Les circonstances sont particulières : je dois rendre compte de la mise en oeuvre d'un contrat d'objectifs et de moyens signé il y a moins d'un an, que la baisse des ressources programmées dans le projet de loi de finances remet en cause.
En 2011, France Télévisions a rempli ses missions, qui ont été renforcées par le dernier contrat, malgré la réduction de ses ressources. Il en sera de même en 2012 car cette entreprise est gérée. L'heure de la réforme est venue, j'en suis convaincu. D'abord parce que France Télévisions a un devoir de solidarité en cette situation économique difficile. Je l'ai dit publiquement, aucune question ne sera taboue. Ensuite, parce que cette contrainte constitue une opportunité pour renforcer notre stratégie de modernisation et préparer l'avenir. Cela dit, je vous dois cette vérité : l'ampleur et la brutalité de l'effort demandé en 2013 fragilise l'équilibre de l'entreprise.
Le projet de budget prévoit une dotation diminuée de 87 millions. Cela représente 3,4 % des concours alloués à France Télévisions, contre 0,3 % en moyenne pour les autres sociétés de l'audiovisuel public. Si l'on y ajoute une baisse des ressources commerciales de 67 millions, notre budget pour 2013 accusera une baisse de 150 millions, soit 5,1 %.
De nombreux propos ont été tenus sur France Télévisions ces dernières semaines ; je dois les clarifier pour un débat serein. L'amélioration de la redevance, d'abord : 4 euros de plus, ce qui signifierait que le financement de France Télévisions augmente de 109 millions ? Non, car la part issue du budget général régresse concomitamment de 196 millions.
Les options envisagées un temps sur le taux et l'assiette, et que nous voulons croire encore envisageables, doivent-elles être écartées au motif que cela exonérerait France Télévisions de tout effort ? De telles mesures laisseraient l'entreprise avec un budget réduit de 50 à 100 millions en valeur par rapport à 2012. Quoi qu'il arrive, donc, nous réaliserons le plus grand plan d'économie de l'histoire de la télévision publique.
Des recettes publicitaires surévaluées dans un contrat d'objectifs et de moyens insincère ? Il y a un an, le débat se concentrait sur les excédents publicitaires de France Télévisions... Surtout, le contrat ne pouvait pas intégrer le lancement de six nouvelles chaînes TNT gratuites et le rachat de deux chaînes de la TNT par le groupe Canal + qui sont intervenus ultérieurement.
Nos efforts de gestion seraient insuffisants ? Nous avons respecté la trajectoire fixée en 2011 : priorité aux dépenses de programmes, réduction des charges hors programmes et résultat à l'équilibre. En 2012, alors que nos ressources diminuent plus encore que l'an passé, nous avons engagé un plan d'économies de 30 millions dès la fin du premier semestre, amplifié les audits de production sur les programmes pour une économie de 7 millions sur la grille de rentrée, renégocié à la baisse des dizaines de contrats d'achats hors programmes. Des marges existent encore ; nous les investirons avec énergie. L'idée que France Télévisions disposerait d'un matelas caché grâce auquel il absorberait du jour au lendemain une réduction de 150 à 200 millions est injuste pour les personnels, offensante pour les administrations de l'État qui les contrôlent et choquante pour la notion de service public.
Les synergies attendues de l'entreprise unique, dont le chantier a été ouvert dans la précipitation en janvier 2010, ne porteront pas leurs fruits immédiatement. L'entreprise unique, qui est une nécessité, demande du temps pour voir le jour. Il s'agit tout de même d'unifier huit sociétés, quatorze chaînes et dix mille collaborateurs qui se sont historiquement construits les uns contre les autres ! Rappeler cette évidence, ce n'est pas nous défausser ; c'est dire et redire qu'il est matériellement, socialement, humainement, techniquement impossible que la fusion génère des économies massives dans un délai aussi bref. La signature de deux accords collectifs essentiels en 2011 et 2012, concernant les journalistes et le temps de travail, permet d'envisager la conclusion d'un accord indispensable à l'harmonisation des statuts d'ici la fin de l'année, la poursuite de la convergence des outils informatiques de gestion et l'élaboration d'un organigramme lisible donnant sa place à chacun. Ces travaux se poursuivront à un rythme réaliste, si tant est qu'on ne les fragilise pas...
