Intervention de Victorin Lurel

Réunion du 19 novembre 2012 à 14h30
Stratégie et financement européens pour les régions ultrapériphériques — Adoption de deux propositions de résolution européenne dans le texte de la commission

Victorin Lurel :

Je comprends les interrogations qui vous animent : faut-il garantir avant tout la pure et simple reconduction de l’octroi de mer, en l’état, ou faut-il dès à présent donner quelques gages à la Commission ? Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai cru comprendre, à travers les subtilités de vos propositions de résolution, qu’un débat persistait probablement entre vous : faut-il donner l’impression que nous sommes prêts à nous séparer de ce dispositif, en formulant d’ores et déjà des propositions alternatives ?

Je vous l’affirme, nous travaillerons à la reconduction de l’octroi de mer : c’est le choix le plus sûr.

Aurons-nous le temps d’élaborer un dispositif efficace, rassurant les collectivités ? L’exercice ressemble un peu à la quadrature du cercle.

Premièrement, il convient de sauvegarder l’octroi de mer. C’est votre vœu.

Deuxièmement, il faut rendre ce prélèvement plus efficace, c'est-à-dire maintenir le produit fiscal en faveur des collectivités, tout en garantissant l’autonomie fiscale de ces dernières : il n’est pas logique que les élus reçoivent des dotations. C’est aux préfets que l’on demande de répartir des enveloppes, non aux élus ! §Précisément parce que ces derniers sont désignés par le peuple, s’ils sont efficaces, ils sont réélus. S’ils fixent des impôts à des taux confiscatoires, ils en assument la responsabilité, et ils sont sanctionnés par le suffrage ! En tout état de cause, il convient de préserver cette autonomie.

Troisièmement, et enfin, il est non moins indispensable de préserver la compétitivité des entreprises. C’est d’ailleurs l’une des exigences de l’Europe, en termes d’emplois et de rentabilité.

Comment atteindre ces trois objectifs ? Je le répète, c’est un peu la quadrature du cercle. Néanmoins, plusieurs pistes existent, et je souhaite qu’elles soient explorées de manière plus approfondie.

Tout d’abord, peut-être faut-il élargir l’assiette fiscale de l’octroi de mer. Aujourd’hui, celle-ci se limite de jure à la production, qu’elle soit importée ou locale. Néanmoins, en vertu d’une dérogation accordée pour dix ans, la production locale est exonérée de ce prélèvement. Mais est-il envisageable d’élargir l’assiette, de la production aux services ? Est-ce faisable ? C’est à voir. Il faut lancer des simulations.

Ensuite, peut-être faut-il revoir les conditions d’éligibilité. Pour l’heure, seules sont assujetties à l’octroi de mer les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 550 000 euros. Est-il possible d’abaisser ce seuil et donc de demander quelques efforts aux entreprises qui enregistrent un chiffre d’affaires inférieur ? En Guadeloupe – un semblable constat pourrait être dressé en Martinique – sur les 38 000 ou 40 000 entreprises et établissements dénombrés, seules 496 entités sont assujetties, dont 175 seulement acquittent ce prélèvement ! C’est un peu curieux…

Enfin, pour préserver la compétitivité des entreprises, il sera probablement nécessaire de repenser les conditions de déduction. Peut-on s’inspirer du mécanisme existant pour la TVA, sans pour autant faire de l’octroi de mer une TVA locale ou régionale ? Les élus ne veulent pas entendre parler de cette possibilité, et leur position est tout à fait légitime.

Bref, comment faire ? De telles mesures peuvent-elles être appliquées aux petites entreprises comme au secteur des services ? Est-ce possible ? Je le répète, pour répondre à ces questions, des simulations sont en cours, et je ne manquerai pas de vous en soumettre les résultats. De fait, mesdames, messieurs les sénateurs, vous serez très largement associés à ces débats, en amont : nombreux sont ceux qui, parmi vous, exercent les fonctions de maire ou de conseiller régional. Nous sommes extrêmement soucieux d’organiser cette concertation.

Monsieur Serge Larcher, voilà déjà bien longtemps que nous partageons la même analyse au sujet des RUP. J’en conviens, la communication de la Commission est insuffisante et ne prend pas assez en compte nos spécificités. Tous les orateurs qui se sont succédé l’ont souligné.

Oui, nous percevons une réserve, une réticence, voire une résistance de la Commission à employer l’article 349. Je m’en suis toujours étonné : pourquoi un article aussi bien rédigé, aussi clair, pouvant même être invoqué pour lutter contre la vie chère – nous parlons en effet de biens de consommation courante ou de première nécessité – est-il si rarement employé ? L’article 349 permet aux RUP de déroger sous certaines conditions au droit primaire comme au droit dérivé. Il faut le mettre en œuvre.

