Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Conseil européen tiendra, dans quelques jours, une réunion extraordinaire consacrée au cadre financier de l’Union européenne pour 2014-2020, et donc en particulier à l’avenir de la politique de cohésion. Il s’agit là d’un rendez-vous majeur, qui revient tous les sept ans.
Il n’est pas certain – c’est même peu probable – que cette réunion débouche sur un compromis. D’ailleurs, même si compromis il y a, il faudra tenir compte ensuite de la position du Parlement européen, dont l’accord est désormais nécessaire aux termes du traité, cette codécision sur le budget européen étant une bonne chose. En tout état de cause, cette réunion du Conseil européen sera une étape cruciale pour le compromis final.
Notre débat vient donc à point nommé, la politique de cohésion étant un enjeu essentiel pour les régions ultrapériphériques en général et les RUP françaises en particulier. C’est également vrai, bien sûr, pour toutes les régions françaises, surtout celles qui sont susceptibles d’entrer dans la nouvelle catégorie des « régions de transition », proposée par le commissaire européen Johannes Hahn. Je m’écarte un instant du sujet pour me réjouir de constater que le Gouvernement soutient cette proposition, contrairement, il faut le dire, au précédent.
Ce débat est donc particulièrement essentiel pour les RUP françaises qui, seules, relèvent de l’objectif « convergence » et peuvent, à ce titre, bénéficier d’un cofinancement au taux le plus élevé.
C’est un combat difficile, extrêmement difficile même, que le Gouvernement devra mener. Le mot « combat » n’est pas exagéré, tant ces négociations s’annoncent dures, notamment, comme l’a souligné mon collègue Serge Larcher, pour ce qui concerne l’allocation spécifique, que l’on veut faire passer de 35 euros par habitant à 20 euros. Car telle est la base de négociation d’où il vous faudra partir : vous devrez vraiment vous battre pour réussir à maintenir l’allocation spécifique à son montant actuel !
En revanche, j’y insiste, monsieur le ministre, l’équilibre de la position française telle qu’elle s’énonce aujourd’hui est rassurant.
La France conserve une position claire et ferme sur la politique agricole commune, la PAC, mais elle n’est pas prête à sacrifier, en contrepartie, la politique de cohésion, comme ce fut le cas auparavant. Sans vouloir entrer dans une polémique politicienne – les faits sont là, qui peuvent être vérifiés –, le précédent gouvernement avait la PAC comme priorité, la politique de cohésion devenant une simple variable d’ajustement.
Or la politique de cohésion joue un rôle considérable dans nos territoires ; on peut même se demander ce qui resterait, sans les fonds européens, de la politique d’aménagement du territoire. Par ailleurs, le fait que les RUP françaises en bénéficient pleinement est une autre raison essentielle de notre attachement à cette politique.
À cet égard, permettez-moi de le signaler, c’est la première fois qu’un débat de cette nature a lieu ici même en séance publique, en pleine discussion du budget européen. Lorsque j’avais suivi cette question il y a sept ans, nous nous étions beaucoup moins battus. Mais aujourd'hui, après une prise de conscience, nécessité fait loi !
Après les explications données par nos collègues Roland du Luart, Georges Patient et Serge Larcher, je ne reviendrai pas sur les deux propositions de résolution européenne aujourd’hui soumises au Sénat. Quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, nous sommes, me semble-t-il, tous unis sur les objectifs à respecter : préserver les moyens de la politique de cohésion pour les RUP, s’attaquer résolument à la question de l’octroi de mer, sur laquelle je tiens, à mon tour, à insister, et entamer – enfin ! – un dialogue, réel et concret, avec la Commission européenne.
Voilà huit ans, concernant l’octroi de mer, la France a obtenu un délai de dix ans pour se mettre en conformité avec les règles européennes. Nous sommes aujourd’hui à vingt mois de l’échéance. J’y reviendrai ultérieurement, mais, à l’instar de mon collègue Georges Patient, je préférais la rédaction initiale de la proposition de résolution proposée par la commission des affaires européennes ; elle me paraissait plus nette et plus concrète.
Au demeurant, il faut aussi savoir adapter les règles européennes à la spécificité des régions ultrapériphériques, non seulement pour la gestion des fonds européens, que je viens d’évoquer, mais aussi pour la mise en œuvre des normes.
J’étais en Guyane la semaine dernière et, avec mon collègue Georges Patient, nous avons pu constater à quel point l’application mécanique des normes européennes aboutissait à des conséquences absurdes.
Ainsi, il est injustifiable que la Guyane, en raison des normes européennes, ait quasiment cessé de produire du riz – 600 hectares cultivés aujourd'hui, contre 5 000 hectares il y a quelques années ! –, et qu’elle importe désormais son riz du Surinam, pays voisin qui ne respecte pas ces normes ! Avec un minimum de pragmatisme, nous n’en serions pas arrivés là. En l’espèce, nous avons tous les inconvénients et aucun avantage.
Si les exigences propres aux RUP françaises ne sont pas mieux prises en compte à Bruxelles, c’est parce que beaucoup d’Européens ne mesurent pas l’atout que ces régions représentent pour toute l’Union européenne, et pas uniquement pour la France, et ne savent pas à quel point elles sont importantes pour notre avenir. Cela est vrai, malheureusement, même à des échelons de décision élevés.
Monsieur le ministre, j’ai été choqué par la fermeture de la délégation de l’Union européenne au Surinam, pays frontalier de la France, donc de l’Union.
L’Union entretient de très nombreuses délégations à travers le monde, et leur utilité peut parfois soulever des interrogations. Il est donc assez étonnant que, lorsqu’il s’est agi de fermer une de ces délégations, on ait choisi celle d’un pays frontalier de l’Union européenne, qui plus est destiné à développer avec la Guyane une coopération territoriale dans le cadre de la politique de cohésion !
Vous aurez sans doute l’occasion, monsieur le ministre, d’évoquer cette question avec le ministre des affaires étrangères de ce pays, avec lequel nous nous sommes nous-mêmes entretenus lors de notre visite, et que vous devez, me semble-t-il, rencontrer à Cayenne le mois prochain.
On dit parfois qu’il n’est pas facile de plaider la cause des RUP, parce que seuls trois États membres sont concernés. Cela montre que nous ne raisonnons pas encore assez en Européens. Les RUP françaises sont une chance non seulement pour la France, mais aussi pour toute l’Union européenne, et c’est à nous de faire en sorte que ce point de vue soit davantage partagé en Europe. Nous ne l’avons sans doute pas suffisamment fait jusqu’à présent, mais il n’est jamais trop tard pour bien faire, et notre débat d’aujourd’hui en sera, je l’espère, une illustration.
Pour conclure, je veux me réjouir de la coopération qui s’est instaurée entre la délégation sénatoriale pour l’outre-mer, créée sur l’initiative du président du Sénat, Jean-Pierre Bel, au lendemain de son élection – l'Assemblée nationale en a également créé une récemment –, la commission des affaires économiques et la commission des affaires européennes.
Président de la commission des affaires européennes après avoir été pendant de nombreuses années membre de la délégation pour l’Union européenne, je constate que c’est la première fois que la commission des affaires européennes compte parmi ses membres des parlementaires d’outre-mer. Je salue ainsi Karine Claireaux, de Saint-Pierre-et-Miquelon, et Georges Patient, de Guyane, qui est aussi vice-président de notre commission.
J’espère que cette coopération favorisera l’adoption à l’unanimité des deux propositions de résolution, et je souhaite – mais je n’en doute pas, monsieur le ministre – que le Sénat et le Gouvernement soient sur la même longueur d’onde.