Je souhaiterais au préalable préciser que ce rapport de quatre pages a été réalisé dans la perspective d'une intervention qui ne devait pas dépasser sept minutes. Le jour de la présentation effective du rapport, cette intervention a été ramenée à moins de trois minutes, ce qui ne m'a pas permis de développer l'ensemble des sujets.
Je voudrais tout d'abord évoquer quelques éléments d'ambiance. J'ai trouvé que cet atelier était d'une très grande qualité. Je suis convaincu que votre présidence très attentive, Madame la Présidente, y a été pour beaucoup. J'ai eu un sentiment d'émotion lorsqu'un maire, qui avait exercé plusieurs mandats consécutifs de responsabilité, a affirmé qu'il prenait la parole pour la première fois dans l'hémicycle du Sénat et qu'il n'aurait jamais imaginé le faire un jour. C'est une grande leçon que nous devons retenir. Le fait de donner la parole à un maximum de personnes, avec beaucoup d'attention et de patience comme vous l'avez fait, fait partie, je pense, de l'éthique républicaine et démocratique qui doit nous caractériser.
D'une manière générale, lorsque le rapport entre l'Etat et les collectivités territoriales est évoqué, l'idée d'un pacte fait l'unanimité. Celui-ci est considéré comme nécessaire, attendu et possible. J'ai tenu à reprendre, dans la partie introductive de ce rapport, quelques réponses faites au questionnaire qui a été soumis aux élus et auquel ont répondu quelque 20 000 personnes, il faut le souligner. Lorsque nous abordons les périodes électorales, il y a un thème récurrent chez les élus locaux : les maires vont-ils se représenter ? Y aura-t-il suffisamment de candidats ? Dans les réponses au questionnaire, il y a des éléments qui doivent nous réjouir : les élus territoriaux sont attachés à leur mission. Pas à un métier, mais à une mission. Ils la vivent comme un engagement civique.
Bien évidemment, ils souhaitent moins de normes, de contraintes réglementaires, plus de conseil technique, d'expertise, de services publics, de formation. De l'État, ils attendent un rôle de sécurité (publique, civile, sanitaire, environnementale). Ils veulent un État qui soit garant du pacte républicain, stratège, régulateur, péréquateur, identifiable, proche et présent. Lorsque j'ai fait la tournée d'un certain nombre de départements à l'occasion de mon rapport sur le bilan de la décentralisation, j'ai rencontré plus de 250 personnes et j'ai constaté qu'il y a une chose que les élus n'acceptent pas, quelle que soit leur sensibilité : ils n'acceptent pas que des responsables de l'Etat passent en coup de vent, qu'il s'agisse des présidents de la République, des ministres ou des préfets. J'ai rencontré des départements dans lesquels la durée d'affectation moyenne d'un préfet était d'un an. Ce n'est pas possible. Lorsque les ministres viennent, il ne faut pas que le temps qu'ils passent sur place soit enserré dans des horaires de TGV. Cela fait partie du dialogue, d'un dialogue auquel nous devons être très attachés les uns et les autres.
Bien évidemment, les élus souhaitent un Etat qui respecte ses engagements. La présidente du conseil général de la Haute-Vienne est intervenue à ce sujet lors de l'atelier. Elle a indiqué que l'Etat a transféré plus de 4 000 km de routes au département de la Haute-Vienne - de tels transferts sont observé dans tous les départements - pour en conserver moins de 300 km. Nonobstant ce transfert, lorsqu'il y a des modifications à faire sur les routes qu'il a conservées, par exemple un élargissement à quatre voies, l'Etat sollicite l'intervention des collectivités. J'ai trouvé qu'il s'agissait d'un exemple significatif, que nous constatons tous, les uns et les autres.
