Intervention de Georges Labazée

Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 9 octobre 2012 : 1ère réunion
Les partenariats entre l'etat et les collectivités territoriales — Examen du rapport d'information

Photo de Georges LabazéeGeorges Labazée, rapporteur :

La question des relations partenariales entre l'Etat et les collectivités a été abordée à de nombreuses reprises dans le cadre des états généraux de la démocratie territoriale. Les témoignages des élus locaux ont montré combien ils attachaient d'importance à l'instauration d'une relation de confiance entre l'Etat et les collectivités. Cette confiance passe notamment par le respect de la parole donnée, mais aussi des compétences de chacun.

Or, l'exemple des contrats de projets Etat-régions, qui ont succédé aux contrats de plan Etat-régions, illustre bien ces difficultés. Ils ont instauré une relation asymétrique entre l'Etat et les collectivités. L'Etat n'hésite pas à s'en servir pour faire financer des politiques qui relèvent de sa propre responsabilité par les collectivités. En outre, bien loin de les considérer comme une « ardente obligation », il ne respecte pas toujours ses engagements dans les délais, quand il n'y renonce pas purement et simplement.

Ces critiques ne sont pas nouvelles. Elles n'ont pas empêché les contrats de plan, puis les contrats de projets, d'être pérennisés, et ce bien après l'abandon du plan quinquennal qui les sous-tendait. De fait, si les modalités de ces contrats sont perfectibles, leur approche transversale, partenariale et territoriale représente de fortes potentialités, dont les acteurs du terrain ne demandent qu'à pouvoir se saisir pleinement. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai choisi de centrer ma réflexion sur ce type de partenariat. Je rappelle qu'il est largement préféré aux appels à projets, dont nous avons assisté à la multiplication ces dernières années, avec des effets pervers bien connus : mise en concurrence des territoires, prédominance d'une logique verticale qui va à l'encontre de la décentralisation, perte de cohérence liée à une approche sectorielle des politiques publiques...

Je suis donc convaincu que de nouveaux contrats entre l'Etat et les collectivités doivent prendre le relais des contrats de projets, mais suivant des modalités redéfinies.

La nouvelle étape de la décentralisation aura un impact sensible sur les décisions qui seront prises à ce sujet. Les évolutions concernant la répartition des compétences et la coordination entre les collectivités, notamment, auront des répercussions sur le contenu comme sur la composition des parties prenantes à ces futurs contrats. C'est la nouvelle organisation des territoires qui déterminera in fine les modalités de la contractualisation, et non l'inverse.

Cependant, le calendrier de la future contractualisation est serré, si l'on cherche à conserver une convergence avec les fonds européens, ce que j'encourage vivement pour ma part. Or, la nouvelle génération des fonds européens débutera en 2014. Il importe donc que le cadrage des futurs contrats entre l'Etat et les collectivités au niveau national intervienne suffisamment tôt pour que les négociations dans les territoires puissent avoir lieu dans les meilleures conditions possibles, en articulation avec celles concernant les fonds européens, mais aussi, le cas échéant, la répartition des compétences ou la coordination des acteurs.

C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité lancer le débat dès à présent, en m'appuyant sur des témoignages recueillis à l'occasion d'auditions réalisées à Paris et au cours de trois déplacements (Alsace, Corse, Pays basque). J'ai ainsi notamment pu entendre des représentants de l'Association des régions de France (ARF), de l'Assemblée des départements de France (ADF), de l'Assemblée des communautés de France (AdCF), de l'Association de promotion et de fédération des pays (APFP), ainsi que des représentants des collectivités des territoires visités. J'ai entendu le président de l'Assemblée des CESER de France et des présidents de CESER. Du côté de l'Etat, j'ai rencontré M. Emmanuel Berthier, délégué interministériel à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale. La Direction du Budget, de même que les auteurs d'un rapport du conseil général de l'environnement et du développement durable sur l'avenir des CPER, MM. Philippe Bellec et Eric Sesboüe, ont également été consultés.

Je vous livre désormais les pistes qui se dégagent de ce travail. Il me semble tout d'abord nécessaire de trouver de nouveaux équilibres entre les orientations européennes, la vision stratégique nationale et celle des territoires.

