Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, à l’issue de la réunion de la commission mixte paritaire, les parlementaires, au-delà des clivages politiques, ressentent une certaine frustration à l’égard de cette affaire de « grand emprunt ».
En effet, les sommes affectées au financement des priorités nationales seront externalisées. Une fois déléguées aux opérateurs, elles sortiront de l’écran radar du Parlement. Le débat a porté sur l’affectation du produit de l’emprunt, par exemple aux transports ou au logement, mais aussi sur la possibilité de conserver sous notre œil vigilant une réserve de précaution. Il a mis en évidence qu’une fois ce collectif adopté, nous ne disposerons plus de moyens d’action sur les choix opérés en amont.
Pour sa part, le groupe socialiste considère que le Gouvernement se constitue un fonds de trésorerie, qui grève d’ores et déjà de 500 millions d’euros le budget de 2010 et qui pèsera sur les déficits, avec en compensation une réduction équivalente des dépenses inscrites au budget. Je rappelle que les 2, 5 milliards d’euros que représente la réduction de la TVA accordée au secteur de la restauration n’ont, quant à eux, pas été compensés dans le budget.
Nous avons la désagréable conviction que le montage complexe de cet emprunt obéit à un objectif prioritaire : s’assurer la neutralité de la Commission européenne, au moment où le Gouvernement affiche la volonté de ramener nos comptes publics dans les clous du traité de Maastricht d’ici à 2013. Comme nous avons déjà eu l’occasion de l’indiquer, nous jugeons cette perspective irréaliste, sauf à adopter des mesures très énergiques en matière de recettes. À cet égard, vous connaissez nos propositions concernant certaines niches fiscales et la remise en cause de multiples exonérations, sans parler du bouclier fiscal.
La commission mixte paritaire a avalisé le choix du Sénat d’élargir quelque peu le périmètre du dispositif de taxation des bonus. Pour la deuxième fois, la loi traite de la rémunération de certains acteurs privés, en prévoyant en l’occurrence de l’imposer dans une mesure très modeste, à titre exceptionnel et de plus via les employeurs, c’est-à-dire les banques : il ne s’agit donc pas de taxer directement les traders, comme on a pu le dire publiquement. Nous aurions souhaité que le périmètre soit beaucoup plus large et, surtout, que le dispositif soit pérenne.
Nous connaissons maintenant les résultats de 2009 des banques françaises. Certes, ils sont contrastés, mais tout de même ! En particulier, la plus grande de nos banques sort renforcée de la crise et affiche plus de 6 milliards d’euros de bénéfices. Nous ne sommes pas seuls à penser que l’objectif de modifier les comportements des agents financiers ne sera pas atteint. Il est vrai que telle n’était pas la motivation initiale du Gouvernement, qui avait tout bonnement décidé d’affecter le produit cette taxe au fonds de garantie des dépôts. En dépit des modifications bienvenues du texte introduites par les députés, ce n’était d’ailleurs pas non plus l’objectif de la majorité… En tout état de cause, même si certains établissements affichent une forme de modération en matière de bonus, les traders retrouveront leur niveau de rémunération de 2007, comme si rien ne s’était passé en 2008, d’autant qu’il existe des manières habiles de contourner le dispositif en jouant tant sur la part fixe que sur la part variable de la rémunération ! Mais nous aurons certainement l’occasion d’y revenir…
Reste entière la question de la cotisation des banques au fonds de garantie des dépôts, le plafond de cette garantie ayant été relevé de 70 000 à 100 000 euros, en application d’une modification d’une directive européenne. Initialement, le Gouvernement avait souhaité traiter cette question de manière inadéquate, en vue de rendre ce prélèvement indolore pour les banques. Ce sujet reste pendant, mais j’ai cru comprendre que la commission ferait avant l’été des propositions visant à l’harmonisation de cette contribution au sein de l’Union européenne. Nous aurons donc l’occasion d’en reparler.
J’évoquerai maintenant les amendements déposés par le Gouvernement à l’article 11, lequel traduit la reprise par M. Marini d’un certain nombre d’éléments de la proposition de loi Warsmann. Cet article résulte de l’adoption d’un amendement fort copieux, dont on nous a assuré qu’il avait été puisé à bonne source… Cette pratique, qui peut se justifier à titre exceptionnel – nous avons tous appartenu un jour ou l’autre à la majorité parlementaire –, devient courante avec la réforme constitutionnelle : le Gouvernement inspire des amendements parlementaires à son propre texte.
