Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a toujours quelque chose d’émouvant à toucher à une survivance des siècles passés et à essayer de la préparer à affronter le XXIe siècle. Héritage sans doute de modes de gestion médiévaux, banalités et autres alleux, les biens sectionaux nous interrogent, nous législateur, sur notre responsabilité face à l’avenir.
Pendant des siècles, la propriété seigneuriale était quelque peu limitée, afin de garantir un usage collectif, un usufruit aux habitants du lieu.
La Révolution française, consciente que cet usage était nécessaire pour permettre aux plus pauvres d’être non plus des serfs, mais des citoyens avec un minimum vital à exploiter, n’y a pas mis fin. Sans doute parce que d’autres modes de régulation sociale de la solidarité sont apparus, comme les allocations, ce mode de gestion s’est progressivement dévoyé, si bien que quelques-uns de ces biens sont utilisés de façon privative à l’usage exclusif de certains descendants des habitants originels, qui n’ont plus de lien « viscéral » avec eux.
Plusieurs fois réformée au cours des trois dernières décennies, la gestion des biens sectionaux est un véritable sujet politique, c'est-à-dire d’organisation de la cité. Certains maires subissent tellement de déboires avec ces territoires qu’ils finissent par rendre leur tablier… Lorsque l’on connaît le sacerdoce des élus de ces petites communes, on ne peut qu’espérer une simplification du régime juridique de ces biens, ce qui permettrait peut-être d’aplanir les conflits.
Toutefois, ce régime particulier, qui ne s’adresse qu’à une fraction de la population d’une commune, constitue une rupture d’égalité, ces biens produisant des richesses qui peuvent être utilisées seulement dans l’intérêt du territoire de la section, alors même qu’ils appartiennent à la commune dans son entier. Ce point a déjà été souligné.
Cette proposition de loi essaye de rendre plus simple, plus « juridique » et, je l’espère, plus judicieux le régime des biens sectionaux. Toutefois, nous partons de très loin.
Je me réjouis notamment que la proposition de loi reconnaisse la nature publique de la section de commune et définisse clairement la qualité de membre de la section, qui était pour le moins floue jusqu’à présent. On en vient à se demander comment des régimes aussi archaïques et aussi mal définis ont pu perdurer aussi longtemps dans notre droit, alors que la proposition de notre éminent collègue était si simple !
Il semble aussi évident que, par cette réforme, non seulement nous interdisons la création de nouvelles sections, mais nous signons la disparition de l’écrasante majorité des sections de commune, celles qui ne sont plus qu’une coquille vide sans habitants et sans ayants droit. La plupart des 27 000 sections ne fonctionnent pas !
Certes, les sections ne disparaîtront pas totalement, ni tout de suite. Nos successeurs auront certainement à revenir sur ce régime, afin de le mettre de nouveau en cohérence avec les évolutions de notre population et les modes d’habitation des villages.
Plus généralement, nous devrions nous intéresser à la notion de bien public, chère aux écologistes, comme vous le savez, mes chers collègues, ainsi qu’à la manière d’associer les citoyens à cette gestion, à l’exploitation et à l’entretien des biens de la commune.
Il existe aujourd'hui un besoin réel de retisser les liens qui devraient unir toutes les communautés humaines. L’individualisme et l’égoïsme ne sont pas des valeurs qui permettent au citoyen de relever la tête en temps de crise. En revanche, l’entraide, la solidarité et le partage sont les axes de réflexion que nous devons suivre en cette période difficile.
De nombreuses initiatives illustrent mes propos : on voit émerger un peu partout en France les « jardins partagés », des sortes de jardins ouvriers à la dimension collective bien plus marquée.
Si nous associons les usagers à la gestion de ces biens collectifs que sont les aménagements urbains, les locaux collectifs des HLM et les équipements sportifs, nous renforcerons le sentiment de confiance dans la gestion des propriétés publiques, nous donnerons aux citoyens la possibilité de comprendre le fonctionnement des espaces publics et de prendre leurs responsabilités dans l’exercice de cette propriété commune. Et peut-être s’investiront-ils un jour dans la gestion de leur commune, devenant à leur tour des élus.
C’est là d’ailleurs l’un des axes de réflexion du Centre d’analyse stratégique, dont j’ai reçu les conclusions aujourd’hui – vous ne pourrez donc pas me dire que je les ai copiées !
Lors de la réforme de la démocratie territoriale, j’espère que nous aurons l’occasion d’évoquer de nouvelles formes d’association et de responsabilisation des citoyens s'agissant de la gestion des propriétés des communes, qui sont justement des propriétés communes.
Les sections de commune nous auront ainsi mis en appétit pour réinventer l’une des modalités du « vivre ensemble ». Il faut des règles simples, autour d’un projet commun, sans que personne puisse en tirer plus de bénéfice que d’autres. Bref, il s'agit d’une belle utopie, d’un beau rêve pour cette heure tardive.