La première proposition évoque la nécessaire reconduction d'une contractualisation entre l'Etat et les collectivités, articulée avec la génération à venir des fonds européens. L'objectif est de permettre une mobilisation à bon escient des fonds européens. Mais il ne s'agit pas de limiter notre politique d'aménagement du territoire aux orientations fixées à Bruxelles. Il faut rester à l'écoute des besoins spécifiques de nos territoires, qui ne correspondent pas toujours aux priorités de la stratégie de Lisbonne ou de Göteborg.

Les contrats doivent reposer sur une politique d'aménagement du territoire ambitieuse, définie en association avec les collectivités. La politique d'aménagement du territoire ne saurait toutefois se résumer à ces contrats : dans les domaines où l'Etat gardera un rôle moteur, il devra assumer ses responsabilités, notamment sur le plan financier. Les futurs contrats doivent concerner des domaines où l'Etat comme les collectivités ont effectivement vocation à intervenir.

Leur lisibilité doit être renforcée par l'élaboration d'une stratégie nationale claire. Leurs axes d'intervention, notamment, gagneraient à être davantage ciblés, comme l'énonce la proposition 2.

Pour préserver leurs possibilités d'adaptation aux territoires, un effort particulier doit être conduit, en parallèle, sur la qualité de la négociation. Pour cela, il convient de veiller à ce que la répartition des enveloppes de l'Etat au niveau national se fasse sur la base de travaux préalables de négociation en région, entre les préfets de région et les collectivités concernées. Il s'agit de la proposition 3.

Les propositions 4 et 5 visent à renforcer la complémentarité de ces contrats avec les autres outils de la politique d'aménagement du territoire. Il s'agit notamment des autres partenariats existant entre l'Etat et les collectivités dans les domaines concernés, qui résultent notamment des appels à projets, ainsi que des outils déployés par les collectivités, tels que les schémas régionaux d'aménagement et de développement durable du territoire (SRADDT).

La prise en compte des spécificités des territoires passe également par un renforcement de l'association des collectivités autres que la région à ces contrats, conformément à la proposition 6. Une forte attente est perceptible à ce sujet dans les territoires. De fait, les intercommunalités ont acquis un rôle majeur dans le domaine de l'aménagement du territoire ces dernières années. Les départements s'y impliquent également, et ne sauraient être cantonnés au rôle de « financeurs en dernier ressort », lorsque les projets ont été arrêtés, comme c'est parfois le cas. Cette association doit être encouragée, au niveau de l'identification des besoins et du choix des projets destinés à y répondre. En Alsace, où notre collègue André Reichardt a bien voulu nous accueillir, la région, les deux départements mais aussi les trois plus grandes villes et leurs intercommunalités sont signataires du contrat, ce qui a été salué par l'ensemble des acteurs concernés. Par cette approche, la logique actuelle du « volet territorial » des CPER serait dépassée. La dimension territoriale serait intégrée dès le départ à la négociation des contrats, au lieu de faire l'objet de déclinaisons infrarégionales spécifiques.

Ensuite, il est nécessaire de renforcer la portée des contrats entre l'Etat et les collectivités, en favorisant le respect des engagements qu'ils contiennent.

À ce titre, la question du calendrier a été évoquée à plusieurs reprises. Leur durée de sept ans permet la recherche d'une convergence avec les fonds européens et la réalisation d'investissements d'une certaine envergure. Mais la révision à mi-parcours telle qu'elle est pratiquée à l'heure actuelle se limite à un exercice purement technique, ce qui rend difficile l'adaptation des contrats à l'évolution du contexte dans lequel ils interviennent. Ne peuvent ainsi être pris en compte les éventuels renouvellements des exécutifs locaux, l'apparition de nouvelles priorités en matière d'aménagement du territoire, ou l'évolution du contexte local qui rend certains projets inadaptés... Sans qu'elle donne lieu à une réouverture complète des négociations, une révision à mi-parcours à l'ambition élargie pourrait apporter une réponse à ces rigidités. C'est le sens de la proposition 7.

