Intervention de Sophie Deschamps

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 15 novembre 2012 : 1ère réunion
Femmes et travail — Table ronde sur le secteur de la culture et annonces

Sophie Deschamps, ancienne présidente de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) :

On a longtemps parlé d'un « plafond de verre ». Il faut aujourd'hui reconnaître que ce plafond est devenu une « chape de plomb ». En effet, si 51 % de la population, et donc des publics, sont des femmes, quasiment toute la programmation - que ce soit dans les théâtres, au cinéma ou à la télévision - est faite par et pour des hommes.

En ce qui me concerne, j'estime que ce n'est plus un problème de féminisme, mais une question de justice ! Est-ce juste d'imposer au public - femmes, hommes, enfants - une vision masculine du monde ?

Aujourd'hui, il n'existe pas un programmateur, que ce soit dans le spectacle ou dans l'audiovisuel, qui se pose la question de l'équilibre hommes-femmes dans ses propositions et ceci vaut même pour les chaînes du Service public. J'en veux pour preuve la diffusion sur la chaîne Arte du feuilleton « Ainsi soit-il » où les femmes sont représentées avec tous les stéréotypes que l'on connaît, et qui a pourtant réalisé une excellente audience.

Or, aucune proposition - qui mettrait en valeur des femmes exemplaires - n'existe pour contrebalancer cette vision. Même la télévision publique - dirigée depuis toujours par des hommes - ignore la question de l'équilibre entre les hommes et les femmes dans ses programmations, que ce soit dans les débats - dans lesquels les « expertes » sont invisibles -, dans les fictions et même dans les programmations pour enfants. La vision masculino-centrée est devenue la norme.

Nous estimons que cette situation - qui prévaut dans les plus hautes sphères de l'État - est devenue intolérable et qu'il est urgent d'agir.

Je vous renvoie, pour illustrer mes propos, aux chiffres que nous avons présentés dans la plaquette éditée par la SACD, intitulée « Où sont les femmes ? », dont il ressort l'invisibilité des femmes dans les institutions publiques du spectacle vivant.

On attribue aux femmes - peu nombreuses - qui arrivent à s'y faire une place, soit les institutions les moins bien dotées financièrement, soit les productions dites « familiales » ou réservées aux femmes, conformément à leur assignation aux tâches domestiques ou ménagères.

Pourtant, les grandes écoles qui forment les interprètes - acteurs, chanteurs, musiciens... - recrutent les élèves sur une base égale : 50 % de garçons et 50 % de filles. Quel avenir proposons-nous alors aux jeunes femmes qui sortent de ces formations d'excellence ?

Il en est de même pour les techniciens du spectacle, dont seulement 13 % sont des femmes.

Il est donc urgent, si l'on ne veut pas purement et simplement décourager les filles de s'orienter vers les filières artistiques, de changer les modalités de recrutement et de nomination.

J'estime, pour ma part, qu'il faudrait que l'État ne nomme aujourd'hui que des femmes pour assurer le rattrapage.

Évidemment, je ne sous-estime pas l'ampleur des obstacles. Interrogés à ce sujet, cet été lors des rencontres SACD au Festival d'Avignon, tel député nous a répondu que nous allions déclencher une guerre entre les hommes et les femmes, tel autre nous a demandé où se trouvaient les femmes compétentes...

Il suffit d'interroger des artistes femmes, telle Coline Serreau, actrice, réalisatrice, scénariste et compositrice française, qui me disait récemment ne plus déposer aucun dossier, sachant d'avance la réponse qu'on allait lui faire ! Pourtant, cette femme présente une filmographie et un parcours exemplaires.

Anne Delbée, metteur en scène, écrivaine et comédienne, a subi le même sort, malgré une magnifique carrière. Et pendant ce temps, Luc Bondy, 70 ans, qui vient d'être nommé à la direction du théâtre de l'Odéon, présente actuellement une pièce « Le retour », d'Harold Pinter, dont la mise en scène atteint des sommets en matière de misogynie.

Le résultat de cette politique d'exclusion systématique des femmes de talent depuis 30 ans a aboutit à la situation actuelle :

- 81,5 % des postes de dirigeants des administrations culturelles sont occupés par des hommes qui ne se posent jamais la question de l'équilibre entre les hommes et les femmes :

- 75 % des théâtres nationaux sont dirigés par des hommes ;

- 96 % des opéras sont dirigés par des hommes et n'invitent jamais les femmes chefs d'orchestre ;

- 70 % des centres chorégraphiques nationaux sont dirigés par des hommes, alors qu'on avait la parité il y a 10 ans. En matière chorégraphique, on ne peut pas dire qu'on manque de femmes !

- 85 % des textes joués sont écrits par des hommes.

Il suffit de regarder les programmes de Canal + pour se rendre compte du résultat. Dominés par le sexe et le sport, les femmes y sont présentées soit comme des prostituées, soit comme des victimes. Il est tout de même édifiant de constater que, dans un polar, le mort, c'est presque toujours une femme !

- Enfin, 78 % des spectacles sont mis en scène par des hommes.

Je crois qu'aujourd'hui la balle est dans le camp des politiques.

A cet égard, nous sommes assez désespérés. Nous avons beau avoir alerté députés, sénateurs, ministres, élus locaux..., nous n'avons vu aucune mesure concrète.

L'extension aux établissements publics de la « loi Sauvadet » - imposant des quotas de nomination aux emplois publics - aurait été un premier pas, mais ce n'est pas le cas. Nous sommes donc là pour demander réparation de 30 ans de machisme d'État qui a abouti à un recul invraisemblable. Il s'agit bien, non pas d'une revendication féministe, mais d'une demande de justice sociale.

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