Intervention de Bruno Retailleau

Réunion du 10 octobre 2012 à 14h30
Nouvelles perspectives européennes — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Bruno RetailleauBruno Retailleau :

Ce serait un saut dans le vide. Ce n’est pas que l’Europe ne soit pas pour moi un idéal, mais je suis convaincu que les peuples ne veulent pas faire ce saut. Il n’existe pas aujourd’hui de peuple européen. Il faut progresser encore sur la voie de l’unité, en essayant de la penser dans la diversité. Sans les démocraties nationales, vous tomberez dans le vide et vous ne créerez rien : il y aura sans doute une construction juridique, un mécano institutionnel, mais il sera dépourvu de sens politique, il ne constituera pas une communauté politique.

Jean-Louis Bourlanges, qui est une référence pour certains d’entre nous, a fait ce constat désabusé mais lucide : « l’Union européenne n’est pas parvenue à franchir la porte sacrée du politique ». Cela signifie que l’Europe demeure en construction. Il faut respecter les démocraties nationales, sinon vous ne pourrez pas inventer cette démocratie européenne qui n’existe pas encore. C’est un fait : quand vous chassez les démocraties nationales, vous chassez en même temps la politique. Il faut approfondir la coopération, justifier l’Europe par le passé – par la paix qu’elle a apportée, bien sûr ! – mais aussi, et plus encore, par le présent et l’avenir, par des résultats concrets.

J’en viens au domaine économique. C’est dans ce domaine qu’il faut changer l’Europe, car elle s’est fourvoyée. Faute de connaître son cap, elle s’est abandonnée, depuis une vingtaine d’années, à toutes les modes qui se sont succédé : elle a été tour à tour ultralibérale, lors des négociations avec l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC, et ultra-dirigiste, ultra-bureaucratique quand il s’agissait d’appliquer depuis Bruxelles le droit de la concurrence dans toute sa rigueur.

Monsieur le ministre délégué, l’Europe n’est-elle qu’un sucre fondant dans le grand bain de la mondialisation ? Qu’est-ce que l’Europe et à quoi sert-elle, nous demandent nos concitoyens, si elle ne les protège pas un minimum des dégâts de la mondialisation ? Nous voulons une Europe qui nous protège et non une Europe qui nous interdise de nous protéger.

Toutes les statistiques montrent – vous le savez parfaitement – que nous sommes la zone douanière la moins bien protégée au monde. Oui à la concurrence, mille fois oui à la compétition, mais non à la concurrence déloyale ! Il faut une concurrence équilibrée. Pourquoi l’Europe ouvre-t-elle tous ses marchés publics à tous les vents, alors que de grandes nations, y compris occidentales, les ferment au contraire ? Nos concitoyens nous demandent une Europe du concret et non de l’abstraction. C’est en construisant une Europe dont les fruits améliorent leur quotidien que nous pourrons les faire adhérer à notre projet.

L’Europe doit protéger nos concitoyens et nos marchés, mais aussi nos producteurs – il ne faut pas seulement penser aux consommateurs : il faut une Europe qui assume ses frontières.

L’obsession de l’élargissement de l’Europe a conduit à une course à l’indéfinition. Or, quand on ignore qui l’on est et ce que l’on est, on se perd dans une crise ontologique : la notion de frontière est nécessaire à une communauté politique.

Si, demain, vous voulez constituer une communauté politique, mes chers collègues, vous devrez assumer des frontières. Citez-moi un seul exemple de communauté politique, dans l’histoire et à travers le monde, qui existe sans assumer ses frontières. La frontière définit un territoire, sans lequel il ne peut y avoir de communauté politique.

Certains d’entre nous voudraient peut-être une société apolitique, une société civile, dirigée par quelques élites éclairées, mais ce n’est pas cela la démocratie, ce n’est pas cela le concret !

L’Europe que nous voulons construire tous ensemble, parce que nous sommes la génération européenne, est une Europe non seulement de l’idéal, mais également de la raison.

(Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Vous devez vous affranchir de cette tutelle intellectuelle. C’est à la gauche, qui a toutes les manettes, tous les pouvoirs, et au Gouvernement de fixer un cap et de changer l’Europe pour qu’elle devienne l’Europe que nous appelons de nos vœux, l’Europe des peuples, et pour qu’elle produise des effets concrets au quotidien.

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