Il faut que l'Etat soit porteur d'un droit sobre. Quand j'emploie ce qualificatif, et tout en sachant que les choses évoluent, je me réfère aux grandes lois de la IIIe République, qu'il faut prendre le temps de lire. Ce sont des lois qui sont toujours présentes, comme la loi de 1884, la charte communale. C'est une grande loi de principe. Aujourd'hui, nous ne respectons plus la Constitution de 1958, notamment les articles 34 et 37 qui déterminent les domaines législatif et réglementaire. Tout est mêlé. Lorsque le sujet des normes est évoqué, il faut en tenir compte.
Notre droit doit être lisible, prévisible et durable, telles sont les conditions de la prise en considération de la complexité. Les notions de prévisibilité et de durabilité sont fondamentales, qu'il s'agisse de la fiscalité, du développement durable, de l'assainissement, de l'urbanisme. L'insécurité juridique et la multiplication des textes empêchent les collectivités d'avoir des projets pluriannuels. C'est à nous, qui sommes à l'origine de ces textes, qu'il revient de veiller à ces difficultés. Il ne s'agit pas de rejeter la faute sur d'autres.
Les collectivités souhaitent un État organisant le savoir, l'implication de tous les acteurs territoriaux qui ont assuré des mutations qualitatives et quantitatives incontestables. On ne le souligne pas assez. Le nombre de personnes concernées par le mouvement de coopération intercommunale, par exemple, a considérablement augmenté en quinze ans. Il n'est pas vrai que les élus territoriaux sont restés conservateurs, attachés aux institutions initiales, même s'il y a toujours des imperfections. S'agissant de la fonction publique territoriale, son niveau de qualification doit être souligné. Lorsque j'ai été élu maire pour la première fois en 1977, le seul grade qui existait était celui de rédacteur. Ensuite, nous avons vu la création du grade d'attaché, puis d'administrateur. L'Institut national des études territoriales (INET) et la fonction publique territoriale n'ont aucun complexe à avoir par rapport à la fonction publique d'Etat. Certains fonctionnaires territoriaux en sont d'ailleurs issus.
Les participants à l'atelier ont récusé un État distant, censeur, qui recentralise ou reconcentre administrativement, privilégiant le chiffre, la norme par rapport au projet. D'un autre côté, même avec une clarification bienvenue des compétences, nous observons que nombre de politiques publiques sont partenariales. Ce constat est régulièrement oublié par certains. J'ai tenu à le redire ici, parce que nous allons retrouver ce thème dans le rapport d'Eric Doligé. Il y a un débat entre nous concernant la répartition des compétences, le régime juridique des compétences. Je suis très heureux qu'Antoine Lefèvre ait présenté devant notre délégation un rapport, adopté à l'unanimité, qui fait le constat suivant, que je reprends à titre personnel : si les politiques publiques sont partenariales, il n'est pas possible d'enfermer la région et le département dans des compétences exclusives. Dans des compétences obligatoires, oui, mais non dans des compétences exclusives. Même lorsque Gaston Defferre avait employé le terme de « bloc de compétences », en relisant les travaux préparatoires de ses lois, on voit bien que cette notion, qui essayait d'apporter une clarification, était plus pédagogique que juridique. Vous ne trouverez aujourd'hui aucun juriste qui plaide le caractère exclusif des blocs de compétences. Et nous, en tant que praticiens, sommes bien placés pour voir qu'indépendamment des clarifications, il y a des rapports qui s'établissent.
Il faut bien évidemment que nous tenions compte aussi de la conjoncture, et c'est pour cela que, quand nous parlons d'une nouvelle étape de la décentralisation, elle est totalement différente des autres. Le contexte financier, fiscal, économique et européen dans lequel nous sommes nous oblige précisément à un partenariat entre les collectivités territoriales et l'Etat. S'agissant du contexte fiscal et des finances publiques, on comptait hier trois composantes essentielles : l'Etat, les collectivités territoriales et les organismes sociaux. Aujourd'hui, qu'on le veuille ou non, il y a un certain désordre. A titre d'exemple, le contribuable national s'est substitué au contribuable local, ce dont nous sommes responsables, et 30% des ressources de la sécurité sociale proviennent de la fiscalité, de la CSG qui en représente elle-même les deux tiers. Je ne l'ai pas écrit dans le rapport mais, à titre personnel, je pense qu'on ne reviendra jamais là-dessus. C'est donc vraiment une nouvelle étape, mais dans un nouveau contexte.
