Intervention de Michel Teston

Réunion du 22 février 2006 à 15h00
Couverture du territoire par la téléphonie mobile — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Michel TestonMichel Teston :

Quelles sont donc les incidences de ce texte pour la desserte en téléphonie mobile et pour l'accès au haut et au très haut débit ?

Le plan de desserte des zones blanches en téléphonie mobile a vu le jour alors que l'article L. 1511-6 était en vigueur. Toutefois, c'est bien le nouveau cadre législatif, c'est-à-dire l'article L. 1425-1 et l'article 52, relatif à l'itinérance locale, de la loi pour la confiance dans l'économie numérique, qui a permis la mise en place de ce plan en évitant la réalisation de plusieurs infrastructures actives redondantes sur un même site.

Avec la signature, le 15 juillet 2003, de la « convention nationale de mise en oeuvre du plan d'extension de la couverture du territoire par les réseaux de téléphonie mobile » par l'État, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes - l'ARCEP -, les trois opérateurs et les représentants des collectivités, en l'occurrence l'Association des maires de France et l'Assemblée des départements de France, le rôle des départements dans la mise en place de ce plan s'est avéré primordial, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, la réalisation d'infrastructures passives et leur mise à la disposition des opérateurs nécessitaient un niveau de compétence technique et de ressources humaines et financières que l'échelon départemental était en mesure de mobiliser. Ensuite, les opérateurs préféraient avoir un interlocuteur unique par département, car cela facilitait les processus de mise en place des sites. Enfin, par sa connaissance des réalités du terrain ainsi que par la garantie de la péréquation qu'il était en mesure d'apporter, le département s'imposait comme l'acteur local incontournable pour donner une réalité à ce projet.

De fait, ce sont les départements les plus concernés par les zones blanches qui se sont lancés les premiers : Ardèche, Drôme, Côte-d'Or, Haute-Marne, Saône-et-Loire, sans toutefois maîtriser dans un premier temps toutes les données relatives au plan de financement.

Comment ne pas rappeler à ce sujet que la mise en oeuvre de la phase 1 de ce plan, qui concernait 1 250 sites, a été complexe et que les départements maîtres d'ouvrage ont dû faire face à de nombreuses incertitudes ?

Tout d'abord, ils ont été confrontés à un sentiment d'insécurité financière et juridique. En effet, le coût de construction d'un site neuf ou d'utilisation d'un site existant est très variable, mais toujours onéreux. Une moyenne de 100 000 euros par infrastructure était prévue.

À cet investissement contraint, il convient d'ajouter la crainte issue du manque de visibilité concernant les crédits de l'État - j'y reviendrai - et le flou juridique qui entourait l'éligibilité des sites aux différents fonds européens ou régionaux.

Persistaient en outre de nombreuses incertitudes, notamment sur le plan financier, quant à la réalisation de la phase 2 du plan, qui concernait 930 sites, ainsi qu'une complexité dans la mise en oeuvre technique et organisationnelle qui pouvait être dissuasive, en particulier du fait de la nécessité de recruter des techniciens et de passer des marchés publics pour trouver des maîtres d'oeuvre.

Une plus grande implication de l'Assemblée des départements de France aux côtés des départements, depuis le changement de majorité en 2004, a permis de débloquer la situation avec la signature, le 13 juillet 2004, d'un avenant mettant intégralement la phase 2 du plan à la charge financière des opérateurs.

Face à cet effort des départements, l'accompagnement financier auquel s'était engagé l'État demeure une promesse... non complètement tenue ! Ainsi, sur les 44 millions d'euros annoncés, si, à ce jour, 32 millions d'euros ont été affectés aux préfectures de région sur des crédits provenant du fonds national d'aménagement et de développement du territoire, le FNADT, très peu de crédits de paiement sont disponibles en préfecture.

Ainsi, pour le département de l'Ardèche, alors qu'à ce jour nous avons engagé 4 millions d'euros, soit 70 % de la phase 1, et déjà réalisé la moitié des sites, l'État ne nous a apporté que 232 000 euros, soit 15 % de sa participation financière, fixée à 28 % du coût de la phase 1 ! De plus, aucun document budgétaire ne fait apparaître les 12 millions d'euros qui devaient être affectés au plan de desserte sur les fonds du ministère de l'industrie. Les maîtres d'ouvrage ne disposent donc d'aucune visibilité sur l'exercice 2006, qui verra pourtant une forte montée en charge du programme ; c'est d'autant plus vrai que les stations devraient coûter 25 % de plus que ce qui était prévu initialement. Monsieur le ministre, la participation de l'État sera-t-elle versée intégralement mais aussi actualisée ?

Ainsi, en dépit des annonces récentes de M. le ministre délégué à l'aménagement du territoire, le compte n'y est pas du côté de l'État ! Et ce n'est pas en intégrant dans les calculs les sommes reversées par l'État au titre du Fonds de compensation pour la TVA, soit 20 millions d'euros, qu'il sera possible de cacher aux collectivités la réalité de l'implication financière de l'État.

Dès lors, dans ce contexte de faible engagement de l'État, j'ai trouvé pour le moins indélicat - ne devrais-je pas dire indécent ? - que le ministre délégué à l'aménagement du territoire n'ait même pas convié les représentants des collectivités départementales, pourtant chevilles ouvrières du plan de desserte en téléphonie mobile, à la conférence de presse qu'il a tenue à ce sujet et qu'en plus il se soit permis de montrer du doigt les huit départements qui, moins concernés en raison du faible nombre de zones blanches, ont préféré attendre les premiers retours d'expériences avant d'engager la démarche.

