Intervention de Michel Billout

Réunion du 22 février 2006 à 15h00
Couverture du territoire par la téléphonie mobile — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Michel BilloutMichel Billout :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d'abord, je tiens à remercier M. Sido d'avoir sollicité un débat sur la couverture du territoire en téléphonie mobile et en infrastructures de communication à haut débit.

En effet, l'accès aux nouvelles technologies de communication est aujourd'hui un levier essentiel en matière de développement économique et social.

L'absence de couverture de nombreuses communes constitue donc un facteur particulièrement handicapant pour l'avenir de certains espaces de notre territoire. Le risque d'une fracture territoriale, avec la formation de poches d'exclusion, de nones économiquement retardées est bien réel ! C'est le cas des territoires ruraux, des zones de montagne et, plus particulièrement, de la région Corse.

En ce sens, il me semble particulièrement utile de revenir sur la mise en oeuvre de la loi relative à l'économie numérique, qui reprend notamment les engagements pris lors du CIADT de décembre 2002, où le principe d'intervention des collectivités territoriales dans le domaine des nouvelles technologies - téléphonie mobile et haut débit - a été acté.

Cette possibilité s'est trouvée justifiée, y compris pour la majorité sénatoriale, parce qu'il s'agit d'un secteur où la libre concurrence ne répond pas aux besoins d'aménagement du territoire.

Face à ce constat, il a été décidé de faire appel aux collectivités locales et à l'État pour financer les investissements d'infrastructures.

Il est nécessaire, près de deux années plus tard, de faire le bilan de ces mesures et d'en tirer les enseignements.

Où en sommes-nous, tout d'abord, en ce qui concerne la téléphonie mobile ?

Les principes de la loi sur l'économie numérique ont été mis en oeuvre par le plan gouvernemental du 15 juillet 2003, plan qui se déroule en deux phases, étant destiné à couvrir d'ici à 2007 les centres-bourgs et les principaux axes des quelque 3 000 communes qui n'ont pas accès à la téléphonie mobile.

Dans la première phase, concernant 1 250 sites dans 1 638 communes, soit 60% des communes concernées, les collectivités territoriales doivent mettre des infrastructures passives - pylônes, « points hauts », etc. - à la disposition des opérateurs qui s'engagent à les équiper des infrastructures radio et de transmission nécessaires.

Les départements disposent à ce titre de la maîtrise d'oeuvre sur ces opérations. Ils bénéficient d'une aide financière provenant de l'État, de 44 millions d'euros en subventions directes et d'une vingtaine de millions d'euros par le biais d'une exonération de TVA, mais aussi des régions et de l'Europe.

La deuxième phase, entérinée en juillet 2004, devait, quant à elle, être financée exclusivement par les opérateurs SRF, Bouygues et France Télécom, chacun d'entre eux s'étant engagé à verser 150 millions d'euros.

Or, malgré tous ces dispositifs, seulement 577 communes étaient couvertes au 31 décembre 2005. Loin de considérer ce résultat comme un échec, M. Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire, argue de la rapidité de construction du réseau entre juin et décembre, période au cours de laquelle le nombre de communes couvertes est passé de 91 à 577.

Au 26 janvier dernier, les opérateurs ont pris l'engagement de couvrir 1 000 sites dits « zones blanches », soit environ 1 500 communes d'ici à la fin 2006. À cette date, nous aurons donc atteint la moitié des objectifs programmés dans ce plan, alors même que le terme de ce dernier était prévu au premier semestre 2007.

Comment expliquer de tels retards ?

D'abord, les collectivités sont déjà très durement touchées par la loi de décentralisation relative aux libertés et aux responsabilités locales, qui a accru significativement leurs charges sans pour autant leur donner tous les moyens nécessaires à la mise en oeuvre de leurs nouvelles missions.

Dans ces conditions, l'implication financière des collectivités reste problématique.

Ensuite, le Gouvernement n'a crédité ce plan que d'un peu plus de 60 millions d'euros, divisés entre des subventions et des exonérations de TVA pour les collectivités, ce qui reste insuffisant.

Quant aux opérateurs, leur part de financement n'est attendue que pour la seconde partie du plan, qui concerne 40 % des communes restantes.

Par ailleurs, comment ne pas mentionner ce qui a été dénoncé par les associations de consommateurs comme le « Yalta de la téléphonie », qui a vu les trois opérateurs s'accorder sur la pratique de tarifs élevés et non concurrentiels ?

D'un côté, on demande aux collectivités d'intervenir pour pallier les carences de l'initiative privée dans les secteurs non rentables et, de l'autre, dans les secteurs où la libre concurrence devrait être effective, les opérateurs se partagent le marché afin d'accroître leur rentabilité et de ne pas faire jouer la concurrence des prix qui pourrait bénéficier aux consommateurs.

Quelques exemples illustreront le caractère plus que lucratif de ce marché des télécoms.

Le chiffre d'affaires de SFR a atteint, pour l'année 2005, 8 687 millions d'euros, en hausse de 20, 8 % par rapport à 2004 ! Pour sa part, France Télécom, dans son ensemble, voit ses profits augmenter de 90 %, ce qui devrait lui permettre de reverser à ses actionnaires des dividendes en hausse de 108 %, alors même que les salaires n'ont augmenté, eux, que d'un peu moins de 1 % et que cette annonce de résultat a été accompagnée de celle de la suppression de 17 000 emplois supplémentaires d'ici à 2008.

