Intervention de Jean-Claude Peyronnet

Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 13 novembre 2012 : 1ère réunion
La coopération décentralisée — Examen du rapport d'information

Photo de Jean-Claude PeyronnetJean-Claude Peyronnet, rapporteur :

Ce rapport est le résultat de nombreux entretiens. Mon propos s'articulera en trois points : tout d'abord les limites de l'étude, puis une présentation historique et, enfin, l'état actuel de la coopération décentralisée.

Les limites de l'étude, en premier lieu : les jumelages, les partenariats économiques, scientifiques ou universitaires ont été exclus du périmètre de ce rapport, qui se concentre sur les relations des collectivités territoriales françaises avec les collectivités « du sud ».

La coopération décentralisée a connu un développement important ces dernières années, tant en nombre de projets menés que d'un point de vue géographique, notamment vers l'Asie. Elle s'est développée au lendemain de la seconde guerre mondiale, dans un esprit de paix entre les pays, principalement avec des collectivités locales européennes. Parmi ses promoteurs, on peut citer Édouard Herriot affirmant que « le rapprochement communal est la meilleure condition du rapprochement humain ». Puis, dans les années 60-70, la coopération s'est tournée vers les pays du sud.

Au début, elle est marquée par l'absence de base juridique. Le premier pas est la loi du 2 mars 1982. L'article 65 de cette loi relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions donne pour la première fois un fondement légal à la coopération décentralisée, mais la limite aux régions et à la coopération transfrontalière. L'article 65 précise en effet que « le conseil régional peut décider, avec l'autorisation du Gouvernement, d'organiser, à des fins de concertation et dans le cadre de la coopération transfrontalière, des contacts réguliers avec des collectivités décentralisées étrangères ayant une frontière commune avec la région ».

La coopération décentralisée se caractérise donc, dans un premier temps, par une méfiance du gouvernement et une volonté de l'encadrer fermement pour éviter des dérives en matière de politique extérieure. Des circulaires vont progressivement élargir le champ de l'action extérieure des collectivités territoires en 1983 et 1985 aux départements et aux communes. La loi sur l'administration territoriale de la république du 6 février 1992 est la première grande loi qui reconnaît pleinement, pour tous les niveaux de collectivités territoriales, la coopération décentralisée. Cette dernière n'est d'ailleurs plus restreinte à la seule coopération transfrontalière. Toutefois, elle reste limitée aux domaines propres des collectivités territoriales. Celles-ci ne peuvent intervenir que par convention et sous le contrôle de l'Etat.

Dans les années 2000, plusieurs jugements interrogent l'intérêt local de la coopération décentralisée et plusieurs arrêts remettent en cause les délibérations dans ce domaine des collectivités locales, car l'intérêt local n'est pas démontré. Face aux incertitudes juridiques nées d'une jurisprudence non constante, le législateur s'empare de ce thème par la loi de 2007 relative à l'action extérieure des collectivités territoriales et de leurs groupements, à l'origine de laquelle est notre ancien collègue Michel Thiollière. Cette loi clarifie les possibilités d'intervention en fonction de trois distinctions :

- les projets menés dans le cadre des compétences de la collectivité française ;

- les projets créés par convention ;

- l'intervention d'urgence face à des catastrophes naturelles et humaines.

Enfin, la dernière étape juridique est la loi du 16 décembre 2010 qui supprime la clause générale de compétence pour les départements et les régions. Cette suppression aurait pu être source d'inquiétudes mais l'administration m'a précisé, lors de la préparation de ce rapport, qu'elle considérait la coopération décentralisée comme une compétence d'attribution. En outre, il est probable que la future loi de décentralisation rétablisse la clause générale de compétence pour tous les niveaux de collectivités. Les bases juridiques sur lesquelles repose la coopération décentralisée sont donc aujourd'hui solides.