Quoi qu'il en soit, la réalisation des phases 1 et 2 du plan de couverture laissera en suspens le problème des zones grises, c'est-à-dire des zones où un voire deux opérateurs seulement sont présents. Il s'agit d'un sujet que les opérateurs ne veulent pas aborder, se retranchant derrière des questions de concurrence.

En tant que président de la commission TIC, chargée des technologies de l'information et de la communication, de l'Assemblée des départements de France, j'ai suggéré au conseiller du ministre délégué de se rapprocher de l'ARCEP afin d'apporter rapidement une réponse à cette question qui suscite le mécontentement de très nombreux élus locaux et des populations concernées. L'Assemblée des départements de France a d'ailleurs proposé diverses solutions, principalement celle de l'itinérance locale, mais aussi la création d'une offre commerciale d'opérateur virtuel mobile.

Voilà pour le GSM, j'en viens à l'internet à haut débit.

Dans ce domaine aussi, les réseaux de communications électroniques sont entre les mains des seuls opérateurs privés, qui décident de l'attractivité économique des territoires en fonction de leurs décisions d'investissement. Le déploiement de l'ADSL, premier service haut débit grand public, fait apparaître une nouvelle fracture numérique.

Elle est même double : d'une part, entre les « zones blanches » et les zones ADSL du fait de l'insuffisance de lignes et du recours au multiplexage ou de la distance trop importante, au-delà de six à sept kilomètres, et en conséquence un certain nombre d'usagers ne sont pas éligibles à l'ADSL ; d'autre part, au sein même des zones ADSL entre les zones non dégroupées - où seul l'opérateur historique est présent - et les zones dégroupées - où un ou plusieurs opérateurs alternatifs sont présents avec leur propre réseau. Lors de mon intervention au cours de l'examen en deuxième lecture du projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique, j'avais d'ailleurs distingué une « ADSL des villes » et une « ADSL des champs ».

Ainsi, en Ardèche - pour prendre un exemple que je connais bien -, malgré la signature en avril 2004 de la convention « Département innovant » avec France Télécom, qui prévoit l'équipement de tous les répartiteurs, seulement 92 % de la population devrait avoir accès à l'ADSL. En outre, aucune offre d'accès concurrente, et notamment aucune offre « dégroupée », n'est disponible, alors que 65 % de la population nationale en dispose à ce jour.

En raison de l'importance de l'accès au très haut débit dans les prochaines années, les départements ne peuvent pas laisser un tel aménagement structurant aux seuls opérateurs. Ils seront de nouveau l'échelon essentiel de péréquation pour éviter un « écrémage » du territoire par les opérateurs. Cela explique que, à ce jour, plus de trente-cinq départements aient choisi de mettre en oeuvre un projet d'aménagement numérique du territoire par l'établissement et l'exploitation d'un réseau de communications électroniques à très haut débit. Cela explique aussi que de nombreux départements se soient associés avec les régions pour faire acte de candidature à l'attribution d'une licence BLR-WiMax.

Dans ce contexte, l'État paraît ignorer totalement cette fracture numérique, se contentant de laisser se développer le jeu concurrentiel. Aucune réflexion ne semble engagée en vue de l'instauration d'un service universel.

Au quotidien, le Gouvernement abandonne l'aménagement aux seuls opérateurs sans, par exemple, faire comprendre à France Télécom l'intérêt d'équiper ses sous-répartiteurs et de tirer les lignes nécessaires pour supprimer le recours au multiplexage.

En outre, au-delà des 100 millions d'euros de fonds structurels européens qu'il a reçus, l'État n'apporte en propre que 10 millions d'euros pour quelques appels à projet, ce qui représente un montant dérisoire en face des investissements des collectivités chiffrés à plusieurs milliards d'euros.

Il ne reste donc plus aux collectivités qui veulent réaliser des réseaux qu'à compter sur l'enveloppe de 1, 5 milliard d'euros de prêts à taux préférentiels sur trente ans mobilisés par la Caisse des dépôts et consignations.

Pour conclure, comment ne pas reprendre les mots des rapporteurs pour avis de la commission des affaires économiques, mes collègues Christian Gaudin, Jean-Paul Alduy et Dominique Mortemousque, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2006 et concernant la politique des territoires ?

Ils écrivaient : « il n'est pas concevable que, dans un pays comme le nôtre, une telle discontinuité de la couverture en téléphonie mobile perdure à moyen terme, alors que chez la plupart de nos voisins, il est possible d'utiliser partout son téléphone cellulaire ». À propos de la couverture en haut débit, ils ajoutaient : « il ne serait pas acceptable de laisser des territoires à l'écart de la révolution numérique. Pour des espaces ruraux déjà isolés, une telle exclusion constituerait un handicap supplémentaire qui ne ferait qu'accentuer leur déclin ».

Monsieur le ministre, le groupe socialiste attend de vous des réponses et, surtout, des engagements fermes de la part du Gouvernement pour que soit précisé le niveau réel d'engagement financier de l'État pour la téléphonie mobile et le haut débit.

En outre, il vous appartient de sensibiliser l'ARCEP à la nécessité de trouver rapidement une solution pour la desserte des zones grises car il s'agit là d'un sujet qui ne peut rester tabou et qui suscite, en tout cas, l'ire des populations et des élus concernés. Enfin, quand le Gouvernement va-t-il nous proposer de débattre de la question de l'instauration du service universel ?

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