement le symbole d’une histoire. C’est surtout l’incarnation d’une méthode profondément européenne : la construction d’un projet partagé, de perspectives communes qui permettent de dépasser les difficultés actuelles et de rassembler les Européens autour d’une vision d’avenir.

Or l’Europe manque de vision. L’Europe, telle que nous la connaissons, celle de la CEE puis de l’UE, et de l’euro, repose sur des fondements réglementaires et économiques, reléguant au second plan les dimensions politiques et symboliques. On parle souvent du rêve américain. Il nous faut proposer un rêve européen, …

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