Après les constats et les éléments de contexte qui viennent de vous être présentés par Roland du Luart, j'en viens aux préconisations que nous souhaitons faire figurer dans la proposition de résolution.
Il s'agit de tenir compte de l'initiative prise par la commission des affaires européennes sur la politique de cohésion et l'octroi de mer, pour éviter les redondances et se situer dans une logique de complémentarité ; et il s'agit d'éviter de se disperser dans des considérations trop nombreuses, à l'inverse de la communication de la Commission européenne qui accumule les déclarations d'intention de façon désordonnée et donne le sentiment d'un saupoudrage.
Nous vous proposerons de concentrer nos efforts sur deux axes principaux déterminants pour l'avenir de nos régions ultrapériphériques et de prendre en considération les positions exprimées successivement par les memoranda d'octobre 2009 et mai 2010, les conclusions du rapport de M. Pedro Solbes Mira d'octobre 2011, la déclaration finale de la XVIIIème Conférence des présidents des régions ultrapériphériques de l'Union européenne des 13 et 14 septembre 2012 ainsi que les observations formulées par les présidents des régions ultrapériphériques françaises, et récemment, le 11 octobre 2012, celles exprimées par les deux députés européens représentant les RUP françaises, MM. Younous Omarjee et Patrice Tirolien, auditionnés par notre délégation. Il s'agit aussi d'appuyer les efforts déployés dans les négociations en cours par le Gouvernement, et en particulier le ministre des outre-mer, Victorin Lurel, qui vient d'obtenir quelques avancées significatives dans le domaine de la pêche.
Tirant les conséquences du caractère très mitigé de l'accueil accordé à la communication de la Commission européenne du 20 juin 2012 définissant la stratégie de l'Union européenne à l'égard des RUP, la présente proposition de résolution entend appeler à un engagement européen moins incantatoire, mais plus réaliste et pragmatique, pour une prise en compte effective des contraintes et de la diversité de ces régions ; elle appelle également à une meilleure cohérence dans la mise en oeuvre des politiques européennes entre elles, les RUP étant trop fréquemment les victimes collatérales de leurs contradictions.
Première série de préconisations : celles en faveur d'une prise en compte effective des contraintes et de la diversité des RUP.
Il s'agit de plaider pour une stratégie européenne équilibrée prenant en compte effectivement, et pas seulement dans le discours, d'une part, à la fois le retard en termes d'équipements structurants des territoires et un contexte économique et social très dégradé, et, d'autre part, les contraintes propres aux RUP par rapport aux autres États de l'Union relevant de l'objectif dit « de convergence » - bien que cet objectif ait changé de dénomination dans le cadre de la nouvelle stratégie - et la diversité de situations de ces régions.
Tout d'abord, et sans empiéter sur le périmètre d'intervention de la commission des affaires européennes, il nous est apparu nécessaire, dans le cadre de la politique de cohésion, de renchérir sur la demande d'un assouplissement de ce qu'il est convenu d'appeler en langue européenne « la concentration thématique », c'est-à-dire les critères d'objectifs auxquels doivent satisfaire les projets pour être éligibles aux fonds structurels.
En effet, la Commission européenne proposait de concentrer 50 % des fonds du FEDER sur 3 objectifs thématiques parmi les 11 proposés, à savoir : renforcer la recherche, le développement technologique et l'innovation ; renforcer la compétitivité des PME ; soutenir la transition vers une économie à faibles émissions de CO2 dans tous les secteurs.
Le Conseil a décidé l'ajout d'un 4ème objectif non libre de choix : améliorer l'accès aux technologies de l'information et de la communication (TIC), leur utilisation et leur qualité. La France a demandé que ce 4ème objectif reste libre de choix pour les RUP, ce qui permettrait d'opter par exemple pour l'objectif relatif à « la protection de l'environnement et à la promotion d'une utilisation rationnelle des ressources », lequel est de nature à faciliter le financement de projets d'équipements structurants comme ceux liés à l'élimination des déchets ou à l'adduction d'eau. Le Parlement européen y est favorable et la décision devrait être prise prochainement dans le cadre du trilogue.
Cet assouplissement en matière de fléchage des projets éligibles aux financements européens ainsi qu'un abaissement du taux de concentration thématique devraient contribuer à éviter que ne se matérialise un décalage de plus en plus important entre les objectifs stratégiques ambitieux définis par la Commission européenne, axés sur la compétitivité et l'innovation, et la réalité du terrain qui appelle un rattrapage structurel, les retards en matière d'équipement demeurant importants lorsqu'ils ne s'accentuent pas.
En outre, les objectifs de développement ne pourront être atteints en l'absence de consolidation des secteurs traditionnels qui, eux aussi, ont besoin des aides européennes. Ces secteurs, garants de la cohésion sociale, constituent le socle de développement sans lequel l'émergence de secteurs innovants restera une fiction.