Dès lors, nous ne pouvons que constater que le dogme de la concurrence libre et non faussée contribue essentiellement au démantèlement des entreprises publiques et au désengagement de l'État, et ce pour le plus le plus grand bonheur des actionnaires.

Ainsi, la majorité des collectivités locales qui ont accepté d'assumer, pour partie, le financement de l'extension de la couverture du territoire en téléphonie mobile, l'ont fait en lieu et place non seulement des opérateurs, au titre de leur politique d'investissement, mais aussi de l'État, au titre de sa mission d'aménageur du territoire et de garant de l'égalité des citoyens devant un service public.

En ce qui concerne le haut débit, il faut noter que les mêmes logiques sont à l'oeuvre.

En effet, la loi pour la confiance dans l'économie numérique a également permis aux collectivités de devenir opérateurs de réseaux, sous réserve du constat de carence de l'initiative privée. C'est ainsi que les collectivités locales ont mis en place des politiques ambitieuse d'accès au haut débit pour tous.

Cela dit, nous rencontrons dans ce domaine certaines difficultés lorsqu'il s'agit de mesurer l'impact réel d'une telle mesure. M. le ministre délégué à l'aménagement du territoire a annoncé, le 1er février dernier, lors d'une séance de questions à l'Assemblée nationale, que 95 % du territoire seraient aujourd'hui couverts, alors même que le rapport d'information du Sénat en date de juin 2005 estimait que 10 % de la population sur 50 % du territoire n'avaient toujours pas accès au haut débit.

Nous souhaiterions, pour notre part, disposer de chiffres concordants sur ce sujet, afin de pouvoir apprécier vraiment la situation.

La loi pour la confiance dans l'économie numérique, comme je l'ai dit, met en oeuvre une seule et même logique dans ces deux secteurs.

Face au désengagement de l'État de ses responsabilités en matière d'aménagement du territoire et compte tenu des défaillances de l'initiative privée, il s'agit en définitive de demander aux collectivités territoriales de financer des infrastructures qui pourront être mises à la disposition des opérateurs privés. À elles donc, dans le contexte actuel de multiplication de technologies concurrentes, d'accélération de leur obsolescence et donc d'erreurs d'investissement éventuelles, de prendre le risque financier ! Nous ne pouvons en effet négliger le risque d'échec, susceptible d'avoir de lourdes conséquences financières pour ces collectivités.

Nous ne pensons donc pas qu'il s'agit là d'une réponse adéquate à la nécessité de la couverture de notre territoire en nouvelles technologies de communication.

En effet, là où la densité de population est trop faible, là où l'activité économique est insuffisante, bref, là où le retour sur investissement est aléatoire et où les perspectives de profit sont maigres, les opérateurs privés n'assurent pas la couverture en haut débit, contrairement à ce qui se passe dans les territoires fortement urbanisés, où de nombreux réseaux existent.

Dès lors, ne doit-on pas soulever une nouvelle fois la question de l'intégration du haut débit dans le service universel, par le biais d'une couverture de l'ensemble du territoire ?

Pourquoi, dans cette perspective, ne pas obliger France Télécom à couvrir totalement le territoire, et ce dans le cadre de ses obligations de service public, tout en faisant contribuer l'ensemble des opérateurs privés au financement, ainsi que nous le proposions lors de la discussion du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux ? Cela permettrait, en organisant la péréquation sur l'ensemble du territoire, à travers la création d'un fonds national de péréquation territoriale des communications, d'éviter la contribution financière des collectivités locales et, en fin de compte, celle du contribuable par le biais d'une hausse des taxes locales.

À l'opposé de ce modèle, l'État est devenu minoritaire dans le capital de l'entreprise historique et a dépouillé l'opérateur de ses missions de service public, restreignant ses obligations au seul service universel, qui ne garantit pas l'égal accès des citoyens sur l'ensemble du territoire au service des télécommunications.

Pourtant, lors de la discussion, au Sénat, du projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique, le rapporteur de ce texte, M. Bruno Sido, auteur de la question d'aujourd'hui, s'interrogeait déjà sur le fait de savoir si « cela était vraiment servir l'aménagement du territoire que d'inviter les collectivités à payer l'accès au haut débit pour tous ».

En effet, à rebours de tout principe de péréquation, faire peser l'aménagement numérique du territoire sur les finances des collectivités tend naturellement à creuser l'écart entre les plus riches et les plus fragiles d'entre elles.

Enfin, M. Sido se demandait si le haut débit n'avait pas naturellement sa place dans le nouveau périmètre du service universel comme instrument de cohésion nationale.

Nous adhérons tout à fait à cette proposition, qui reste d'actualité comme en témoigne la recommandation du rapport Belot de juin dernier, consistant à ne pas exclure trop vite le haut débit du service universel.

C'est la raison pour laquelle nous attendons de vous, monsieur le ministre, qu'un bilan soit dressé quant aux conséquences économiques et sociales de l'ouverture du capital de France Télécom et nous souhaitons que l'étendue de la notion de service universel dans le secteur des télécommunications fasse l'objet de nouvelles discussions au sein des institutions européennes, ainsi que le prévoyait la directive adoptée en mars 2002.

Dans cette optique, nous réaffirmons notre engagement en faveur de la création d'un pôle public des télécommunications, dont l'objectif serait de satisfaire l'intérêt général tout en garantissant l'accès de tous aux nouvelles technologies.

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