Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 21 juin 2010, la loi portant réforme du crédit à la consommation était adoptée en deuxième lecture au Sénat. Plus de vingt ans après la loi Neiertz, ce texte, qui faisait suite à plusieurs initiatives parlementaires en la matière, défendait un double objectif : d’une part, encadrer plus strictement les pratiques de crédits à la consommation qui, depuis les années 2000, ont connu une dérive sans précédent ; d’autre part, accompagner les débiteurs surendettés dans les procédures de surendettement mises en œuvre.
Intervenir à la fois en amont et en aval des difficultés financières, telle était l’ambition affichée dans le projet de loi porté par Mme Lagarde. Celle-ci prétendait alors apporter une réponse globale et protectrice à tous les stades de la vie du contrat.
Dans cet hémicycle, à l’époque, nous avions pu regretter certaines insuffisances relatives, notamment, au volet social du dispositif. Celui-ci, devant l’ampleur de la problématique, au regard de l’évolution du profil social des publics concernés, du contexte économique, mais aussi compte tenu de la durée exceptionnellement longue de la navette lors de la première lecture, aurait mérité d’être réformé bien plus en profondeur.
Aussi, les mesures préventives en amont de la contractualisation, qui visaient à encadrer plus strictement les modalités du crédit à la consommation, mais également celles qui sont relatives à l’accompagnement des débiteurs surendettés, destinées à éviter autant que possible les risques de décrochage, étaient apparues incomplètes.
La volonté du Gouvernement d’obtenir un vote conforme en deuxième lecture au Sénat n’avait pas permis de nouvelles avancées. Qu’en est-il aujourd’hui ?
À la demande de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, un rapport a été présenté au mois de juin dernier. À ce propos, je tiens à saluer le travail réalisé par les membres de la commission, en premier lieu son président, M. Assouline, et les rapporteurs, Mmes Dini et Escoffier.
Le résultat de ce travail semble montrer que, si la loi a été correctement appliquée, d’importants problèmes persistent. Certains auraient pu et dû être mieux appréhendés dans le cadre des discussions parlementaires ; d’autres sont liés, semble-t-il, à une recomposition du secteur induite par le contexte de crise économique. Dans les deux cas, ces lacunes appellent une intervention du législateur.
Dans ce cadre, je souhaite revenir sur la nécessaire amélioration du volet « prévention », en amont de la contractualisation, ainsi que sur le renforcement de l’accompagnement social du débiteur au cours de la lourde procédure de désendettement.
Aborder l’encadrement des crédits à la consommation, c’est être confronté à une première difficulté : celle de trouver un juste équilibre entre la préservation du recours au crédit et la protection des consommateurs, en particulier des plus modestes d’entre eux, qui, exclus de l’accès aux crédits traditionnels, se dirigent plus facilement vers des crédits renouvelables.
Quelle que soit l’appellation retenue, « prêt revolving », « prêt relais », « réserve d’argent », ces crédits représentent ce que vous appelez vous-même, monsieur le ministre, un « instrument terrible de surendettement. » Leurs effets dévastateurs sur les ménages les plus fragiles ont été et sont encore trop souvent démontrés.
Pour ce qui concerne le recours à ce type de crédits, si des améliorations semblent notables, en partie grâce à la loi – en partie seulement, puisque le contexte économique a largement contribué à la recomposition du marché des crédits –, des mesures complémentaires, plus strictes, s’imposent et de nouveaux garde-fous à l’entrée au crédit doivent être introduits.
Certes, la loi de 2010 a institué des barrières en matière de commercialisation, d’encadrement de la publicité relative à ces produits et de vérification de la solvabilité des emprunteurs ; elle a également donné la priorité à la fonction « paiement comptant » sur toute autre forme de règlement. Il nous faut désormais aller plus loin.
