Intervention de Jérôme Cahuzac

Réunion du 12 novembre 2012 à 15h00
Financement de la sécurité sociale pour 2013 — Discussion d'un projet de loi

Jérôme Cahuzac, ministre délégué :

… permettra à celles qui en ont davantage besoin d’avoir une vie un peu moins dure, dans la mesure où ce sont les enfants scolarisés de ces familles qui bénéficieront d’une aide supplémentaire.

C’est donc dans le cadre de la politique familiale lui-même que ce transfert s’effectue.

C’est pourquoi je suis un peu étonné quand j’entends dire que cette mesure participerait d’une « politique contre les familles », qu’elle contribuerait à mettre à bas la politique familiale mise en œuvre depuis si longtemps dans notre pays. Je le répète, il ne s’agit que d’un transfert de certaines familles vers d’autres, transfert qui s’intègre pleinement dans la politique familiale.

Cet étonnement ne peut que croître lorsque l’on veut bien se souvenir que la branche famille, excédentaire en 2002, était déficitaire l’année dernière, comme elle l’est, hélas, cette année encore ! Ceux-là mêmes qui nous accusent de vouloir mettre à bas la politique familiale sont précisément ceux qui, par leurs décisions, ont abouti à rendre déficitaire la branche famille.

Cet étonnement grandit encore lorsque l’on fait l’effort de se rappeler que ces mêmes personnes, à l’occasion des lois de finances et de financement pour 2012, ont sous-indexé les prestations familiales, ce qui a entraîné une perte de pouvoir d’achat pour l’ensemble des familles de près de 500 millions d’euros. Entre ceux qui déplacent 480 millions d’euros de certaines familles vers d’autres et ceux qui, ces dernières années, ont laissé la branche famille devenir déficitaire, pour ensuite sous-indexer les prestations familiales et, par leurs décisions, amputer le pouvoir d’achat des familles de près de 500 millions d’euros, je laisse le soin aux parlementaires de juger. Lesquels, finalement, ont une politique familiale cohérente ? Lesquels, en revanche, ont mené une politique familiale qui, pour enthousiaste qu’elle ait pu paraître dans les termes, l’a été un peu moins dans la réalité des faits ?

Autre mesure d’une grande portée symbolique : la possibilité pour des salariés ayant commencé à travailler très jeunes de partir en retraite à soixante ans. Cette mesure non plus n’est pas financée par l’endettement ; elle l’est par un relèvement de 0, 1 point des cotisations salariales et patronales. On peut critiquer ce relèvement des cotisations mais on ne peut certainement pas reprocher au Gouvernement de mettre en œuvre des politiques financées par l’emprunt. Cette dernière critique, en revanche, peut s’appliquer à nombre de décisions prises ces dernières années.

J’en viens à la partie de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 consacrée aux recettes, qui se décline au travers de plusieurs chapitres.

Une première série de mesures relève de l’équité la plus élémentaire : je veux parler de la réforme du régime social des indépendants, le RSI. Je tiens d’emblée à préciser que l’ensemble de ces mesures a été approuvé par le conseil d’administration du RSI. C’est un point très important, qui mérite d’être souligné.

Ce projet de réforme a été approuvé parce qu’il comporte des mesures de justice élémentaire auxquelles il me paraît très difficile de s’opposer. D’abord, cette réforme profitera à 4, 5 millions d’indépendants qui ne font pas partie des plus favorisés, puisque la cotisation minimale, en cas de chiffre d’affaires nul ou très faible, sera diminuée. De l’ordre de 940 euros, cette cotisation passera à un peu plus de 300 euros pour les indépendants n’ayant réalisé aucun chiffre d’affaires et augmentera progressivement jusqu’à un chiffre d’affaires de 36 000 euros. Bref, pour 4, 5 millions de nos concitoyens relevant de ce régime, il s’agit donc incontestablement d’une amélioration, d’un soulagement au regard des cotisations qu’ils doivent acquitter.

Par ailleurs, en demandant aux auto-entrepreneurs de cotiser au titre de la protection sociale de la même manière que celles et ceux avec qui ils sont en concurrence – pour l’instant, relativement déloyale –, nous faisons également preuve d’équité. Aligner les cotisations des auto-entrepreneurs sur les cotisations de ceux qui exercent les mêmes métiers dans le commerce ou dans les services fera que la concurrence entre ces professionnels sera la moins faussée possible.

