J'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui mon rapport sur les deux propositions de résolution européenne dont nous avons débattu la semaine dernière avec la commission des affaires européennes et la délégation sénatoriale à l'outre-mer, à savoir la proposition de résolution européenne, initiée par la délégation sénatoriale à l'outre-mer et déposée par nos collègues Roland du Luart et Georges Patient, relative à la stratégie européenne pour les régions ultrapériphériques à l'horizon 2020 et la proposition de résolution européenne, déposée par notre collègue Georges Patient au nom de la commission des affaires européennes, portant sur l'Union européenne et le financement des régions ultrapériphériques françaises.
Je souhaite tout d'abord vous rappeler ce que sont les régions ultrapériphériques (RUP) : on compte cinq RUP françaises (les quatre départements d'outre-mer ainsi que la collectivité de Saint-Martin, deux RUP portugaises (les régions autonomes des Açores et de Madère) et une RUP espagnole (la communauté autonome des Canaries). Enfin, Mayotte deviendra une RUP le 1er janvier 2014.
Les RUP font partie intégrante du territoire de l'Union européenne et le droit communautaire s'applique donc à elles. Elles se différencient en cela des pays et territoires d'outre-mer (PTOM), comme Saint-Barthélemy, Saint-Pierre-et-Miquelon, la Polynésie française, Wallis-et-Futuna ou la Nouvelle-Calédonie, sur le territoire desquels le droit communautaire ne s'applique pas.
Pourquoi ces deux propositions de résolution européenne ont-elles été déposées ? La réponse est simple : la période actuelle est décisive pour l'avenir des RUP.
Tout d'abord, les négociations sur le cadre financier pluriannuel de l'Union sont d'une importance capitale pour les RUP.
Le 29 juin 2011, la Commission européenne a publié ses premières propositions sur le cadre financier pluriannuel pour 2014-2020, autrement dit le budget de l'Union européenne pour les sept années à venir. Les négociations sont en cours depuis lors et le Conseil européen des 22 et 23 novembre prochain pourrait constituer un tournant.
Le cadre financier fixera notamment le montant que l'Union consacrera à sa politique de cohésion : il s'agit d'une politique vitale pour les régions ultrapériphériques.
Les RUP françaises ont ainsi bénéficié sur la période 2007-2013 de près de 3,2 milliards d'euros, dont 1,8 milliard d'euros au titre de l'objectif « convergence », qui vise les régions de l'UE les moins favorisées, et 484 millions d'euros au titre de l'allocation de compensation spécifique aux RUP et aux régions septentrionales.
Vous comprenez aisément pourquoi les négociations en cours représentent un enjeu majeur pour les RUP.
Ensuite, la Commission européenne a publié en juin dernier une communication intitulée « les régions ultrapériphériques de l'Union européenne : vers un partenariat pour une croissance intelligente, durable et inclusive ». Dans ce document, la Commission a présenté la stratégie de l'Union pour les RUP : il s'agit du troisième document de ce type en moins de dix ans.
Enfin, dernier élément de contexte, le 1er juillet 2014 constitue une échéance décisive pour l'octroi de mer.
Ce dernier est une taxe spécifique aux départements d'outre-mer : il s'agit d'un impôt sur les marchandises, permettant de taxer les importations et les productions locales - ces dernières étant cependant moins taxées.
La spécificité de cet impôt est qu'il finance les collectivités territoriales, le montant total des recettes atteignant plus d'un milliard d'euros. L'octroi de mer représente par exemple près d'un tiers des recettes des communes des DOM.
Or, l'octroi de mer déroge au principe européen de libre circulation des marchandises. En 2004, le Conseil n'a autorisé son maintien que jusqu'en 2014. Au vu des montants en jeu, l'avenir de l'octroi de mer est un sujet d'inquiétude pour tous les élus locaux des DOM.
Au-delà de ce contexte, les deux propositions de résolution interviennent alors que les représentants des RUP ne cessent de souligner que les réalités de ces régions sont insuffisamment prises en compte au niveau européen.
Un outil juridique existe pourtant : l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) qui permet la mise en oeuvre de mesures spécifiques en faveur des RUP, ceci afin de tenir compte de leurs handicaps.
Cet article est cependant très insuffisamment utilisé, comme l'ont souligné tant le Parlement européen dans une résolution datant d'avril 2012 que l'excellent rapport d'octobre 2011 de l'ancien ministre et ancien commissaire espagnol, M. Pedro Solbes Mira.