Afin de satisfaire une demande émise depuis plusieurs années, notamment par les associations de consommateurs, la séparation nette et entière de la carte de crédit et de la carte de fidélité doit être envisagée. Que l’offre promotionnelle puisse être, au final, la cause de charges insurmontables pour le bénéficiaire est un non-sens auquel il nous faut remédier.
Cette disposition était présente dans la proposition de loi du 10 mars 2009 déposée par Mme Bricq. Son insertion avait été demandée voilà deux ans, à l’occasion des débats parlementaires suivant un rapport de la Cour des comptes : celle-ci préconisait l’interdiction de ces cartes, estimant qu’elles participaient d’une confusion préjudiciable pour le consommateur.
Selon une enquête récente réalisée par une association de consommateurs, 60 % des cartes proposées en magasin associent encore fidélité et crédit. La proposition de séparer ces deux usages est de nouveau formulée dans le rapport de Mmes Dini et Escoffier. Il paraît en effet nécessaire de les découpler afin d’éviter que l’emprunteur ne rentre dans le crédit à son insu. Ce cheval de Troie du crédit renouvelable ouvre trop souvent la voie à une « cavalerie » de difficultés financières.
Il s’avère ensuite que les vendeurs disposent toujours d’une rémunération incitative. Si la loi a prévu que ces derniers ne peuvent plus être rémunérés en fonction du type de crédit souscrit, cette disposition n’est que partiellement opérante, notamment lorsque les enseignes ne proposent qu’un type de crédit, en l’occurrence renouvelable.
En pratique, on constate que la présentation de justificatifs pour la souscription d’un contrat de crédit relève en grande partie du déclaratif. Aucune pièce n’est requise lorsque le montant est inférieur à 1 000 euros. Pour un prêt supérieur, les documents demandés ne permettent pas d’appréhender réellement la solvabilité du souscripteur. Ne faudrait-il pas alors exiger la délivrance de pièces plus contraignantes, tout en envisageant un abaissement du plafond ?
En outre, l’obligation pour le vendeur de proposer, sur le lieu de vente, une offre de crédit amortissable comme alternative au crédit renouvelable dès lors que le montant dépasse 1 000 euros reste très peu appliquée.
Plus généralement, si les publicités sont désormais mieux encadrées, ce que confirme la DGCCRF, les sollicitations commerciales perdurent, et des anomalies persistent, telles que la présence de mentions valorisantes laissant à penser que ce type de crédit peut améliorer la situation financière de l’emprunteur.
Contrairement à ce que nous avions défendu, le démarchage commercial, qui s’apparente à une publicité passive, n’a pas été interdit. Cela est préjudiciable en premier lieu aux clients les plus fragiles, qui peuvent être la cible de relances régulières, parfois agressives, les incitant à un recours excessif à ce type de crédit.
Transversale à toutes ces irrégularités, encore nombreuses, la question du type de contrôle se pose. Il est établi que les autorités compétentes n’ont pas les moyens de leurs objectifs. Cette question est centrale.
Le contexte de crise que nous connaissons a entraîné une recomposition du secteur du crédit à la consommation, le crédit amortissable se substituant progressivement au crédit renouvelable.
Cette amélioration ne doit pas faire oublier que près de 250 000 dossiers de surendettement ont été déposés au dernier trimestre de 2011, soit une augmentation de 7 % par rapport à 2010. La hausse est de 21 % entre 2007 et 2011. Derrière chacun des 750 000 dossiers en cours d’instruction, il y a des ménages en situation de détresse financière, de malaise social et de souffrances psychologiques. Derrière chaque dossier, il y a un risque de « décrochage ».
Ces dernières années a été constatée une évolution très nette du profil des débiteurs concernés par les procédures de désendettement. Pour une part croissante d’entre eux, ils ne sont ni des « accidentés de la vie » ni des personnes ayant eu recours de manière excessive à des crédits, pour reprendre la typologie de M. Hyest. Ni « passifs » ni « actifs », il s’agit de ménages disposant de ressources devenues trop faibles d’un point de vue structurel, qui ne leur permettent plus de faire face à leurs charges courantes désormais insurmontables.