Beaucoup plus d'incertitudes pèsent sur le bilan chiffré. Certes, le nombre de collectivités menant des actions de coopération décentralisée est bien documenté : elles sont ainsi un peu plus de 4 800, dont les 26 régions, 80 départements et 250 intercommunalités. Toutefois, en ce qui concerne les montants financiers, les données sont beaucoup plus incertaines. La tendance est à l'augmentation sur la dernière décennie et l'aide déclarée au titre de l'aide publique au développement (APD) des collectivités territoriales est de 60,5 millions d'euros en 2011. Or, selon une étude réalisée par l'agence Coop Dec Conseil, 60% des départements, villes de plus de 100 000 habitants et communautés urbaines n'ont pas déclaré leur APD en 2011, d'où une connaissance approximative des montants d'APD réels des collectivités territoriales. Un chiffre faisant consensus évalue toutefois à 115 millions d'euros cette dernière. Pour autant, il n'est pas certain que ce montant prenne en compte toutes les dépenses relatives à la coopération décentralisée, comme par exemple les salaires des personnels en mission. C'est pourquoi les propositions n° 11, « rappeler aux collectivités territoriales l'intérêt de mettre à jour de manière exhaustive et régulièrement l'Atlas français de la coopération décentralisée », et n° 14, « rappeler aux collectivités territoriales la nécessité d'informer systématiquement les ambassades françaises dans le pays partenaire de la mise en place ou de l'existence d'une action de coopération décentralisée », visent à améliorer la connaissance de la coopération décentralisée. L'atlas de la décentralisation est un outil de travail dont l'utilisation optimale souffre aujourd'hui d'un manque d'exhaustivité dans son renseignement. Cependant, je tiens à rappeler qu'il n'est pas question de mettre en place des moyens coercitifs - cela n'est d'ailleurs pas possible. Dernier point sur le montant de la coopération décentralisée : les régions sont les plus gros contributeurs, représentant 55% des sommes allouées à la coopération décentralisée.

L'intérêt de la coopération décentralisée n'est plus à démontrer : elle apporte une plus-value par l'existence de liens privilégiés entre les élus. De nombreuses personnes auditionnées ont insisté sur ce point. Elle permet ainsi un réel dialogue, qui ne se dément pas même en cas de tensions internationales. A titre d'exemple, les tensions entre la France et la Chine durant la période 2007-2009 n'ont pas eu d'impact sur les relations entre les collectivités françaises et chinoises. En outre, l'expertise propre des collectivités territoriales françaises, que ce soit en matière d'urbanisme, d'assainissement, de gouvernance locale, de transport ou de développement durable est reconnue par tous. Les actions de coopération décentralisée sont d'autant plus légitimées qu'il existe un consensus en leur faveur, que ce soit au niveau national, mais aussi au sein des organes délibératifs des collectivités territoriales, à l'exception des critiques formulées par certains élus d'extrême droite. Enfin, la coopération décentralisée présente deux autres originalités : d'une part, contrairement aux ONG, elle s'inscrit dans la durée et va au-delà de la simple mise en oeuvre de tel projet. Par ailleurs, l'Agence française du développement souligne que la participation des collectivités territoriales françaises et l'existence d'actions de coopération décentralisée améliorent la qualité des projets ainsi que la durabilité de leur impact pour la collectivité bénéficiaire ; d'autre part, elle permet la mobilisation d'un certain nombre d'acteurs locaux, que ce soit les associations, les entreprises ou les agences de l'eau, autour d'un projet commun.

Je souhaite maintenant évoquer les partenaires des collectivités territoriales dans leurs projets de coopération décentralisée.

Ces partenaires sont au nombre de quatre. Il s'agit tout d'abord du ministère des Affaires étrangères et européennes, plus précisément de la Délégation pour l'action extérieure des collectivités territoriales. Cette dernière n'a pas un rôle de tutelle, mais propose un appui juridique et peut servir d'interface avec les ambassades et les préfectures. En outre, elle apporte un cofinancement, dans les secteurs que l'Etat a choisis, pour un montant de 9,8 millions d'euros en 2011, ce qui n'est pas négligeable. L'aboutissement de la reconnaissance du savoir-faire des collectivités territoriales par le ministère est la mise en place d'un label officiel dénommé PACT2 (programme d'appui à la coopération thématique des collectivités territoriales).

