Vous m'avez invité aujourd'hui pour échanger sur les thématiques dont le Ministère de l'Intérieur a la charge et qui intéressent les collectivités territoriales. Trois semaines après le succès des Etats généraux de la démocratie territoriale, et alors que le nouvel acte de la décentralisation se précise, un tel échange est, je crois, essentiel.
Bien sûr, ce projet sera largement porté par la ministre de la réforme de l'Etat et de la décentralisation, Marylise Lebranchu, selon les grandes priorités esquissées par le Président de la République lors de son allocution aux états généraux. Mais le ministère de l'Intérieur, ministère de l'Etat dans tous les territoires et ministère des élections, reste un partenaire naturel et privilégié des collectivités et de leurs élus. À ce titre, il prendra toute sa part dans la réforme qui s'annonce.
Je pense d'abord au travail quotidien de mes services aux côtés des collectivités, qu'il s'agisse de l'administration préfectorale comme de l'administration centrale. Je tiens à cet égard à saluer la présence à mes côtés de Serge Morvan, le directeur général des collectivités locales.
Je pense aussi aux éléments de la réforme qui seront de la compétence directe et exclusive du ministère de l'Intérieur.
Il s'agit bien évidemment tout d'abord des questions d'ordre électoral. Les engagements pris pendant la campagne présidentielle ont été rappelés par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale ; le Président de la République les a précisés lors des états généraux.
Ces engagements seront concrétisés dans un projet de loi qui sera prochainement déposé devant le Sénat.
Je dois ici vous donner des précisions sur le calendrier retenu. Le 15 novembre prochain, le gouvernement a choisi d'inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale la proposition de loi sénatoriale abrogeant le conseiller territorial. Je crois que nous en sommes tous conscients ici : faute de clarté, faute de vision politique précise, cette formule doit rester lettre morte. La création d'un élu bicéphale, à la fois conseiller général et régional, risquait d'affaiblir à terme les deux institutions.
Votre assemblée a déjà pris l'initiative de supprimer le conseiller territorial. C'est donc le texte issu du Sénat qu'examineront prochainement les députés.
Cette suppression pose naturellement la question du calendrier retenu pour l'organisation des différentes élections locales. En l'état actuel des textes, quatre scrutins auraient dû intervenir en 2014 : les élections municipales et territoriales en mars, les élections européennes en juin et les élections sénatoriales en septembre. La restauration du double scrutin régional et départemental ajouterait une cinquième élection. Jamais, en France, trois scrutins n'ont été organisés le même jour ; on ne le peut pas.
Cinq élections, soit neuf tours de scrutin, en l'espace de 6 mois... ce calendrier électoral engorgé est intenable et, à coup sûr, il conduirait à une faible participation des électeurs. Dès lors, le gouvernement proposera l'organisation des élections départementales et régionales en 2015.
Ces deux scrutins auront lieu le même jour. Comme l'expérience l'a montré, en 1992 par exemple, la concomitance des élections régionales et cantonales a des effets bénéfiques sur la participation électorale. Lors de son abandon en 1994, l'abstention était remontée de dix points.
Autre nouveauté : les conseils généraux seront renouvelés en 2015 dans leur totalité. Rien ne justifiait le renouvellement par moitié. Au contraire, il faut rendre ce scrutin plus lisible pour les citoyens et donner à l'institution départementale une majorité claire pour le temps d'un mandat.
Abroger le conseiller territorial ne signifie pas qu'il faille retourne au statu quo ante. La question du mode de scrutin des élus départementaux sera donc posée. Là aussi, le Président de la République a déjà exprimé ses préférences. Lors des états généraux, il a évoqué un mode de scrutin qui respecterait, je cite, « le besoin d'un ancrage territorial en même temps que l'exigence de parité ».
Je crois que ces deux principes, en effet, doivent nous guider pour choisir un nouveau mode de scrutin susceptible d'affirmer et de renforcer la légitimité de nos élus départementaux.
Le département doit rester un échelon de proximité, profondément ancré dans nos territoires, notamment dans les territoires ruraux. Dans le même temps, nous ne pouvons pas nous satisfaire d'assemblées départementales où seulement 13% des élus sont des femmes.
Cette exigence d'une démocratie proche et lisible, nous la ferons également vivre dans le bloc communal.
Le fait intercommunal est devenu concret pour les Français. Ils savent désormais que telle voie est rénovée par leur communauté de commune, ou qu'ils doivent leur tramway à la communauté urbaine... Cette réalité des politiques publiques doit devenir une réalité démocratique.