Seul un dispositif de soutien existe réellement : il s'agit du programme d'option spécifique à l'éloignement et à l'insularité, le POSEI. Il a été conçu dans une logique plurisectorielle mais son champ a été restreint à l'agriculture.
Dans ces conditions, on ne peut que saluer l'initiative prise par le Gouvernement français en septembre dernier. Le ministre des outre-mer a lancé une initiative à l'occasion de la Conférence des présidents des RUP, afin de mettre en place, je cite, « un cadre global approprié pour les interventions communautaires dans les RUP ». Ce cadre se concrétiserait par la mise en place d'un programme de type POSEI d'aides aux entreprises dans les filières d'avenir. Cette initiative rejoint les préoccupations exprimées à maintes reprises par les représentants des RUP.
Je souhaite également rappeler que le Sénat s'est prononcé solennellement à deux reprises au cours des deux dernières années sur la prise en compte des spécificités des RUP : en mai 2011, il s'agissait de demander la compensation des effets, sur l'agriculture des DOM, des accords commerciaux conclus par l'Union européenne avec des pays sud-américains ; en juillet 2012, il s'agissait d'obtenir la prise en compte par l'Union européenne des réalités de la pêche des RUP françaises.
A l'occasion de ces deux résolutions, le Sénat a appelé à une plus grande utilisation de l'article 349 et a dénoncé l'incohérence de la politique commerciale de l'Union avec les autres politiques sectorielles.
L'action du Sénat n'a d'ailleurs pas été vaine : en matière de pêche, le Conseil des ministres du 24 octobre 2012 a adopté une orientation générale qui comprend plusieurs avancées allant dans le sens de la création d'un véritable « POSEI pêche », qui correspondent aux demandes formulées par le Sénat dans la résolution de juillet 2012.
Cependant, la communication de la Commission de juin 2012 et les propositions de la Commission s'agissant de la politique de cohésion constituent deux nouvelles illustrations du défaut de prise en compte des réalités des RUP par la Commission européenne.
S'agissant de la communication de la Commission, elle est en net décalage avec les attentes des RUP. En tant que rapporteur, j'ai sollicité les présidents des quatre conseils régionaux des DOM : ces derniers sont unanimes dans leur critique de ce document, jugé sans ambition et sans mesures concrètes en faveur des RUP.
Plus précisément, ce document illustre les contradictions de la stratégie de l'Union à l'égard des RUP : la Commission reconnaît que ces régions constituent un atout pour l'Europe. Elle fixe des objectifs stratégiques ambitieux, en termes de compétitivité ou d'innovation, mais parle bien peu des politiques de rattrapage dont ces régions ont besoin.
S'agissant de la politique de cohésion, la Commission européenne propose notamment une baisse de 43 % de l'allocation spécifique aux RUP et que 50 % du FEDER soient consacrés à trois objectifs : la recherche, la compétitivité des PME et la promotion d'une économie à faible teneur en carbone. Sous l'impulsion du Conseil, un quatrième objectif a été ajouté : l'amélioration de l'accès aux technologies de l'information et de la communication (TIC).
Ce fléchage, ou cette « concentration thématique » pour reprendre le vocabulaire communautaire, est inadapté aux réalités des RUP. Comme l'indiquaient nos collègues Yann Gaillard et Simon Sutour dans un rapport fait en 2011 au nom de la commission des affaires européennes, je cite, « l'investissement des fonds structurels dans ces territoires doit pouvoir s'orienter vers les besoins locaux prioritaires, notamment en infrastructures ».
Les deux propositions de résolution interviennent donc dans ce contexte.
La proposition de résolution initiée par la délégation sénatoriale à l'outre-mer constitue un texte de « réaction » suite à la communication de la Commission européenne : elle souligne notamment le décalage entre la communication de la Commission européenne et les attentes des RUP ; elle note les contradictions inhérentes à cette communication, notamment le fossé existant entre les objectifs stratégiques très ambitieux et les nécessaires politiques de rattrapage ; elle demande l'assouplissement de la concentration thématique ; elle salue l'initiative prise par le ministre des outre-mer ; elle réaffirme, enfin, la nécessité d'une véritable mise en cohérence des politiques communautaires, et notamment de la politique commerciale avec les autres politiques communautaires.
