Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons tend à reconnaître aux anciens conjoints des titulaires de pension militaire d'invalidité le droit à la pension de réversion, concurremment avec le conjoint survivant.
Avant d'analyser le dispositif du texte, je rappelle que les pensions militaires d'invalidité sont destinées à indemniser les infirmités résultant de blessures causées par des événements de guerre, d'accidents survenus ou de maladies contractées du fait ou à l'occasion du service et leur aggravation.
Le montant de la pension est déterminé par un nombre de points d'indice fixé en fonction du taux d'invalidité. La valeur du point d'indice évolue dans les mêmes conditions que les rémunérations publiques.
Par ailleurs, le montant tient compte du grade du pensionné et peut être complété par des allocations spécifiques pour les invalidités les plus graves.
Je signale aussi, pour compléter ce rapide panorama, qu'au 31 décembre 2004 plus de 280 000 pensions militaires d'invalidité étaient servies à des ayants droit, pour un coût de 1, 230 milliard d'euros. Le montant moyen d'une pension en année pleine s'élevait à 4 377 euros, et son montant médian à 1 856 euros. À la même date, 126 000 pensions étaient servies aux veuves et aux orphelins et plus de 7 000, à des ascendants.
Toutes catégories confondues, les crédits des pensions militaires d'invalidité représentent, en 2006, 2, 143 milliards d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement.
J'en aurai terminé avec cette mise en perspective en indiquant que, par construction, l'effectif des bénéficiaires est bien entendu en diminution constante au fil des ans : il devrait reculer à nouveau de 3 % en 2006.
Sur cette toile de fond, le premier objet de la proposition de loi est de réparer une entorse au principe d'équité en matière de droit d'accès à la réversion.
Son second objet, le plus pressant, est de contribuer à porter remède à la situation précaire de nombreuses anciennes femmes d'invalide de guerre.
En ce qui concerne le principe d'équité, je pense, mes chers collègues, que vous serez surpris d'apprendre que les anciens conjoints divorcés de titulaires de pensions militaires d'invalidité ne bénéficient pas du droit à réversion, un droit que, de leur côté, le code de la sécurité sociale et le code des pensions civiles et militaires de retraite reconnaissent aux anciens conjoints divorcés des pensionnés.
Actuellement, en effet, en application des articles L. 1er ter et L. 43 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, seuls les conjoints ou partenaires liés à un ayant droit, au moment de son décès, par le mariage ou par le pacte civil de solidarité ont droit à une pension de réversion. Les anciens conjoints ou partenaires sont écartés.
Pour s'en tenir au cas du mariage, sans doute le plus fréquent, seule la veuve est ainsi en droit de demander la réversion de la pension, quand bien même la première épouse aurait assisté le pensionné pendant de très longues années, quand bien même, ayant été empêchée d'exercer une activité professionnelle du fait de sa présence auprès du mari invalide, elle se trouverait seule et sans ressources après le décès de son ancien mari.
Le code de la sécurité sociale et le code des pensions civiles et militaires de retraite mettent en oeuvre des solutions plus adaptées aux réalités de la vie.
L'article L. 353-3 du code de la sécurité sociale dispose ainsi que « le conjoint divorcé est assimilé à un conjoint survivant pour l'application de l'article L. 353-1 », à savoir l'application des dispositions relatives à la pension de réversion, et que, « lorsque l'assuré est remarié, la pension de réversion (...) est partagée entre son conjoint survivant et le ou les précédents conjoints divorcés au prorata de la durée respective de chaque mariage. »
Quant au code des pensions civiles et militaires de retraite, il prévoit, dans son article L. 44, que « le conjoint séparé de corps et le conjoint divorcé ont droit à la pension » de réversion, l'article L. 45 du même code précisant que « lorsque, au décès du fonctionnaire, il existe plusieurs conjoints, divorcés ou survivants, ayant droit à la pension » de réversion, celle-ci « est répartie entre eux au prorata de la durée respective de chaque mariage. »
La simple équité justifierait d'aligner le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre sur ces dispositions.
Cependant, d'autres raisons que l'objectif un peu « sec » d'alignement juridique justifient l'intervention du législateur.
Année après année, les avis de nos rapporteurs sur le budget des anciens combattants nous rappellent la situation précaire dans laquelle se trouvent de nombreuses veuves auxquelles la réversion des pensions du code et les aides de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre apportent une ressource indispensable.
Face à l'étendue des besoins, avait été décidée, dans la loi de finances pour 2004, une augmentation de quinze points d'indice de toutes les pensions de veuves à compter du 1er juillet 2004. La mesure entraînera, en 2006, un coût budgétaire de 25, 5 millions d'euros.
Je rappelle aussi que, précédemment, l'article 127 de loi de finances pour 2002 avait augmenté la majoration des pensions servies aux veuves des grands invalides de 120 points. La mesure concernait 1 200 veuves, pour un coût budgétaire de 2, 3 millions d'euros.
