Intervention de Marc Mortureux

Commission des affaires économiques — Réunion du 31 octobre 2012 : 1ère réunion
Effets à long terme des ogm associés à des pesticides — Audition de M. Marc Mortureux directeur général de l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation de l'environnement et du travail anses sur l'avis de l'agence du 19 octobre 2012 relatif à l'étude du professeur séralini

Marc Mortureux, directeur général de l'Anses :

Depuis sa création en 2010, l'Anses est chargée de l'évaluation des risques dans un vaste domaine qui recouvre les anciens champs de compétence de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) et de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset), et qui a donc trait à la fois à la santé humaine et à la santé animale et végétale. Elle peut ainsi évaluer les risques présentés par une même source de danger - agent chimique, biologique ou physique, comme les rayonnements - à travers différentes expositions : alimentation, travail, environnement quotidien. C'est un modèle original qui suscite beaucoup d'intérêt, en Amérique du Nord comme en Europe : aux Etats-Unis se côtoient la Food and Drug Administration et l'Environmental Protection Agency, en Allemagne le Bundesinstitut für Risikobewertung et l'Umweltbundesamt (UBA), respectivement chargés de l'alimentation et de l'environnement. La fusion de l'Afssa et de l'Afsset n'a pas été simple, certains se demandaient quelle serait la place de la santé au travail ou encore de la santé animale, dans ce vaste ensemble. Mais ces inquiétudes ont été apaisées au terme de longs débats, qui ont bousculé bien des habitudes et c'est tant mieux, car le plus grand risque dans notre domaine de compétence est de laisser s'installer la routine, l'accoutumance.

L'Anses est aussi dotée d'un modèle de gouvernance original, avec une expertise scientifique extrêmement protégée contre toute intervention externe - des procédures rigoureuses prévenant tout conflit d'intérêts - mais aussi de nombreux échanges avec la société civile, en amont, au sein des comités d'orientation thématiques placés auprès du conseil d'administration - lui-même divisé en cinq collèges reproduisant ceux du Grenelle de l'environnement - pour définir le programme de travail. En aval, il y a les discussions et contributions au débat public de la part de l'Anses. Un exemple : notre avis sur l'étude du professeur Séralini a été rendu public un lundi et dès le mardi nous réunissions les parties pour dialoguer, sans chercher à mettre tout le monde d'accord mais en espérant une compréhension mutuelle.

Les experts travaillent au sein de collectifs et sont recrutés pour leur compétence et en évitant tout conflit d'intérêts : l'évaluation des risques est ainsi menée de façon collective et contradictoire, dans un cadre réglementaire, en se fondant alors sur les données obligatoirement fournies par les industriels - c'est le cas pour les produits phytosanitaires et les PGM -, soit en réponse à la saisine du ministère ou d'une des parties représentées au conseil d'administration, soit par auto-saisine. Je regrette au passage que le Parlement n'ait pas le pouvoir de saisir l'Anses, c'est la loi qui a créé les agences sanitaires et nous sommes disposés à répondre à ses sollicitations...

L'Anses s'insère dans un schéma logique qui repose sur la séparation des missions : à l'agence l'évaluation des risques, aux ministères leur gestion. Le rôle de l'Anses est de livrer l'état des données scientifiques pour que les gestionnaires et les autres acteurs puissent prendre les décisions appropriées. L'Anses gère aussi des laboratoires, consacrés à la santé animale, végétale ou aux risques alimentaires. Nous aidons les pouvoirs publics à mettre en place les plans de contrôle et de surveillance prévus par la réglementation. Nous parlerons aujourd'hui des PGM et des produits phytosanitaires, mais nous nous intéressons à bien d'autres choses : biocides, téléphones portables, amiante, perturbateurs endocriniens, nanomatériaux... Bref, nos 1 300 agents, dont la moitié en laboratoire, et nos 800 experts extérieurs, réunis en une vingtaine de collectifs, sont bien occupés.