Concernant la fiscalité, nous sommes placés face à de véritables enjeux, et une réflexion approfondie doit être menée à la faveur de la reconduction de l’octroi de mer. Une interrogation demeure concernant les territoires douaniers, et la réflexion devra être conduite sur ce plan également.

Je vous remercie tous de votre mobilisation et de la qualité de vos interventions.

Monsieur Sutour, oui, le combat sera difficile ! Vous avez raison, il n’est pas acceptable que le montant de l’allocation spécifique aux RUP passe de 35 euros à 20 euros par habitant. J’ai d’ailleurs cité deux régions qui vont terriblement souffrir de ce changement : nous devrons donc nous mobiliser pour faire évoluer cette situation, de même que pour les enveloppes destinées à la politique de cohésion. Il n’y a pas à barguigner, il faudra agir !

Monsieur le sénateur Requier, je m’associe à l’hommage que vous avez rendu à Gaston Monnerville. Je savais que votre ancien président était sénateur du Lot, mais j’ignorais qu’il avait exercé ce mandat pendant trente ans : quelle belle performance ! Je vous remercie également de votre mobilisation et du fidèle soutien des radicaux à la cause des RUP. Il faudra que celles-ci retrouvent une place prioritaire parmi les cibles des politiques de l’Union européenne et nous allons nous y employer.

Monsieur le sénateur Labbé, nous partageons votre conception d’un développement durable et soutenable, notamment pour l’agriculture.

À terme, il faudra arriver le plus rapidement possible à l’interdiction des dérogations pour l’épandage aérien. Je relèverai une seule divergence entre nous : selon vous, des traitements alternatifs existent ; or ce n’est pas sûr. Des traitements terrestres ont été mis au point, mais, d’après toutes les simulations réalisées, ils ne sont pas efficaces. Si nous appliquions tout de suite cette interdiction, nous créerions de véritables injustices, en raison des différences de situation entre gros planteurs et petits planteurs : la bananeraie pourrait ne plus appartenir qu’à quelques gros propriétaires, ce que nous ne voulons pas. Il faudra donc trouver une autre solution.

Vous avez raison, un tracteur chenillé équipé d’un mât télescopique surplombant la canopée de la bananeraie pourrait être très rapidement opérationnel, à condition que l’on puisse diminuer le nombre de traitements. Quoi qu’il en soit, nous visons tous le même objectif : il faut sortir de cette situation.

Vous avez également évoqué le secteur de la pêche, dans lequel les procédures d’indemnisation s’avèrent délicates à mettre au point.

Monsieur le sénateur Gautier, je vous remercie de l’expression de votre intérêt manifeste. Vous l’avez dit, le contexte est difficile, mais, je le répète, le Gouvernement a besoin de l’implication de chacun. Pour ce qui concerne l’octroi de mer, je vous ferai la même réponse qu’à vos collègues : nous ne fléchirons pas sur ce sujet !

Enfin, monsieur le sénateur Le Cam, vous avez souligné les problèmes rencontrés par les RUP dans leurs relations avec les pays voisins. Sur ce point aussi, tout est à revoir. J’en profite également pour répondre à vos collègues Jacques Gillot, Jacques Cornano et Joël Guerriau sur la nécessité de développer une politique de dérogation aux normes européennes. Le Président de la République a dit, lors de sa visite à l’île de la Réunion, que nous devions aller plus loin dans ce domaine.

L’exemple du carburant est particulièrement emblématique : il n’est pas normal que les Antilles et la Guyane ne puissent pas importer d’hydrocarbures des pays voisins comme le Surinam, le Brésil, le Venezuela, Trinidad-et-Tobago ou Curaçao, qui raffinent déjà le diesel aux normes européennes, c’est-à-dire avec une teneur en soufre inférieure à 10 parties par million. Même si cela peut paraître étrange dans la bouche d’un ministre, je n’hésite pas à affirmer que nous sommes encore dans un « pacte colbertiste », donc monodirectionnel : les DOM ne doivent importer que du pétrole en provenance de la mer du Nord ! C’est une aberration et il nous faudra étudier toutes les solutions susceptibles d’y mettre un terme.

Le Gouvernement est donc déterminé à se battre sur tous ces sujets, y compris à propos de l’accession de Mayotte au rang de RUP, même si nous savons que c’est un défi. Compte tenu des simulations réalisées, je peux confirmer à M. le sénateur Thani Mohamed Soilihi que Mayotte devrait recevoir à ce titre de 450 millions d’euros à 475 millions d’euros pour la période 2014-2020.

Pour conclure, nous devrons réussir, premièrement, la négociation du cadre financier pluriannuel, même si elle risque de se révéler difficile, et, deuxièmement, le maintien de la politique structurelle et de l’octroi de mer – peut-être revu et corrigé, selon une périodisation à déterminer. Quoi qu’il en soit, je le répète, sur tous ces points, nous ne lâcherons pas !

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