Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la stratégie européenne pour les régions ultrapériphériques à l’horizon 2020 n’a, selon moi, qu’un seul véritable objectif : faire appliquer de façon encore plus stricte à nos territoires ultramarins les règles et normes de l’Union européenne dont bon nombre leur sont totalement inadaptées et sont pour partie la cause de leur mal développement.
Notre collègue Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes, s’en est parfaitement rendu compte à l’occasion d’une mission effectuée en Guyane la semaine dernière en ma compagnie. Il y fera très certainement référence dans son intervention.
En effet, la stratégie « Europe 2020 », décriée à juste titre par les présidents des régions ultrapériphériques françaises ne prend nullement en compte les contraintes et la diversité de ces régions. En dépit de formulations incantatoires ― « chaque RUP est différente et des pistes spécifiques doivent être envisagées pour chacune d’entre elles », « les RUP, grâce à leurs atouts, sont une chance pour l’Europe » ―, l’atavisme ethnocentriste de la Commission finit par l’emporter dans la définition de cette stratégie.
Cette communication est en net décalage avec les attentes des RUP, comme mon collègue Roland du Luart vient de le démontrer en portant sur la situation un regard acéré. Il est vrai que l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, fondamental pour les RUP, qui justifie que des mesures spécifiques soient prises en faveur de ces régions afin de tenir compte de leurs spécificités, est insuffisamment utilisé du fait de la Commission européenne. Il n’apparaît qu’en filigrane dans la stratégie « Europe 2020 ». Si cette stratégie fixe, certes, des objectifs intrinsèques ambitieux pour les RUP, elle n’évoque que bien peu les nécessaires politiques de rattrapage.
Plus grave, cette politique de la Commission se décline déjà dans les premières négociations sur les crédits européens à attribuer aux RUP, sur fond de perspectives financières européennes contraintes. Il se dessine, au mieux, une stabilisation à la baisse, pour reprendre un mot du président de la commission des affaires européennes, notre collègue Simon Sutour, au pire, une réduction qui résultera d’une consommation rendue plus difficile encore du fait de l’inadéquation aux demandes locales du fléchage établi par la Commission.
Pareil constat ne pouvait me laisser muet, aussi me suis-je engagé dans la double initiative d’une proposition de résolution sur la stratégie européenne pour les régions ultrapériphériques à l’horizon 2020, avec la délégation à l’outre-mer, et d’une autre sur le financement de ces régions et l’octroi de mer, avec la commission des affaires européennes.
Ces deux démarches sont rigoureusement complémentaires, les recommandations et préconisations contenues dans la première proposition de résolution ne pouvant pleinement produire leurs effets sans le maintien de financements européens et d’une fiscalité adaptée envisagés dans la seconde.
Les deux propositions de résolution se rejoignent en ce qu’elles demandent, dans le cadre de la politique de cohésion, un assouplissement de ce qu’il est convenu d’appeler « la concentration thématique », c’est-à-dire des critères d’objectifs auxquels doivent satisfaire les projets pour être éligibles aux fonds structurels. La Commission européenne proposait de concentrer 50 % des fonds du FEDER, le Fonds européen de développement régional, sur trois objectifs thématiques : la recherche et l’innovation, la compétitivité des PME et la promotion d’une économie à faibles émissions de gaz carbonique.
Quid des nécessaires politiques de rattrapage que la politique de cohésion devrait prioritairement financer ?
La France avait demandé un quatrième objectif libre de choix pour les RUP ; le Conseil a finalement décidé l’ajout d’un quatrième objectif, mais non libre de choix. Le gouvernement français doit s’efforcer d’obtenir gain de cause, car cet assouplissement et l’abaissement du taux de concentration thématique sont indispensables pour éviter un décalage de plus en plus important entre les objectifs stratégiques ambitieux définis par la Commission européenne et la réalité du terrain, qui appelle un rattrapage structurel.
Il est demandé également de mobiliser plus largement et plus fréquemment au bénéfice des RUP le fondement juridique de l’article 349 du TFUE afin de permettre l’adaptation plus systématique de politiques européennes aux réalités des RUP. Une attention forte doit être apportée à Mayotte pour lui permettre, par les dérogations nécessaires, de bénéficier effectivement des aides européennes.
En outre, pour compenser les handicaps structurels auxquels sont confrontés les acteurs économiques, il est nécessaire de faire des aides d’État un levier plus efficace en application de l’article 107 du Traité. Il apparaît donc indispensable que les taux actuels d’intensité et l’éligibilité des aides au fonctionnement valables dans les RUP soient maintenus ; il serait même utile d’aller plus loin en introduisant un seuil de minimis propre à ces régions.