Il demeure que les auto-entrepreneurs conservent des avantages incontestables : d’abord, des facilités déclaratives qui, à mon sens, sont de bon aloi ; ensuite – c’est un avantage considérable –, l’absence de cotisation minimale en cas de chiffre d’affaires nul.

Une autre mesure de justice concerne ceux des indépendants qui, à l’autre extrémité de la distribution des revenus, ne cotisent pas sur la totalité des revenus qu’ils perçoivent. On le sait, la cotisation est plafonnée puisque, au-delà de 180 000 euros, aucune cotisation n’est appelée. Il vous est proposé d’opérer un déplafonnement, mesdames, messieurs les sénateurs, afin que les indépendants, comme tous les autres actifs de notre pays, cotisent sur l’ensemble de leurs revenus.

C’est une mesure de justice élémentaire, même si j’admets que, pour certaines professions – je pense à certains avocats –, l’effort sera incontestablement assez rude pour l’année prochaine. Mais comment pourrait-on justifier cette libéralité consentie à certains professionnels lorsque de lourds efforts sont requis de tant de nos concitoyens, et alors même que ceux à qui est demandé cet effort supplémentaire font partie des actifs disposant des revenus les plus élevés ?

Une autre mesure de justice et d’équité consiste à réintégrer dans l’assiette sociale un certain nombre d’éléments afin de rendre plus justes et plus compréhensibles les dispositifs en vigueur.

Les frais professionnels sont déjà déduits du résultat des sociétés. Or les indépendants qui animent ces sociétés déduisent de nouveau ces frais professionnels non seulement de leur assiette fiscale mais également de leur assiette sociale. Il vous est proposé de réintégrer ces frais dans leur assiette sociale.

Enfin, une autre mesure d’équité s’appliquera à ces professionnels lorsqu’ils sont rémunérés sous forme de dividendes. On estime en effet que, au-delà d’un versement en dividendes excédant 10 % des fonds propres de l’entreprise, il s’agit moins de dividendes que d’éléments de revenus de type salarial et que, comme tels, ces revenus doivent être soumis aux cotisations salariales.

Voilà la réforme qui vous est proposée pour le régime social des indépendants. La recette qui en découlera pour les régimes de protection sociale est incontestable. Elle est nécessaire. J’ai tenté, en vous présentant l’économie de cette réforme, de vous convaincre que celle-ci était bien fondée sur des critères de justice et d’équité difficilement contestables.

Demander à nos concitoyens retraités de contribuer, faiblement mais réellement, par une taxe additionnelle, à la protection sociale participe également de l’équité. C’est l’anticipation d’une réforme d’ampleur que mes collègues présenteront très prochainement au Parlement. Cette contribution des retraités à la solidarité nationale a été portée à 0, 30 %. On sait qu’elle ne touche que les retraités non seulement imposables mais acquittant effectivement l’impôt, c’est-à-dire ceux qui sont astreints à un taux de CSG de droit commun. Le rendement est important. L’effort est réel mais je crois que, en conscience, on peut demander cet effort à nos concitoyens retraités dans la mesure où, je le répète, tous les citoyens sont appelés à contribuer au redressement nécessaire de notre pays.

Des mesures de santé publique sont également prévues : relèvement des droits sur le tabac et taxe sur la bière.

Sur le tabac, là encore, une réforme structurelle vous est proposée qui consiste à porter à 15 % la part spécifique de l’imposition. En France, les droits sur le tabac ont une particularité par rapport à ceux qui sont appliqués chez nos voisins : la part proportionnelle est plus importante que la part spécifique, ce qui a deux conséquences en cas de relèvement des prix du tabac.

La première est que les cigarettes les plus chères augmentent davantage que les cigarettes les moins chères, ce qui se traduit inévitablement par un déport du marché vers les cigarettes les moins chères ; l’effet en termes de santé publique n’est donc pas celui que nous pourrions espérer. Cette politique de santé publique est celle qu’ont menée tous les gouvernements depuis pratiquement une vingtaine d’années.

