En revanche, il est certain que cette question est au cœur des préoccupations de milliers de maires ruraux et hyper-ruraux, confrontés quotidiennement aux tensions et aux contentieux que génère la vie des sectionaux.
Comme cela a été rappelé, autrefois destinées à assurer aux plus démunis des moyens de subsistance par l’usage collectif d’un patrimoine mis en commun, de trop nombreuses sections de communes sont aujourd’hui devenues un instrument dévoyé, destiné à satisfaire les intérêts financiers des particuliers, sous couvert de protéger l’intérêt général. En d’autres termes, comme le regrettait M. le rapporteur, toute la philosophie qui sous-tendait le décret de la Convention de 1793 s’est perdue en route, par un malheureux retournement de l’Histoire, ou plutôt à cause de la cupidité de nos compatriotes.
Sur le terrain, la situation des quelque 27 000 sections de commune recensées en 1999 s’avère extrêmement complexe et différenciée. En Lozère, par exemple, 1 455 sections – elles sont encore plus nombreuses dans le Cantal, me semble-t-il – occupent 70 000 hectares. Pour vous donner un ordre d’idée, certaines communes en Lozère ont des sectionaux de 400, 500, 800 voire 1 000 hectares. Pensez que, en matière agricole, ces terres sont mises à disposition de preneurs qui sont fermiers. La question est donc d’importance.
À côté de cette espèce de mêlée ouverte des sections, il y a 200 commissions syndicales, nous dit-on, qui fonctionneraient correctement.
Le président Mézard l’a rappelé, ces biens sont l’objet de nombreux contentieux, à la source desquels on trouve des problèmes familiaux ou des litiges anciens, à propos d’un chien qui aurait divagué sur un territoire ou d’une nièce qui n’aurait pas épousé le bon mari… En réalité, le sectionnement encourage ces règlements de compte.
Si la situation semble à ce point inextricable, c’est aussi parce que le droit applicable est dépassé. En sortant de séance tout à l’heure, M. le rapporteur, avec brio, nous expliquait qu’il fallait encore, en 2012, se référer à la notion féodale de « feu » pour déterminer qui est ayant droit. Il a eu raison de se replier sur la notion d’« habitants de la section », mais c’est quand même une notion passéiste. De même, la délimitation de la section demeure incertaine.
La lecture du chapitre du code général des collectivités territoriales consacré au sujet s’apparente davantage à un empilement désordonné de normes qui se sont stratifiées au fil du temps, faisant le bonheur des avocats, qu’à un bel ordonnancement juridique permettant à la loi d’être efficiente. Les difficultés d’application sont telles que, comme certains collègues l’ont souligné, les contentieux durent, s’aggravent et justifient tous les règlements de compte.
Si le constat des dysfonctionnements est unanimement partagé, les réformes votées en 2004 et 2005 n’ont pas permis d’atteindre l’objectif affiché. En déposant une proposition de loi, notre collègue Pierre Jarlier a fait, l’an dernier, un premier pas. Aujourd’hui, l’initiative du président Mézard est relayée par la commission des lois, dont je salue le président et le rapporteur. Confortés par la confiance que nous plaçons en Mme la ministre – de par ses origines aveyronnaises, elle connaît bien le problème des sections –, nous pensons que la présente proposition de loi va restructurer complètement la gestion et l’avenir de ces biens de section.
Il s’agit d’offrir aux maires un outil juridique simple et rapide. Peut-être, dans un premier temps, ne sera-t-il pas complètement simple, ni rapide, ni exhaustif… Néanmoins, il représentera une avancée importante. Les solutions s’imposent petit à petit, en marchant. Jaurès disait qu’il suffit d’améliorer micrométriquement les choses chaque jour pour bien faire son travail.
Nous nous réjouissons donc que la commission des lois ait approuvé cet objectif et l’ait même dépassé, puisqu’elle a considérablement modifié la proposition de loi. Je le répète, le travail de M. le rapporteur a été remarquable.
Dans l’hypothèse où, comme je le souhaite, cette proposition passe le filtre de l’Assemblée nationale, il faudra veiller, dans le cadre des textes d’application, à protéger les intérêts des communes tout en garantissant la bonne gestion, l’équité et la simplification administrative. L'objectif est de permettre d’éviter les blocages liés à l’existence même des biens sectionaux.
Je reprendrai l’exemple, cité précédemment, de cette station d’épuration qui n’a pu être construite car se trouvant sur le territoire d’un bien sectional. Ailleurs, ce sont des terrains à bâtir qui ne pourront pas l’être, et ce pour la même raison. Et n’oublions pas la situation des agriculteurs !
Dans mon département, nous voyons arriver des gens qui se disent agriculteurs mais ne le sont pas. Ils s’immatriculent à la MSA, alors même qu’ils ne respectent pas le cadre d’une installation classique, au regard, notamment, de la dotation jeune agriculteur ou des diplômes requis, dans le seul but de pouvoir accéder aux biens sectionaux.
Imaginez le tableau. J’arrive dans une commune qui me plaît. J’achète une ruche, je la pose au fond de mon jardin. J’ai la chance de pouvoir acheter 5 000 mètres carrés attenant à ma propriété. Je vais me déclarer à la MSA et me fais passer pour un agriculteur. Après enquête, je découvre que la commune compte 400 hectares de biens sectionaux et que la section compte 8 habitants. Eh bien, j’en réclame 50 hectares ! Voilà un cas de figure que nous rencontrons régulièrement en Lozère.
Il faudra donc veiller à ce que l’attribution des biens sectionaux, laquelle relève aujourd'hui le plus souvent des sections et des syndicats ou, en cas de défaillance, des communes elles-mêmes, bénéficie, en priorité, aux véritables agriculteurs. À mon sens, la qualité d’agriculteur se définit par le fait non seulement que l’installation est accréditée par la commission départementale d’orientation agricole, notamment dans le cadre de la dotation jeune agriculteur, mais aussi par le fait que le professionnel tire l’essentiel de son revenu de l’agriculture. Il faudra donc être vigilants sur la rédaction des textes d’application, qui devront aller dans ce sens.
En tout état de cause, monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, il s’agit d’une bonne proposition de loi. Plus conforme au droit général, elle met fin à certains passe-droits, qui n’étaient pas compatibles avec notre bonne République ! §