Je proposerai que, pour la première fois, les délégués communautaires soient élus au suffrage universel, dans le même temps et par le même vote que les conseillers municipaux. Concrètement, un système de fléchage inspiré de ce qui se pratique déjà avec succès à Paris, Lyon et Marseille permettra d'accroître la légitimité démocratique de l'intercommunalité.
Nous avons fait le choix de ce mode de scrutin pour sa lisibilité : un vote unique permet de préserver la légitimité communale tout en dotant les EPCI d'élus clairement identifiés.
Je le sais, certains, notamment dans les grandes zones urbaines, souhaitent aller au-delà. Je veux les rassurer : le fléchage est une étape de démocratisation, il n'obère pas l'avenir. La commune reste l'échelon territorial le mieux connu des Français ; ils y sont attachés comme ils le sont à la figure du maire. Je crois que nous aurions déséquilibré la démocratie locale en allant trop vite.
Cette élection par fléchage des délégués communautaires doit être étendue au plus grand nombre de communes. Je vous proposerai donc d'abaisser de 3 500 à 1 000 habitants le seuil de population au-delà duquel les conseillers municipaux sont élus au scrutin de liste. Le gouvernement précédent avait opté pour 500, l'AMF a proposé un seuil à 1 500. Je crois que le seuil de 1 000 habitants est un bon compromis.
Cet abaissement du seuil répond également à ma volonté de rendre le scrutin municipal plus paritaire. Aujourd'hui, l'objectif de parité est quasiment atteint dans les communes de plus de 3 500 habitants, quand les communes plus petites ne comptent que 32% de conseillères municipales.
J'en ai terminé avec les questions électorales que je souhaitais aborder devant vous aujourd'hui.
J'imagine que certains d'entre vous m'interrogeront sur le cumul des mandats ou sur les évolutions du statut de l'élu. Le Président de la République s'est clairement exprimé sur ces sujets. Là encore, les priorités qu'il a esquissées sont les miennes. Mais je ne souhaite pas anticiper sur les conclusions de la commission Jospin, qui seront rendues en début de mois, ni sur les travaux que vous êtes en train de mener à l'initiative de Jean-Pierre Bel.
A présent, je voudrais évoquer les liens forts et étroits que je souhaite que mon administration entretienne avec les collectivités et plus largement avec les territoires.
C'est bien sûr le cas pour l'administration territoriale. Je souhaite restaurer un dialogue de confiance entre les préfectures et les élus. Je sais que, ces dernières années, certaines réformes décidées par l'Etat ont été mal comprises par les élus. Certaines n'ont pas été suffisamment expliquées ; d'autres ont été appliquées avec brutalité.
Je pense notamment à l'achèvement de la carte intercommunale. Je vous l'ai dit, je suis convaincu de la pertinence du fait intercommunal.
Lors de ma première réunion avec les préfets, le 5 juillet dernier, j'ai rappelé que la couverture de tout notre territoire par des intercommunalités était l'une de mes priorités. Mon objectif est très simple : je souhaite qu'aucune commune isolée ne subsiste sur notre territoire.
Je sais que cette actualité préoccupe beaucoup les élus que vous êtes, je le comprends. J'ai conscience, également, des tensions qui ont pu naître dans certains territoires.
Mais je le redis ici : la rationalisation des périmètres intercommunaux est un gage de davantage de cohérence et d'efficacité des politiques publiques ; de solidarité entre les territoires.
C'est pourquoi j'ai invité les préfets à faire aboutir, avant la fin de l'année 2012, les projets réunissant les conditions d'acceptabilité requises, en prenant dès que possible les arrêtés de périmètre correspondants. Je souhaite qu'ils y parviennent.
Pour moi, faire aboutir une réforme n'est pas l'imposer. Au contraire, cette réforme ne pourra réussir que par le rassemblement et la concertation. J'ai donc demandé aux préfets de faire preuve de souplesse et de prendre en compte les réalités du terrain. Avec mon cabinet, je suis à votre disposition et à celle des préfets pour examiner tous les cas qui présentent une sensibilité particulière au regard du contexte local.
Le dialogue entre l'Etat et les territoires réside aussi, naturellement, dans le dialogue qu'entretiennent les collectivités avec l'administration territoriale. Je sais qu'en la matière vos attentes sont fortes, je connais aussi vos inquiétudes.