De même que la Commission européenne scande un discours incantatoire sur la nécessité de valoriser les atouts des RUP dans le développement d'une « croissance intelligente, durable et inclusive », en « (tenant) compte (de leurs) spécificités et contraintes » mais n'évoque que bien peu les nécessaires politiques de rattrapage, elle se contente d'inviter chaque région à « trouver sa propre voie vers une prospérité accrue, en fonction de ses particularités » et reste hostile à l'instauration d'instruments spécifiques d'aide aux RUP bien que, reconnaît-elle, « certains (...) aient fait leurs preuves ». Ainsi veille-t-elle à une interprétation et à une mise en oeuvre restrictive de l'article 349.
En deuxième lieu, la proposition de résolution invite à mobiliser plus largement et plus fréquemment au bénéfice des RUP le fondement juridique de l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).
Conformément à la position traditionnellement restrictive de la Commission, sa communication de juin 2012 ne fait que de rares références à l'article 349 du traité qui justifie pourtant que des mesures spécifiques soient prises en faveur des RUP afin de tenir compte de leurs handicaps.
Je ne reviendrai pas sur les termes de cet article, rappelés par Roland du Luart, ni sur le constat de sa sous-utilisation qu'il a également dressé. Mais la France est déterminée à obtenir une meilleure utilisation de ce fondement juridique et nous pouvons, par notre résolution, peser dans les négociations et aider le Gouvernement dans ce dossier majeur.
Ainsi, lors de la Conférence des présidents des RUP de septembre 2012, Victorin Lurel, ministre des outre-mer, a appelé à la mise en place d'un « cadre global approprié pour les interventions communautaires dans les RUP », qui pourrait prendre la forme d'un « règlement plurisectoriel en faveur du soutien aux filières d'avenir dans les RUP », à savoir des filières identifiées comme stratégiques et contribuant à leur désenclavement telles que les énergies renouvelables, les TIC, les transports, le tourisme ou encore, en Guyane, une filière bois. Ce mécanisme pourrait comprendre un programme - de type POSEI - d'aides aux entreprises et couvrant ces secteurs porteurs de croissance.
Cette initiative rejoint ainsi les préoccupations exprimées dans le memorandum de 2010 qui indiquait : « pour l'avenir, et en particulier dans les secteurs dans lesquels les progrès ont été insuffisants (transports, insertion régionale, environnement, changement climatique, recherche et innovation...), un cadre d'intervention spécifique devrait être conçu, semblable à l'approche POSEI ».
Le ministre a par ailleurs appelé de ses voeux la multiplication des déclinaisons sectorielles de l'article 349 afin de permettre l'adaptation des politiques européennes aux réalités des RUP.
Cette prise de position, déjà martelée dans les négociations en voie d'aboutir sur la réforme de la politique commune de la pêche (PCP), semble devoir marquer un point. En effet, le Conseil des ministres de la pêche de l'Union européenne du 24 octobre vient d'adopter une orientation générale sur les mesures susceptibles de bénéficier du soutien financier du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) sur la période 2014-2020, qui inclut dans ces mesures les « aides publiques à la flotte, et notamment des aides à la modernisation des navires », ainsi que des « aides à l'installation des jeunes pêcheurs et aquaculteurs ». A également été obtenue une avancée majeure pour les RUP : « l'extension à tous les DOM français du régime de compensation des coûts additionnels supportés par les pêcheurs et les aquaculteurs ultramarins en raison de leur éloignement ». Ces avancées, qui sont déterminantes pour l'avenir du secteur de la pêche dans nos outre-mer, doivent désormais recueillir l'assentiment du Parlement européen. Rappelons que la Délégation sénatoriale à l'outre-mer s'était engagée en faveur de ces évolutions permettant la prise en compte des réalités des RUP dans la réforme de la PCP en proposant à la Haute assemblée une résolution devenue résolution du Sénat le 3 juillet 2012.
Il apparaît par ailleurs nécessaire, pour compenser les handicaps structurels auxquels sont confrontés les acteurs économiques, de faire des aides d'État, un levier plus efficace. L'article 107, paragraphe 3, du traité permet la prise en compte des spécificités des RUP. Compte tenu de l'éloignement géographique et de l'étroitesse de leurs marchés, les aides aux entreprises des RUP ne peuvent en effet être considérées comme des menaces à la libre concurrence. Il apparaît donc aujourd'hui indispensable que les taux actuels d'intensité et l'éligibilité des aides au fonctionnement valables dans les RUP soient maintenus et il serait même utile d'aller plus loin en introduisant un seuil de minimis spécifique à ces régions.