Au sujet de l'étude du professeur Séralini, le Gouvernement nous a demandé si elle remettait en cause, d'une part les évaluations précédentes du maïs NK603 ou de l'herbicide Roundup, d'autre part les lignes directrices actuelles d'évaluation de ces produits, dans le cadre de la réglementation européenne. Nous avons donc créé un groupe d'expertise collective d'urgence, composé de spécialistes des biotechnologies, des produits phytosanitaires, de toxicologie, de nutrition, de génotoxicité, sous la présidence d'un directeur de recherche de l'Institut national de la recherche agronomique (Inra), spécialiste des faibles doses et des mélanges. Nous avons veillé à écarter tout conflit d'intérêts : les déclarations d'intérêts des membres sont mises en lignes sur notre site.

Nous n'avons pas voulu réagir à chaud : le temps de l'expertise n'est pas celui des médias, même si nous avons rendu notre avis au bout d'un mois, ce qui est court. Nous avons souhaité replacer l'étude Séralini dans le contexte des publications disponibles sur le même sujet, car telle est notre valeur ajoutée. Nous ne sommes pas un super-comité de lecture !

On a de plus en plus tendance à considérer toute nouvelle étude comme décisive, alors qu'il est difficile de prendre des décisions sur la base d'une seule étude. Notre démarche vise toujours à resituer les éléments nouveaux dans l'ensemble du corpus des connaissances. Et nous adoptons une attitude résolument scientifique, sereine et respectueuse : cette étude, malgré ses faiblesses, lance des signaux d'alerte. A l'occasion de l'audition de Gilles-Eric Séralini le 10 octobre dernier, le groupe d'expertise a pu récupérer des données brutes qui ne figurent pas dans sa publication, laquelle doit être suivie par d'autres. Nous avons aussi entendu François Veillerette, représentant de Générations futures et spécialiste des produits phytosanitaires. Les dirigeants de Monsanto n'ont pas souhaité être entendus publiquement, mais nous ont adressé une contribution écrite. Nous avons bien sûr collaboré avec le Haut conseil des biotechnologies - nos missions étant spécifiques, nous avons cependant travaillé en toute indépendance -, avec l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), qui a, très vite, rendu une analyse critique sur l'étude du professeur Séralini, mais rendra à la mi-novembre un avis intégrant les travaux des différentes agences nationales. Nous avons aussi eu des échanges avec les agences allemande et néerlandaise qui ont réagi très rapidement. Toutes ont pointé les faiblesses de l'étude, mais nous avons voulu aller plus loin en faisant un état des lieux de la recherche.

Des méta-analyses avaient déjà balayé l'ensemble des études consacrées aux effets à long terme des PGM, notamment en cas d'association avec des produits phytosanitaires. Celle du professeur Séralini concerne l'herbicide Roundup et le maïs NK603, tolérant au glyphosate, la substance active du Roundup. Les auteurs ayant voulu faire beaucoup de choses à la fois, l'étude porte sur 200 rats, répartis en vingt groupes : des groupes témoins et des groupes auxquels on a fait consommer du maïs NK603 avec ou sans Roundup, à faible dose - correspondant aux résidus maximaux, donc à une exposition possible - ou à forte, voire très forte dose. Gilles-Eric Séralini et son équipe ont observé une mortalité et une incidence de tumeurs plus importantes et plus précoces dans les groupes traités que dans les groupes témoins, et ils ont conclu que ces substances ont des effets à long terme sur la santé.

S'agissant des PGM, ils estiment que les études imposées pour vérifier l'absence de risque sur la santé à long terme sont insuffisantes, en particulier parce que leur durée serait trop courte. Quant aux produits phytosanitaires, en l'état actuel de la réglementation, seules les substances actives donnent lieu à des études à long terme. Les produits commerciaux, composés d'une ou plusieurs substances actives et de coformulants, ne sont soumis qu'à des tests composant par composant mais non sur leur mélange. Un test de toxicité aiguë est tout de même pratiqué, mais s'il ne révèle pas d'écart sensible par rapport au même test mené sur la substance active, on en reste là. L'équipe du professeur Séralini réclame des études à long terme sur les mélanges.