L'État doit reconnaître la place des collectivités territoriales dans l'économie, le social, le culturel, l'environnemental. Il doit reconnaître l'existence des cultures ou langues régionales. Nos collectivités doivent reconnaître la mission de l'État et être à ses côtés.
Certaines propositions sont avancées pour faire vivre ce pacte de confiance, ciment de notre organisation décentralisée, il faut les citer et en débattre. La première proposition concerne l'existence d'un Haut Conseil des territoires. Ce n'est pas une notion neuve, même si l'expression est plus récente. Cela fait une trentaine d'années que des rapports ont été faits sur la nécessité d'un supplément de représentation des collectivités territoriales au niveau national. Le premier rapport fait à ce sujet date de 1986, il avait été réalisé par M. Claude Martinand. Pardonnez-moi de l'évoquer, j'ai aussi réalisé un rapport à ce sujet en 1990. L'article 53 de la loi Joxe d'administration territoriale de la République reprend cette idée. A l'époque, j'avais parlé d'un Institut des collectivités territoriales et des services publics locaux. L'expression n'était pas bonne, mais l'idée était, comme pour le Haut Conseil, de favoriser la représentation des collectivités territoriales, de faire en sorte que les représentants des collectivités échangent, évaluent, fassent des propositions, valorisent ce qui se fait dans les collectivités. J'ai toujours pensé que notre savoir territorial était une chance pour notre économie et pour l'exportation. Nous avons un certain nombre d'associations représentant les collectivités territoriales. Ce que je souhaite profondément, c'est qu'indépendamment des appartenances et des sensibilités, il y ait des convergences. Pour moi, le Haut Conseil des territoires doit être un lieu de convergence et un lieu de dialogue. Je ne veux pas insister sur ce point, parce que le rapport que vous aviez fait, Madame la Présidente, avec Didier Guillaume, traite précisément de cette proposition. A nous de voir comment cette instance peut fonctionner, avec la participation de l'Etat, du Premier ministre, des ministres concernés, quels rapports peuvent être instaurés avec le Comité des finances locales. Vous aviez vous-même proposé des simplifications. Des idées ont été avancées. Il faut une simplification et une coordination. Mais je pense que ce dialogue est extrêmement important. C'est une proposition qui a été étudiée au sein de la délégation, dans le cadre de votre rapport.
J'ai relu les débats qui ont précédé, au Sénat, la loi relative à l'administration territoriale de la République de 1992. A l'époque, le Sénat était fondamentalement opposé à cette idée. Lorsqu'il a été question de représentation des collectivités, immédiatement, la majorité de l'époque a estimé que cette dernière était assurée par les sénateurs. Constitutionnellement, le Sénat est le représentant des collectivités territoriales, mais il y a aussi d'autres manières de représenter celles-ci, et le Haut Conseil n'aurait pas de compétence décisionnelle dans ses attributions, seulement une compétence consultative. Il ne peut que faciliter le travail du Sénat. Je dis cela, parce que des critiques sévères ont été faites à ce sujet.
Ce type de dialogue organisé au niveau national doit aussi être organisé aux niveaux régional et départemental. Au niveau régional, il me semble tout à fait nécessaire que le président de la région, les présidents des départements, les présidents des grandes communautés puissent se rencontrer, avec le préfet et les autorités de l'Etat, pour échanger. Il y a des régions dans lesquelles cela se fait très naturellement ; dans d'autres régions, quelques difficultés ont été constatées. Dans ma région, il y a ce qu'on appelle le Breizh 15 ou le « B15 », qui se réunit très régulièrement, et dans d'excellentes conditions. Il en va de même au niveau départemental.