Je vous l'ai dit, le ministère de l'Intérieur est le ministère de l'Etat, un Etat dont les préfectures et le corps préfectoral constituent la colonne vertébrale en assurant sa présence et sa continuité sur l'ensemble du territoire.
Cette administration territoriale doit être reconnue, efficace et équilibrée. Alors que nous connaissons une contrainte budgétaire sans précédent, il est temps de clarifier les missions de l'Etat dans les territoires. J'ai annoncé dès juillet que je souhaitais lancer une réflexion ambitieuse sur les missions dévolues aux sous-préfectures. Je le répète : je suis profondément attaché au réseau des sous-préfectures. Elles constituent un élément primordial de la cohésion sociale et territoriale. Mais, parce que j'y suis attaché, je souhaite que ce réseau soit adapté aux nouvelles réalités locales dans ses missions et dans son organisation.
Les missions d'abord. Elles ne peuvent pas être les mêmes en fonction des territoires : urbains, périurbains, ruraux, frontaliers, montagnards... . Il faut donc élaborer par catégorie de sous-préfecture une typologie des arrondissements et des missions assurées, autour d'un socle d'attributions communes.
L'étape suivante sera de donner à chaque sous-préfecture sa place dans cette typologie afin de déterminer ce que doivent être désormais ses missions. C'est en fonction de ces éléments que nous poserons la question de la carte des sous-préfectures.
Ce travail est ambitieux. Il ne pourra aboutir sans une concertation large. C'est pourquoi j'ai confié une mission à trois personnalités qualifiées : le chef de l'Inspection générale de l'administration, le président du Conseil supérieur de l'administration territoriale de l'Etat (CSATE) et la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR). Je leur ai demandé de conduire cette concertation. Ils rencontreront naturellement les élus et leurs associations, mais aussi les organisations socioprofessionnelles et les usagers. Cette mission me fera part, au printemps 2013, de ses propositions sur l'évolution du réseau des sous-préfectures. Nous serons alors dans une nouvelle étape de la décentralisation.
Je terminerai ici ce propos liminaire. J'imagine que nous aurons l'occasion d'approfondir ces sujets, d'en aborder d'autres. Ceux, notamment, liés à la sécurité. Là aussi, nous devons avoir, ensemble, un dialogue étroit et constructif. Les élus, et particulièrement les maires, ont tout leur rôle à jouer dans la politique de sécurité, que j'ai déjà eu l'occasion de présenter, comme je le ferai à nouveau lors de la discussion budgétaire. Je veux insister sur les créations de postes de policiers et de gendarmes. Plus de 10 000 postes ont été supprimés ces cinq dernières années, 2 700 devaient l'être en 2013. Nous avons arrêté cette hémorragie : nous remplacerons tous les départs à la retraite dans la police comme dans la gendarmerie, et nous créerons 500 postes supplémentaires de policiers et de gendarmes à partir de 2013. Cela représente, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, 6 000 policiers et gendarmes professionnels recrutés dès 2013. Par ailleurs, les élus seront bien sûr associés à la préparation comme au pilotage des zones de sécurité prioritaires. Je vais annoncer en novembre une cinquantaine de zones supplémentaires. Je considère qu'une centaine de territoires peuvent répondre aux conditions de création des ZSP. Celles-ci sont pilotées par le préfet et le procureur de la République en lien très étroit avec les maires et les élus, en vue de missions très précises de lutte contre les violences, les trafics de drogues et d'armes, les cambriolages.
Les polices municipales jouent déjà un rôle essentiel dans ce domaine au côté de la police nationale et de la gendarmerie. L'articulation entre ces forces mérite d'être améliorée ; nous lancerons cette réflexion. J'en profite pour saluer le rapport remarquable remis il y a quelques semaines par vos collègues René Vandierendonck et François Pillet sur les polices municipales. Nous disposons là d'un socle à partir duquel nous pourrions, me semble-t-il, construire un accord sur le rôle de cette troisième force de sécurité intérieure.
Je terminerai par cette conviction : notre pays a besoin d'un Etat fort, incarné, présent sur l'ensemble du territoire, alors même que nous traversons une crise majeure des finances publiques. Celle-ci peut d'ailleurs encourager des demandes de recentralisation. Certains demandent par exemple une étatisation des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS). Tout cela confirme qu'il y a des attentes à l'égard de l'Etat. Cette force et cette présence ne seront possibles que si celui-ci maintient un lien étroit avec les collectivités territoriales.