Les experts de l'Anses, comme ceux des autres agences, ont estimé que l'étude ne suffisait pas à établir une relation de cause à effet entre la consommation de PGM, éventuellement traitées avec des pesticides, et l'apparition de tumeurs. L'espèce de rats sélectionnée développe spontanément des tumeurs ; il y avait donc au sein de l'échantillon des « faux positifs », des cas où le développement de la tumeur n'est pas lié à la consommation du maïs. Il aurait fallu des groupes d'au moins cinquante à quatre-vingts rats au lieu de dix, pour que l'analyse des écarts fût statistiquement valide.

Une autre étude, due au professeur Sakamoto et plus conforme aux protocoles classiques de l'OCDE, portait sur une variété génétiquement modifiée de soja, très largement consommée au Japon. Souvent citée, l'étude n'avait guère été lue et nous l'avons fait traduire du japonais. Or elle ne montre aucune différence entre les rats ayant consommé ce soja et les autres. Une troisième étude, menée par le professeur Malatesta et consacrée aux effets hépatiques d'une alimentation composée à 14 % de soja génétiquement modifié, concluait aussi à l'absence d'effets significatifs sur la mortalité ou la taille du foie.

L'Anses a donc considéré que l'étude Séralini formulait des conclusions non soutenues par les données, autrement dit qu'elle surinterprétait celles-ci ; la réglementation en vigueur sur le maïs NK603 et le Roundup n'est donc pas remise en cause. Déplorant cependant la rareté des études sur les effets potentiels à long terme des PGM, associées ou non à des préparations phytosanitaires, l'agence a appelé dès le début de 2011 à renforcer la réglementation européenne pour imposer davantage de tests subchroniques, à 90 jours ; cette réforme est en cours, et notre première recommandation est de la faire aboutir au plus vite.

Nous préconisons en outre de lancer de nouvelles études sur les effets à long terme de ces produits, en définissant clairement les objectifs poursuivis, les types de produits étudiés, et en assurant l'indépendance de l'expertise par la mobilisation de fonds publics. L'Anses est prête, avec d'autres agences, à travailler à l'élaboration des principes généraux de ces futures études.

L'Agence appelle aussi à accroître la recherche sur les effets « cocktail », à propos desquels il existe déjà un projet de recherche Périclès de l'Agence nationale de la recherche (ANR). Vu la complexité des mélanges et leur nombre potentiel, de nouvelles méthodologies de recherche s'imposent, autres que l'expérimentation animale.

Nous aimerions pouvoir mobiliser des fonds publics pour des études d'envergure sur des risques sanitaires insuffisamment étudiés. Actuellement, il existe des études réglementaires, financées par l'industrie ; et une recherche publique, aux moyens beaucoup plus réduits, qui ne porte pas en priorité sur ces risques auxquels les chercheurs ne trouvent qu'un intérêt scientifique limité. Le problème n'est pas propre aux PGM. Il est bon que l'industrie soit obligée de prouver l'innocuité des produits qu'elle fabrique, mais sur certaines questions, il faudrait pouvoir mener des études complémentaires et indépendantes. Nous ne demandons pas directement d'argent, mais la possibilité de mobiliser des financements publics dans le cadre des mécanismes existants, afin de crédibiliser un peu notre dispositif. Il faut s'appuyer sur les études des industriels et financer des études complémentaires larges mais coûteuses, lorsque nécessaire.

Nous pourrions suivre l'exemple du National Toxicology Program américain, auquel sont associées plusieurs agences et qui, grâce à une dotation de 120 millions de dollars, a pu mener il y a deux ans des travaux sur les perturbateurs endocriniens comme le bisphénol A. Votre mission d'information sur les pesticides a abouti aux mêmes conclusions au terme d'une analyse très poussée. Avant même la publication de l'étude Séralini, j'avais eu l'occasion de faire cette demande lors des Assises de la recherche et de l'enseignement supérieur.

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