La deuxième grande proposition consiste à affirmer le principe de relations contractuelles, coopératives entre l'État et les collectivités territoriales pour mettre en oeuvre des démarches cohérentes de projet qui ne soient pas prisonnières des frontières ou des espaces différents qui constituent nos territoires. Ces démarches contractuelles peuvent être engagées entre l'Etat et les collectivités territoriales, mais aussi entre les collectivités elles-mêmes. A ce sujet, nous ne devons pas nous plonger dans des débats tendant à rectifier les périmètres. On a beaucoup théorisé à ce sujet. Quand on regarde l'histoire de l'organisation administrative, on retrouve toujours les mêmes constats, les projets de réunion, etc. A titre personnel, je crois que ces problèmes de frontière sont très complexes. On fait et on défait. Je pense personnellement que le recours au contrat, à l'accord, est un excellent moyen pour faire avancer les choses. Par ailleurs, l'opposition ville-campagne n'a pas lieu d'être. A ce sujet, un rapport de prospective est en cours sur l'avenir des campagnes, qu'anime notamment Renée Nicoux, co-rapporteure.
J'en viens à la troisième proposition. De manière générale, on estime qu'il y a trop de textes. Les textes devraient être précédés d'études d'impact et prévoir des expérimentations afin de tenir compte de notre diversité. Culturellement, nous avons des difficultés à le faire, avec notre esprit cartésien. Dès lors que le Parlement, expression de la volonté générale, a décidé, les textes doivent s'appliquer. Mais avant, il faut tout de même voir si cela fonctionne. S'agissant du grand débat sur l'unicité et l'uniformité des textes, rappelons que la France n'est pas un Etat fédéral. C'est un Etat de droit unitaire, dans lequel l'Etat a la compétence de la compétence, ce qui personnellement me convient.
La notion de diversité est très forte. Ce n'est pas parce qu'il y a un texte unique que l'application, ou la non-application, est identique. Il faut que nous ayons des textes de respiration, qui permettent effectivement des adaptations.
Quatrième et dernier point : il ne faut pas oublier, dans cette démarche de décentralisation, l'expression civique de nos concitoyens. L'expression civique ne peut que conforter une démocratie représentative incontournable et responsable. Nous sommes tous soumis à un devoir de pédagogie civique, si nous ne voulons pas que notre société connaisse en son sein de nouvelles distances.
Je vais prendre un exemple : au sein des conseils municipaux, quelles sont les délibérations qui retiennent le plus l'attention ? Mon expérience est que l'on est capable de s'empoigner pour mille euros de subventions. En revanche, si l'on fait une zone d'aménagement concerté (ZAC) et que, pour l'équilibrer, 5 millions d'euros sont nécessaires, il n'y a aucun débat. On a parlé des emprunts toxiques. Il est très rare, dans les conseils municipaux, qu'il y ait des débats sur la politique de gestion des emprunts. Nous devons vraiment, les uns et les autres, avoir une démarche pédagogique d'explication. Ce n'est pas aisé, il faut d'abord trouver le vocabulaire, etc. Mais cette notion de démocratie, de va-et-vient, de pédagogie civique est tout à fait nécessaire et exemplaire.
Voici ce que je tenais à vous dire. Je me permettrais, Madame la Présidente, de vous faire une suggestion : lorsque je vois la qualité des propositions qui sont faites dans le cadre de la délégation, je pense qu'il serait utile de faire un petit document rassemblant les propositions des différents rapports, parce que je vous garantis que tout y est. Je ne veux pas porter de critiques à l'égard de l'autorité gouvernementale et de l'initiative gouvernementale, mais je pense que nous avons balayé toute une série de sujets qui peuvent être repris. Je tiens également à rappeler que la question fiscale ne faisait pas partie de notre atelier. Je vous remercie de m'avoir demandé de répéter et développer ce qui a été dit lors de l'atelier 1. Les idées générales exprimées à cette occasion doivent nous rassembler.