Plusieurs acteurs ont également évoqué la nécessité de déterminer une méthode précise de sélection des projets, que je reprends dans la proposition 8. Elle permettrait notamment de renforcer la lisibilité des contrats et d'éviter qu'ils ne soient assimilés à des instruments « fourre-tout ». Elle permettrait également de s'assurer de la faisabilité des projets retenus. Certains des projets ne sont aujourd'hui pas mis en oeuvre faute d'une évaluation suffisante des conditions de leur réalisation ou de leur coût avant leur inscription dans les contrats. Par ailleurs, une attention particulière doit être portée à la plus-value des projets retenus, dans un contexte de raréfaction des deniers publics.

Ce renforcement de la sélectivité des projets ne doit toutefois pas empêcher toute maturation de ceux-ci. Les contrats ne sauraient être réduits à un catalogue de projets conçus individuellement par l'un ou l'autre des acteurs. Dans cette optique, pourrait être intégrée aux contrats une partie prospective, de « mise à l'étude » de projets, prévoyant la prise en charge des études préalables nécessaires à leur inscription dans un contrat ultérieur ou à l'occasion de la révision à mi-parcours. Il s'agit de la proposition 9.

Enfin, un accent doit être mis sur le respect des engagements des parties, qui doit être érigé au rang de priorité pour l'Etat, et ce pour l'ensemble des ministères concernés. La proposition 10 suggère à ce sujet la mise en place d'un organe de médiation, chargé de mesurer les difficultés rencontrées dans ce domaine et d'y apporter des réponses.

Avant de clore cette présentation, permettez-moi d'évoquer les trois déplacements effectués sur trois territoires aux caractéristiques très spécifiques. Les suggestions et propositions recueillies illustrent bien les termes de l'intervention du Président de la République lors des états généraux de la démocratie territoriale des 4 et 5 octobre dernier. L'unité n'empêche pas la diversité et une approche différente des relations entre l'Etat et ses territoires.

Le droit à l'expérimentation a été évoqué à plusieurs reprises. Il appartiendra aux élus de la Nation et à l'Etat de le faire vivre à partir des conférences régionales associant tous les acteurs.

Il en sera ainsi dans le choix fait par les deux départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin et de la région Alsace de ne constituer qu'une seule entité, le conseil unique d'Alsace. Les modalités de cette nouvelle organisation sont en cours de discussion et je suggère que notre délégation - surtout après les propositions du Président Bel - puisse en suivre les différentes étapes.

Les électrices et électeurs de Corse se sont prononcés il y a quelques années pour le maintien des deux conseils généraux au sein de la Corse ; pour l'heure, la question institutionnelle est tranchée. Il convient de rappeler que la collectivité territoriale de Corse dispose de compétences plus étendues que les conseils régionaux.

Enfin, je voudrais souligner l'originalité de la proposition émanant du pays de Pays basque. Ce territoire, partie intégrante du département des Pyrénées-Atlantiques, a bénéficié d'une convention spécifique sur la période 2001-2006, à laquelle a succédé un contrat territorial pour la période 2007-2013.

Comme vous pourrez le lire dans le rapport, le Pays basque s'est appuyé sur la politique des pays pour mener à bien ses projets de développement. Les dispositifs prévus par la loi Voynet, tels que le conseil des élus et le conseil de développement, fonctionnent avec efficacité.

Arrivé au terme de l'actuelle contractualisation, ce territoire tente de définir un nouveau cadre juridique pour mener à bien, dans les prochaines années, de futures relations partenariales avec l'Etat, la région Aquitaine, le département des Pyrénées-Atlantiques.

Avec le concours de juristes, les élus et les acteurs du développement préconisent la mise en oeuvre d'une collectivité territoriale à statut particulier. Il appartient au gouvernement de donner des réponses précises à ce projet, tant au niveau du ministère de la Décentralisation que de celui de l'Intérieur.

Pour ma part, plusieurs questions sont posées. En premier lieu, la question de l'articulation avec les communautés d'agglomération et les communautés de communes existantes et leur capacité à octroyer à cette future entité un certain nombre de compétences dans le domaine économique, environnemental ou culturel. Il en va de même s'agissant des transferts de compétence du département et de la région.

Se pose aussi la question du cadre de gouvernance de cet ensemble et de ses mécanismes financiers (levée de l'impôt, répartition entre les différentes strates, etc.).

Je vous remercie de votre attention et laisse sans plus attendre la place au débat.

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