Ainsi, le nombre de surendettés bénéficiaires des revenus minimaux a sensiblement augmenté, tout comme celui des ménages ayant une capacité de remboursement inférieure ou égale à 540 euros ou de ceux qui ont une capacité de remboursement négative.
Bien évidemment, cette situation renvoie au contexte économique ainsi qu’à la problématique plus générale de l’accès au crédit, dont est privée une large partie de la population française, faute de revenus suffisants. Certaines offres adaptées à cette recomposition du marché du travail doivent être envisagées.
Mais plus de trente ans après la mise en place des commissions de surendettement, l’accompagnement social manque toujours à l’appel, et la loi de 2010 n’a pas assez pris en compte ce volet devenu plus que jamais prioritaire. Elle n’a pas répondu, ou l’a fait de façon embryonnaire, à l’objectif de prévention du surendettement et de protection pérenne de ces publics fragilisés. Et le renforcement des moyens humains au sein de la Banque de France, s’il était souhaitable, ne peut tenir lieu d’unique solution.
Les commissions et les procédures de surendettement ont été constituées au regard d’une réalité qui a sensiblement évolué. En conséquence, elles doivent connaître une restructuration et laisser plus de place à l’accompagnement social.
Les procédures de surendettement ont été rendues plus rapides – je pense au raccourcissement du délai d’examen de la recevabilité du dossier – et simplifiées par la « déjudiciarisation » des démarches, notamment par la création d’une procédure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire pour les situations « irrémédiablement compromises ». L’accélération ainsi permise constitue une avancée puisque tout allongement est, de fait, préjudiciable au débiteur, dont les intérêts continuent à courir.
Cependant, en rendant la procédure uniquement administrative, le juge étant cantonné à un simple contrôle de régularité, le débiteur voit son parcours banalisé et se retrouve éloigné d’une information pourtant nécessaire. Or près de quatre ménages surendettés sur dix redéposent un dossier. Il y a, de toute évidence, une carence du législateur à ce niveau que la loi n’a pas réglée.
Sans revenir sur l’ensemble des propositions formulées dans le rapport, je souhaite insister sur trois points spécifiques : le renouvellement de la composition des commissions, l’articulation entre le droit du surendettement et le droit au logement, et l’accompagnement social à tous les stades du surendettement.
En effet, si le profil des surendettés a évolué, la composition des commissions n’a pas suivi ces transformations.
Le droit de vote conféré par la loi de 2010 à la personne qualifiée en économie sociale et solidaire au sein des commissions n’a fait qu’entériner une pratique déjà existante et n’a donc pas contribué à la restructuration attendue.
Prévoir la participation des conseils généraux et de la caisse d’allocations familiales à la commission de surendettement, ainsi que cela est proposé dans le rapport, paraît un premier pas souhaitable.
Par ailleurs, l’articulation entre le droit relatif au surendettement et le droit au logement n’est toujours pas garantie. Actuellement, des ménages peuvent se voir expulser faute d’avoir payé leur loyer alors même que la commission de surendettement leur interdit le paiement des dettes.
Une nouvelle fois, parce que la procédure telle qu’elle a été prévue à l’origine ne considère pas le surendettement comme un problème de précarité sociale, le maintien de la personne surendettée dans son logement et la suspension des mesures d’expulsion n’ont pas été rendus possibles. Lorsque le paiement permet la conservation du logement, il pourrait être envisagé que le débiteur puisse payer ses dettes de logement, et ce malgré la décision de recevabilité.
L’introduction de modules d’éducation budgétaire dès l’école primaire ne me paraît pas constituer une réponse à ce difficile problème. Il vaudrait sans doute mieux développer une éducation au message publicitaire et à sa lecture critique, …