En outre, une mise en cohérence des politiques communautaires à l’égard des RUP se révèle nécessaire, la politique commerciale de l’Union européenne étant en cause. Si la Commission déclare que « les accords conclus par l’Union Européenne tiendront dûment compte des RUP, par exemple lorsque ces accords couvrent des produits fabriqués dans les RUP », il y a loin du discours aux actes, et les nombreuses perspectives pour les marchés de la banane, du sucre, du rhum, du riz en sont une illustration.
Par ailleurs, le cadre financier pluriannuel doit pleinement reconnaître que les RUP françaises sont bien un atout pour l’Union européenne. Pour l’instant, hélas, nous en sommes loin. La Commission européenne propose au contraire une baisse d’environ 43 % de la dotation complémentaire pour les RUP, ce qui ferait passer cette dotation de 35 euros à 20 euros par habitant. Une telle réduction est injustifiable !
En effet, la dotation complémentaire existe pour compenser les handicaps structurels des RUP. Qui peut sérieusement dire que ces handicaps ont été diminués en quoi que ce soit au cours des dernières années ? De même, cette dotation complémentaire devrait être exonérée de tout fléchage, puisque son but est de compenser les handicaps des RUP, et son taux de cofinancement devrait être porté à 85 %, comme pour le FEDER et le FSE, le Fonds social européen, au lieu de 50 %.
J’aborderai en dernier lieu un point de première importance : l’octroi de mer, qui représente une part importante des recettes fiscales des RUP françaises et de leurs communes ainsi que du conseil général de Guyane, seul département d’outre-mer à le percevoir directement, mais au détriment des communes...
L’octroi de mer assure également une préférence en faveur des biens produits sur place. Or l’avenir de ce régime fiscal, qui déroge au principe de libre circulation des marchandises dans le marché intérieur, est incertain. Le 1er juillet 2014 approche, et le précédent gouvernement n’a pas fait ce qu’il fallait pour préparer cette échéance. Les vingt mois qui nous restent ne seront pas de trop pour mener à bien ce dossier et le Sénat, représentant notamment ces collectivités locales pour lesquelles les recettes provenant de l’octroi de mer sont essentielles, doit marquer son inquiétude devant l’incertitude qui règne encore.
Plusieurs scénarios d’évolution sont envisageables, de la reconduction d’un dispositif d’octroi de mer simplifié et flexibilisé à l’évolution vers un système de TVA régionale permettant de maintenir un effet de soutien à la production locale, en passant par une formule hybride mêlant les deux options. Quoi qu’il en soit, la solution devra être validée par l’Union européenne.
Le ministère des outre-mer semble n’avoir travaillé jusqu’à présent que sur l’hypothèse d’une reconduction de l’octroi de mer, moyennant quelques adaptations. Lors des échanges que j’ai eus à Bruxelles avec la direction générale de la fiscalité et de l’union douanière, j’ai pourtant constaté que la Commission européenne attendait au contraire des autorités françaises qu’elles lui présentent différentes options pour en suite définir celle qui serait la moins discriminatoire et la plus propice au développement économique local.
La Commission européenne ne veut pas avoir à jouer une carte forcée, mais veut conserver un pouvoir d’appréciation. Le Sénat doit donc demander au Gouvernement de s’atteler à cette tâche. Les RUP ne peuvent pas vivre sous l’épée de Damoclès d’un refus européen de prolonger le régime de l’octroi de mer.
Monsieur le ministre, je vous ai fait part des préconisations émanant des initiatives conjointes de la commission des affaires européennes et de la délégation à l’outre-mer. Je sais pouvoir compter sur vous et votre excellente connaissance de la problématique des RUP. Le gouvernement français doit mieux qu’auparavant défendre ses RUP. Le soutien européen à l’investissement local est essentiel pour les RUP, mais il est aussi dans l’intérêt de l’Union Européenne.
En effet, les RUP sont aussi une chance pour l’Europe : elles représentent plus de la moitié de sa zone économique exclusive ; elles constituent une réserve potentielle de ressources marines ; elles offrent un laboratoire en eau profonde unique pour la recherche. La biodiversité des RUP est exceptionnelle. Leurs situations géographiques permettent à l’Europe de développer des activités spatiales, mais aussi d’exploiter certaines sources d’énergie renouvelables.
Des gisements de pétrole ont ainsi été découverts l’an dernier au large de la Guyane, au bénéfice de la France. Je tenais à le rappeler.