S'agissant de la proposition de résolution de la commission des affaires européennes, les éléments suivants me paraissent particulièrement importants : le cadre financier pluriannuel 2014-2020 doit illustrer concrètement la reconnaissance des RUP comme un atout pour l'Europe, en cohérence avec la communication de la Commission européenne ; la proposition de résolution demande le maintien du niveau de l'allocation spécifique pour les RUP, ainsi que l'assouplissement de la concentration thématique ; s'agissant de l'octroi de mer, le texte invite le Gouvernement à entamer dès à présent le dialogue avec la Commission sur ce dossier ;
Au terme de mes travaux, j'estime que ces deux propositions de résolution sont deux initiatives bienvenues et pleinement complémentaires : elles constituent à mes yeux un soutien utile au Gouvernement dans le cadre des négociations en cours au niveau européen et, pour ce qui concerne l'octroi de mer, un appel à la mobilisation du Gouvernement.
Comme je vous l'indiquais, j'ai sollicité les présidents des quatre conseils régionaux d'outre-mer : à la lecture de leurs contributions, je ne peux que souligner leur parfaite harmonie avec les deux propositions de résolution.
Je souhaite formuler quelques observations complémentaires.
Tout d'abord, à mes yeux, l'article 349 constitue le véritable « Graal » des RUP. Il reste cependant quelque peu virtuel : la priorité du Gouvernement français doit donc être la reconnaissance par la Commission européenne de la portée de cet article et son « utilisation adéquate et systématique », pour reprendre les termes figurant dans le rapport de M. Pedro Solbes Mira ;
S'agissant ensuite de la politique commerciale, la proposition de résolution européenne reprend la position exprimée à plusieurs reprises par notre Haute assemblée. Je ne peux que rappeler l'impact potentiellement dévastateur de la politique commerciale de l'Union sur les petites économies ultramarines.
S'agissant de la politique de cohésion, je souhaite souligner que les taux de consommation des fonds structurels sont, contrairement à une idée répandue - notamment à Bruxelles - du même ordre dans les DOM que dans l'Hexagone. La prétendue faible capacité des RUP à consommer les fonds européens n'est donc qu'un mirage.
Enfin, s'agissant de l'octroi de mer, la proposition de résolution de la commission des affaires européennes s'adresse davantage au Gouvernement français qu'aux institutions européennes. Je regrette d'ailleurs que, sous le précédent quinquennat, celui-là se soit désintéressé de cette question pourtant essentielle pour les collectivités territoriales d'outre-mer.
Le texte de la commission des affaires européennes semble en effet renoncer à la prolongation de l'octroi de mer au-delà du 1er juillet 2014, ce qui constitue pourtant la position du Gouvernement actuel et le souhait des élus locaux ultramarins, pour privilégier des pistes alternatives dont la faisabilité et l'impact sur les populations et les collectivités ultramarines n'a pas été expertisée. La proposition de résolution pourrait donc affaiblir le Gouvernement dans ses négociations avec la Commission européenne.
S'agissant de la piste de la TVA régionale comme solution de substitution à l'octroi de mer, je suis ainsi sceptique : l'octroi de mer ne pesant pas sur les services, un tel remplacement conduirait à taxer les services, ceci dans un contexte où la vie chère est un sujet de préoccupation quotidien pour nos concitoyens ultramarins ; par ailleurs, le remplacement de l'octroi de mer conduirait à plus que le doublement du taux actuel de la TVA dans les trois départements où elle est applicable...
Je vous proposerai donc un amendement visant réaffirmer le souhait du Sénat de voir l'octroi de mer prolongé au-delà du 1er juillet 2014. Quoiqu'il en soit, la balle est aujourd'hui dans le camp du Gouvernement : il doit présenter à la Commission européenne un dossier solide justifiant le dispositif.
En conclusion, vous comprendrez aisément que je vous propose d'adopter ces deux propositions de résolution européenne, sous réserve de quelques modifications pour ce qui concerne le texte de la Commission des affaires européennes.
L'objectif est clair : pour reprendre les termes de M. Rodolphe Alexandre, président du conseil régional de la Guyane, il s'agit de mettre en place, je cite, « une Europe plus pragmatique, plus efficace, davantage au fait des préoccupations réelles des populations de ses régions ultrapériphériques et soucieuse d'y apporter des réponses adaptées ».