La deuxième conséquence préjudiciable, c’est que ce déport vers les cigarettes les moins chères ampute les recettes pour la puissance publique à due concurrence. Je le répète, il n’est pas souhaitable, lorsqu’une décision est prise en en espérant une recette, que celle-ci ne soit pas au rendez-vous.

C’est donc une réforme de structure qui est proposée, réforme qui revient à harmoniser la fiscalité propre aux droits du tabac en France avec les systèmes appliqués ailleurs, notamment en Europe.

J’ajouterai une précision concernant le tabac à rouler, caractéristique des politiques de santé publique menées ces dernières années en matière de lutte contre le tabagisme : quand le prix des cigarettes en paquet classique augmentait, celui du tabac à rouler, dont on sait qu’il est plus nocif que le tabac en cigarettes préconditionnées, était affecté de droits inférieurs. Nous souhaitons donc harmoniser progressivement les droits sur le tabac à rouler, d’abord en relevant le droit d’accise. À terme, le tabac à rouler sera frappé des mêmes droits que les cigarettes. Je crois que, là encore, cette politique ne peut être que comprise, en tout cas, j’en forme le vœu.

La taxe sur la bière a suscité à l’Assemblée nationale une discussion au demeurant tout à fait intéressante. J’indique, pour la bonne clarté du débat, qu’il s’agit d’un droit d’accise, qui ne compromet en rien la compétitivité de nos brasseries, ni leur capacité d’exportation, puisque les droits d’accise sont perçus là où le produit est consommé ; dès lors que c’est en Grande-Bretagne, par exemple, que telle brasserie du nord de la France exporte ses produits, c’est aussi en Grande-Bretagne que la bière est taxée au titre des droits d’accise et non pas en France.

Cette taxe ne soulève donc aucun problème en termes de compétitivité ou de capacité d’exportation de nos entreprises qui produisent de la bière. La question n’est pas là.

La question est bien de savoir si, pour des raisons de santé publique notamment, il ne serait pas légitime d’augmenter les droits sur la bière lorsque l’on sait que les droits d’accise sur la bière en France sont parmi les plus faibles d’Europe. Ils sont deux, trois, voire quatre fois plus faibles qu’en Belgique, qu’aux Pays-Bas qu’en Grande-Bretagne ou qu’en Irlande. En Allemagne, les droits sont comparables ou moins élevés. En tout cas, dans les pays où les droits sont plus élevés, ceux qui apprécient de boire de la bière ne jugent pas ces droits hautement scandaleux. Je pense que la même réaction interviendra lorsque cette disposition aura été votée et mise en œuvre.

Quoi qu’il en soit, nous proposons une augmentation de cinq centimes pour un demi titrant 4, 5 degrés d’alcool ; il nous semble que cet effort, pour réel qu’il soit, est néanmoins tout à fait supportable.

J’en viens, enfin, au dernier train de mesures relatif aux régimes de retraite. Certains de ces régimes sont structurellement déficitaires et ne pourront, sans effort complémentaire, verser en 2013 les prestations qu'ils doivent assumer. C'est le cas des caisses de retraite des agents des collectivités locales, des professions libérales et des électriciens et gaziers.

S’agissant de ces trois régimes, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement vous soumettra des dispositions qu'il vous demandera de bien vouloir adopter eu égard à leur impérieuse nécessité. Je conçois bien qu’il n'est jamais très agréable de demander aux uns et aux autres de cotiser davantage pour garantir des prestations. Mais il est du devoir du Gouvernement de proposer les augmentations que nous examinerons ultérieurement, afin précisément d’assurer le versement effectif des prestations en 2013.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, telle est l'économie globale du présent projet de loi de financement de la sécurité sociale. Je me devais de vous rappeler le contexte financier et budgétaire dans lequel s'inscrit ce texte, de vous indiquer les tendances des dernières années, tendances avec lesquelles il faut rompre, et de vous préciser les recettes attendues des dispositions que nous vous soumettons. Ces recettes sont nécessaires pour diminuer le déficit et garantir un régime de protection sociale, dont chacun sait bien, quelles que soient les travées sur lesquelles il siège au sein de la Haute Assemblée, qu’il est l'un des éléments essentiels de notre unité nationale. §

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