L'Agence française du développement (AFD) est le deuxième partenaire majeur dans ce domaine. C'est en effet l'opérateur pivot de l'aide bilatérale de la France. Si elle travaille principalement directement avec les collectivités du Sud, souvent sous forme de prêts, elle cherche de plus en plus à associer les collectivités françaises et à bénéficier de leurs expertises. Des obstacles persistent toutefois : ainsi, les projets qu'elle porte sont souvent très lourds financièrement et un cofinancement de la part des petites et moyennes collectivités est souvent difficile. En effet, le cofinancement demandé aux collectivités territoriales françaises pour ces projets est rarement inférieur à 300 000 euros.

Cités Unies France est un autre partenaire incontournable de la coopération décentralisée : près de 500 collectivités ont adhéré à cette association spécialisée dans l'action extérieure des collectivités territoriales. L'animation et la coordination des actions sont ses principales actions. Par ailleurs, elle a signé une convention avec l'AFD.

Enfin, l'Union européenne, qui a une conception plus large de la coopération décentralisée, est un partenaire récent dans ce domaine. Le consensus européen sur le développement du 20 décembre 2005 en est l'une des premières manifestations européennes. Ainsi, « l'Union européenne encourage une participation accrue des assemblées nationales, des parlements et des autorités locales ». Il coïncide avec le rapport de Pierre Shapira, adopté par le Parlement européen, où est soulignée la nécessité « d'appuyer et de renforcer la coopération directe des autorités locales européennes avec leurs partenaires internationaux ». Un programme thématique réservé aux organisations non gouvernementales et aux autorités locales a été mis en place pour un montant de 1,6 milliard d'euros sur la période 2007-2014. Toutefois, la France a du mal à obtenir des subventions de la part de l'Union européenne. Un recensement des actions de coopération décentralisée est également réalisé à l'échelle européenne.

Dernière partie de cet état des lieux : les secteurs d'intervention des collectivités territoriales françaises. D'un point de vue thématique, les actions s'inscrivent dans une nouvelle logique. De plus en plus, il s'agit de proposer des formations aux élus et agents partenaires, de mettre en place un suivi sur le long terme d'un projet, avec le souci de faire de la collectivité territoriale du Sud un acteur de son propre développement. A titre d'illustration, plutôt que de se borner à financer des puits, l'action porte également sur la formation à l'entretien de ces derniers. Au demeurant, les financements du ministère des Affaires étrangères concentrent l'effort sur l'aide à la formation et à la gouvernance locale, plutôt que sur les infrastructures.

D'un point de vue géographique, l'Afrique reste la première destination de la coopération décentralisée, bénéficiant de 60% des montants d'APD des collectivités territoriales, dont 20% dans la zone subsaharienne. L'Amérique est la deuxième zone géographique, avec 14% des montants, dont les deux-tiers vers Haïti. Enfin, depuis les années 2000, la coopération décentralisée se développe vers l'Asie, notamment la Chine.

Le contexte actuel de tension sur les finances publiques pose la question du financement de la coopération décentralisée. Les collectivités territoriales disposent de deux moyens principaux : leurs fonds propres et les possibilités ouvertes par la loi Oudin-Santini.

La loi Oudin-Santini du 9 février 2005 permet aux collectivités territoriales, à leurs groupements ainsi qu'aux agences de l'eau de consacrer 1% de leurs ressources des services de l'eau à des actions de coopération décentralisée dans le cadre de conventions, de projets visant à répondre à une urgence humanitaire ou pour des actions de solidarité internationale dans le domaine de l'eau et de l'assainissement. En 2011, cette facilité a permis de consacrer 19,4 millions d'euros à des projets de coopération décentralisée, contre 6,4 millions d'euros dégagés sur fonds propres. Cette loi a produit de bons effets, même si l'on peut aller plus loin. Elle a été élargie à la distribution d'énergie par un amendement de notre collègue Xavier Pintat. Toutefois, cette possibilité semble peu utilisée et nous ne disposons pas de chiffres sur le nombre de projets financés par le dispositif introduit par cet amendement. Ce financement est peu élevé pour le citoyen, puisqu'il s'élève en moyenne à 0,5 euro par habitant et par an. Pourtant, il n'est que très partiellement utilisé. Un tiers seulement de son potentiel est mis en oeuvre, soit 20 millions sur 70 millions d'euros. Seules les agences de l'eau vont plus loin, avec 71% du potentiel utilisé.

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