Le projet éditorial que porte France Télévisions, susceptible d'être mis en cause par l'effort supplémentaire demandé à l'entreprise, repose, d'abord, sur le principe de présence territoriale. En métropole, France 3 est la chaîne du lien social. Son volume de diffusion régionale en 2011 a crû de 30 % tandis que le coût horaire des programmes régionaux diminuait de 20 %. S'il faut encore améliorer notre organisation, France 3 n'est pas un problème pour France Télévisions ; elle est un atout. A l'heure où l'on envisage des coupes budgétaires drastiques, nous devrons déterminer, ensemble, ce qu'est la proximité. En outre-mer, les équipes ont réalisé un exploit en un an : transformer les Télé-Pays de RFO en chaînes dotées de programmes aux trois quarts spécifiques lors de l'arrivée de la TNT fin 2010. Alors que la concurrence est rude, ces chaînes font l'objet d'attaques publiques, aussi violentes que mensongères, de la part des chaînes locales privées. Là encore, il faudra redéfinir ce que l'on attend de la télévision publique outre-mer.
Deuxième mission, la création, c'est-à-dire la fiction, le documentaire, le spectacle vivant et l'animation. Avec un investissement historique de 416 millions dans la production d'oeuvres audiovisuelles et près de 63 millions de soutien au cinéma en 2011, France Télévisions soutient près de 60 % des investissements nationaux dans la création. Un niveau, je l'ai dit lors des rencontres cinématographiques de Dijon, que nous ne pourrons maintenir avec un budget aussi dégradé. France Télévisions n'offrirait plus cette marque de qualité et de culture qui fait la fierté du service public ? Je m'inscris en faux contre cette idée reçue. Nous devons certes mieux nous différencier des chaînes commerciales, renforcer la spécificité de nos chaînes, faire connaître notre offre. Nos chaînes n'ont jamais cessé de proposer des programmes qu'on ne trouve nulle part ailleurs sur la TNT. Notre devoir est de rassembler tous les âges, tous les milieux, toutes les origines, aux heures de plus grande écoute. Quelque 8,5 millions de Français nous ont témoigné leur confiance dans la soirée du 17 octobre en regardant la fiction Médecin chef à la Santé sur France 2, adaptée du livre du Dr Vasseur traitant de l'état de nos prisons, et le magazine Des Racines et des Ailes sur France 3 qui nous emmenait ce jour-là au Pays basque. Consultez votre programme de télévision et jugez par vous-mêmes : l'exercice est concluant pour les 52 semaines de l'année.
Troisième mission, l'information et le sport. Depuis 2011, France Télévisions est redevenue le lieu du débat démocratique. Avec la grande émission Des paroles et des actes, une audience de nos journaux en progression et les mille heures consacrées à la parole politique durant les élections, France Télévisions est désormais passée devant TF1, y compris sur Internet. Le plan « Information 2015 » sera l'occasion de moderniser encore notre offre sur tous les supports. Le service public garantit l'accès gratuit à des programmes sportifs diversifiés et populaires délaissés par les sponsors : 26 disciplines ont été retransmises en 2011, près de 40 millions de Français ont regardé au moins une heure de programmes olympiques cet été.
L'année 2011 a vu monter en puissance France Ô, France 4 et France 5. La première chaîne, en sus de la culture ultramarine, s'intéresse aussi aux cultures européennes, africaines, américaines et indiennes, sans oublier les cultures urbaines. La presse salue sa contribution à la diversité et à la créativité. Alors que la TNT accélère le vieillissement des antennes historiques, France 4 a conquis 23 % d'audience entre 2010 et 2011, 35 % auprès des 15-34 ans. Ces résultats sont nettement meilleurs que ses homologues privées, pour un coût de grille largement inférieur. Enfin, l'audience de France 5 a crû de 7 % en 2011.
France Télévisions, dont la part de marché a progressé de 29,9 % en 2011 et progresse encore en 2012, poursuit une ambition fondamentale : rester le premier groupe audiovisuel français en approfondissant sa stratégie numérique face aux géants que sont Google et Apple. Réaliser plus de 150 millions d'économies en 2013, comme on nous le demande, obligerait à reconsidérer notre place en régions et en outre-mer, l'investissement dans la création ainsi que l'emploi. Le résultat, un déficit programmé de 80 à 100 millions en fin d'année, constituerait un transfert pour le moins paradoxal, s'agissant d'une entreprise publique qui contribue à l'assainissement des comptes publics. Ma responsabilité de chef d'entreprise est de vous en alerter ; il appartient désormais au Gouvernement et à la représentation nationale de trouver le juste équilibre que nous souhaitons tous pour notre télévision publique.