Je note enfin que, ressortissantes de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre depuis 1991, les veuves sont bénéficiaires de près de la moitié des interventions sociales individuelles de l'Office, devant les anciens combattants eux-mêmes. C'est ainsi qu'en 2004 les services départementaux de l'Office ont dispensé une aide financière à 16 000 veuves, pour un montant global de plus de 5 millions d'euros, sans compter celles qui ont reçu un secours d'urgence pour faire face à des difficultés financières temporaires, à des frais médicaux importants ou encore aux frais d'obsèques de leur conjoint.
S'il en est ainsi pour les veuves, que dire des conjoints divorcés, qui ne bénéficient d'aucun droit, alors que rien ne permet de supposer, bien au contraire, que leur situation est plus favorable que celle des veuves ?
Il est donc indispensable d'aligner, dans ce domaine, le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre sur les dispositions des autres codes.
À cette fin, la proposition de loi tend à insérer dans le code un article L. 48-1 qui ouvre le droit à la pension de réversion au conjoint divorcé non remarié d'un pensionné lui-même remarié.
Permettez-moi de m'attarder quelque peu sur la signification de cette séquence de divorces et de remariages.
La condition de l'absence de remariage pour l'ouverture et le maintien du droit à pension de réversion est habituelle. Elle figure aussi à l'article L. 46 du code des pensions civiles et militaires de retraite, qui dispose que « le conjoint divorcé qui contracte un nouveau mariage ou vit en état de concubinage notoire perd son droit à pension ».
Il est vrai, cependant, que la condition d'absence de remariage a été supprimée du code de la sécurité sociale à partir du 1er juillet 2004. Il n'est pas ici proposé d'étendre cet assouplissement au code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre dans la mesure où l'objectif est de répondre aux besoins des anciens conjoints les plus isolés et les plus démunis, ceux qui ne se sont pas remariés.
La proposition de loi réserve par ailleurs le bénéfice de la réversion aux conjoints divorcés d'un pensionné remarié. Cette dernière précision est, elle, inhabituelle. L'explication en est simple : il s'agissait d'éviter l'irrecevabilité financière du texte dans son ensemble. Nous y reviendrons à l'occasion de l'examen des amendements.
Les pensionnés non remariés ne sont pas, actuellement, susceptibles d'ouvrir un droit à pension de réversion puisque celle-ci est réservée aux conjoints survivants. En écartant les pensionnés non remariés de son champ d'application, la proposition de loi évite de créer une charge nouvelle pour les finances publiques et se contente de répartir différemment la charge existante. Ce détour était indispensable pour lancer le débat.
Au demeurant, la commission a donné un avis favorable supprimant deux amendements identiques supprimant la condition de remariage. J'espère, monsieur le ministre, que vous n'invoquerez pas l'irrecevabilité contre ces amendements.
Le deuxième alinéa du nouvel article L. 48-1 prévoit le partage de la réversion entre les différents conjoints ou anciens conjoints survivants, au prorata de la durée de chaque mariage, calculée à compter de la date d'origine de l'invalidité indemnisée. Il s'agit ici de rendre justice au conjoint ou à l'ancien conjoint qui a assisté le plus longuement le pensionné.
S'inspirant de la solution adoptée par le code de la sécurité sociale, la nouvelle rédaction de l'article L. 46 prévoit que, lors du décès de l'un des bénéficiaires, sa part de la réversion accroît celle de l'autre ou des autres bénéficiaires, tout en réservant les droits des éventuels orphelins mineurs du bénéficiaire décédé.
Par ailleurs, il convient de tenir compte du fait que les droits des enfants d'un premier lit sont actuellement régis par l'article L. 56 du code, qui accorde aux enfants de moins de vingt et un ans, issus d'un mariage antérieur, un droit sur la réversion, concurremment avec la veuve. Ces dispositions doivent désormais être adaptées.
En effet, si l'ancien conjoint survivant devient attributaire d'un droit sur la réversion, il convient naturellement de le substituer à ses enfants mineurs, ceux-ci n'acquérant dorénavant un droit que dans le cas où l'ancien conjoint survivant meurt ou devient inéligible du fait d'un remariage, d'un nouveau pacte civil de solidarité ou d'un concubinage notoire.
Il faut aussi, eu égard à la modification des conditions dans lesquelles les enfants du premier lit acquièrent le droit à une part de la réversion, modifier l'article L. 46 du code, qui fait actuellement passer à l'ensemble des enfants du pensionné décédé les droits détenus par le conjoint survivant lorsque celui-ci meurt ou est inhabile à recueillir la pension.
En fonction de ces différentes nécessités, il est apparu souhaitable de regrouper dans l'article L. 46 du code les dispositions fixant, au cas par cas, les droits de l'ensemble des enfants mineurs. C'est l'objet de l'article 1er de la proposition de loi, l'article 3 modifiant par coordination l'article L. 56 du code.
Telles sont les justifications et le dispositif que la commission des affaires sociales vous invite, mes chers collègues, à adopter.