En l’occurrence, il s’agit d’un dispositif très complexe. Après l’avoir étudié de près, nous avons relevé un défaut concernant le régime de TVA des opérations d’achat de terrains à bâtir des offices publics d’habitations à loyer modéré, les OPHLM. Ce régime reposait sur deux fondements : le 2° de l’article 261-5 du code général des impôts, qui a été abrogé, et une instruction fiscale, dont on nous a dit qu’elle pourrait être supprimée par les services de la législation fiscale. Or la disparition de cette instruction fiscale entraînerait forcément un surcoût pour les OPHLM, même s’ils pourraient alors bénéficier d’un taux réduit de TVA de 5, 5 %. Ce ne serait pas un bon signal alors que le Gouvernement affiche un objectif de 140 000 logements sociaux à construire, dont la moitié en Île-de-France, où le prix du foncier est extrêmement élevé et la situation très tendue. J’attire donc l’attention du Gouvernement sur le fait que l’abrogation de cette instruction fiscale ne serait pas neutre, mais obérerait au contraire la construction de logements sociaux.
Par ailleurs, la commission mixte paritaire a supprimé la mesure concernant l’exonération des radios associatives au titre de l’IFER, qui avait été inscrite par le Sénat dans la loi de finances de 2010. Il n’est jamais bon qu’une disposition adoptée à l’unanimité par le Sénat subisse un tel sort, d’autant qu’en l’occurrence nous avions respecté le périmètre du droit constant, qui avait encadré nos travaux concernant la taxe professionnelle. Le détail de ces nouveaux prélèvements forfaitaires destinés à réduire à concurrence de 1, 5 milliard d’euros l’impasse budgétaire ne nous était pas connu à cette époque. Nous savons aujourd’hui que les entreprises de réseaux, après avoir admis le principe de cette taxation, en contestent aujourd’hui les modalités. Elles seront néanmoins appelées à acquitter cet impôt en mai, alors que nous reviendrons, au titre de la clause de revoyure, sur la réforme de la taxe professionnelle en juin ou en juillet. Nous souhaiterions donc savoir avant cette échéance si cet assujettissement correspondra à ce que l’on nous avait annoncé.
En conclusion, les travaux parlementaires ont finalement très peu modifié le texte gouvernemental. Il s’agissait d’une sorte de figure imposée, l’objectif étant de loger l’emprunt du Président de la République, annoncé à Versailles lors du Congrès de juin 2009. Pourtant, nous avons des défis majeurs à relever à court ou à moyen terme, entre la nouvelle poussée du chômage, marquée par l’arrivée en fin de droits de nombreux chômeurs, le recul de la consommation, qui a atteint 2, 7 % à la fin de l’année dernière, et une reprise très problématique. Même si la croissance devait en 2010 être conforme à l’hypothèse gouvernementale révisée, la destruction des emplois continuerait. Enfin, nous abordons cette nouvelle phase de la crise avec des déficits et un endettement record !
Dans sa plus récente analyse, le Fonds monétaire international indique que ramener la dette mondiale à 60 % du produit intérieur brut en 2020 impliquerait de passer d’un déficit de 4, 3 % à un excédent de 3, 7 %, en supprimant toutes les mesures de soutien, évaluées à 1, 5 % du PIB mondial. Ces chiffres nous font entrevoir l’ampleur et les modalités de l’ajustement à opérer !
C’est là matière à un bon et beau débat ! Nul ne le conteste, il faut revenir à des finances publiques saines, mais il y a deux manières d’y parvenir. J’espère que nous aurons ce débat au cours de la prochaine campagne présidentielle. Tout récemment, le rapporteur général de l’Assemblée nationale a intimé au Gouvernement l’ordre de préserver et de sécuriser les recettes. À l’évidence, cela n’a pas été fait par les gouvernements de droite qui se sont succédé depuis 2002. C’est là une des raisons essentielles qui nous amènent à persister dans notre opposition à ce projet de loi de finances rectificative.