La prise en compte des contraintes spécifiques aux RUP sur le fondement de l'article 349 du traité doit également pouvoir se décliner dans les programmes européens horizontaux, tels que l'instrument financier pour l'environnement (LIFE) ou le programme « Horizon 2020 » pour la recherche. Il apparaît nécessaire, pour rendre effectif l'accès des RUP à ces programmes, d'assurer un accompagnement spécifique des porteurs de projet issus des RUP, ainsi que des appels à projets spécifiques à ces régions.
L'accès des RUP à certains programmes horizontaux reste en effet aujourd'hui théorique, faute pour ces régions de pouvoir répondre aux critères d'éligibilité qui ne tiennent pas compte de certaines contraintes telles que, par exemple, l'éloignement. C'est ainsi que la jeunesse des RUP françaises se trouve largement privée du bénéfice du programme Erasmus dans la mesure où celui-ci ne permet pas la prise en charge financière du transport de l'étudiant originaire d'une RUP entre sa région et la capitale de son État membre.
Enfin, il apparaît singulier que la communication de la Commission n'évoque pas le cas particulier de Mayotte, collectivité en voie de « rupéisation ». Il convient que la Commission accorde une attention toute particulière à cette collectivité qui présente d'importantes spécificités et que de larges dérogations lui soient accordées sur le fondement de l'article 349 pour lui permettre de bénéficier effectivement des aides européennes.
Seconde catégorie de préconisations : celles relatives à une nécessaire cohérence des politiques communautaires à l'égard des RUP, la problématique de la politique commerciale.
À deux reprises au cours des deux dernières années, le Sénat a souligné l'incohérence de la politique commerciale avec les autres politiques sectorielles de l'Union à l'égard des RUP. Je vous rappelle nos initiatives successives qui ont conduit à l'adoption de la résolution du 3 mai 2011 tendant à obtenir compensation des effets, sur l'agriculture des départements d'outre-mer, des accords commerciaux conclus par l'Union européenne, ainsi qu'à l'adoption de la résolution du 3 juillet 2012 visant à obtenir la prise en compte par l'Union européenne des réalités de la pêche des régions ultrapériphériques françaises.
La politique commerciale de l'UE constitue en effet une menace pour l'économie des RUP et entrave l'intégration régionale de ces régions.
Or, si la communication de la Commission européenne appelle à l'intégration régionale des RUP, « c'est en veillant à ce que la réciprocité commerciale créée par les APE ne pénalise pas structurellement les économies des RUP que l'on pourra résolument faciliter l'intégration des RUP dans leur environnement régional », comme le souligne le rapport Solbes.
La mise en cohérence de la politique commerciale avec les autres politiques communautaires doit notamment passer par l'évaluation systématique et préalable des effets des accords commerciaux conclus par l'UE sur l'économie des RUP, les mécanismes de compensation financière ne pouvant constituer qu'un pis aller et n'étant pas en mesure, à terme, d'empêcher la disparition de pans entiers de l'économie des RUP, en particulier dans le secteur agricole.
Dès sa communication de 2004, la Commission affirmait qu'« en ce qui concerne les nouveaux accords préférentiels de l'UE avec d'autres pays tiers, la Commission effectuera une analyse d'impact des effets de ces accords sur l'économie des régions ultrapériphériques ». Il est donc troublant de trouver une déclaration analogue de la Commission huit ans plus tard, dans la communication de 2012 : « les accords conclus par l'UE tiendront dûment compte des RUP, par exemple lorsque ces accords couvrent des produits fabriqués dans les RUP », dont l'application paraît loin d'être garantie. Encore une fois, il y a loin du discours aux mesures concrètes : les sombres perspectives pour les marchés de la banane, du sucre et du rhum en sont une illustration ! Ce constat justifie que nous prenions encore une fois une position très ferme sur cette question.
Telles sont les préconisations qui, dans des termes vigoureux et sans concession, figurent dans la proposition de résolution que nous pouvons maintenant passer en revue.
Je passe à la lecture des considérants et des préconisations figurant dans la proposition de résolution que nous vous soumettons :
« Considérant que le document publié le 20 juin dernier par la Commission européenne constitue la troisième communication définissant la stratégie de l'Union européenne (UE) pour les RUP en moins de dix ans,
Considérant que, comme l'a souligné de façon récurrente la Commission européenne, les régions ultrapériphériques (RUP) constituent un atout pour l'Europe et que, selon les termes de sa communication du 20 juin 2012, « toute stratégie en faveur des RUP doit reconnaître leur valeur pour l'UE dans son ensemble »,
Considérant que l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) permet l'édiction de mesures spécifiques aux RUP afin de prendre en compte leurs contraintes propres que sont « leur éloignement, l'insularité, leur faible superficie, le relief et le climat difficiles, leur dépendance économique vis-à-vis d'un petit nombre de produits ».