J'ai écouté le plaidoyer d'Alain Néri avec beaucoup de respect. La défense qu'il a faite de la volonté de la troisième génération du feu d'être reconnue pose une question majeure. Réponse de facilité, la date du 5 décembre ne restitue pas la symbolique qu'il a évoquée. Néanmoins je ne soutiendrai pas sa proposition.
Ce n'est pas que je conteste l'importance du 19 mars. Le cessez-le-feu a été pour les appelés et pour les civils en métropole un véritable soulagement. Après sept ans de guerre, d'incertitude politique, d'hésitations et de retournements qui avaient créé un noeud gordien, il est possible que cette décision se soit imposée. Je comprends parfaitement que la troisième génération du feu veuille sa date, indépendamment du 11 novembre qui doit être une grande journée de recueillement de tous les combattants morts pour la France.
Les deux autres générations du feu ont eu des dates sans ambiguïté. Le 11 novembre a certes été suivi de l'engagement français en Pologne et en Turquie, mais il correspond à une décision politique, l'armistice, unanimement approuvé aujourd'hui. Le 8 mai est également une date politique. Vous avez évoqué les combats qui l'ont suivi ; la guerre d'Indochine a été difficile et coûteuse. La France a pu participer à la signature de la capitulation allemande, à Reims puis à Berlin, parce que le 15 août 1944, l'armée d'Afrique a restauré son honneur en débarquant massivement aux côtés des Américains, avant d'accompagner la remontée victorieuse de l'armée de Lattre, renforcée par la 2e division blindée (DB) et les volontaires de la résistance intérieure.
Le drame du 19 mars, c'est qu'il a une signification politique qui sanctionne 130 années de présence en Algérie, c'est dire que cette date est profondément équivoque : les accords d'Evian n'ont été respectés ni par les uns ni par les autres. Il faut que les populations civiles, quelle que soit leur origine, comprennent ce qui s'est passé - et en disant cela, je rappelle que Ben Bella a été adjudant en Indochine et que nombre de Nord-Africains ont versé leur sang pour la France, ce qui montre la complexité des choses. Voilà la raison pour laquelle, lorsque j'étais ministre de la défense, j'ai autorisé une exposition aux Invalides sur la présence militaire française en Algérie. Je l'ai fait aussi pour que cette guerre ne soit plus l'otage des clans qui s'efforcent de consolider des positions politiques des deux côtés de la Méditerranée. J'ai été sifflé par un public de rapatriés, alors même que l'on me présente plutôt comme un ancien militant d'extrême-droite, parce que j'avais osé dire qu'il faudrait peut-être songer, comme on l'avait fait pour l'Allemagne, à la réconciliation. De même, des gens qui n'ont jamais combattu pour l'indépendance de l'Algérie font de cette guerre un fonds de commerce pour perpétuer dans ce pays un pouvoir militaire peu démocratique.
Je souhaite un apaisement. Mais le 19 mars est une date profondément ambiguë pour les civils, parce que les accords n'ont pas été respectés, et parce que les populations ont été déracinées. Tant qu'il n'y aura pas un accord franco-algérien tel que celui que de Gaulle et Adenauer ont pu conclure, cette souffrance restera vive.
Un troisième élément explique mon vote. Les militaires de carrière ont servi en Algérie à la demande de la République ; ils ont exécuté des ordres, donnés entre autres par Guy Mollet et Robert Lacoste : la responsabilité de cette guerre est largement partagée. Pour ceux qui ont engagé des combattants algériens, le cessez-le-feu du 19 mars a correspondu à l'obligation d'abandonner des combattants et leurs familles, d'abandonner des populations, pour obéir à des ordres formels. Pierre Messmer a demandé aux officiers français de trahir leur parole. Le 19 mars est le début d'une honte qui, pour certains d'entre eux, a marqué définitivement leur vie.