Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, le texte de notre collègue Yvon Collin sur le service civique revient donc au Sénat en deuxième lecture. Pour paraphraser une formule célèbre, je tenais, en préambule, à rendre à M. Collin ce qui lui appartient !
L’enjeu de ce texte est fondamental pour notre société. J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer sur ce point en première lecture, je ne m’y attarderai donc pas aujourd’hui.
Apprendre à vivre ensemble, filles et garçons, avec la notion de respect réciproque que cela implique, transcender les individualismes, respecter les différences, s’ouvrir aux autres, constituent les fondamentaux de la vie en collectivité. Et cela passe par le développement du civisme, culture première du citoyen, à laquelle il faut redonner un élan nouveau.
Après la famille, c’est à l’État qu’il appartient de tout mettre en œuvre pour faire vivre les valeurs du pacte républicain. C’est à lui d’organiser le cadre qui permettra de réinventer un système capable d’inculquer aux jeunes que le civisme est un devoir, et la citoyenneté un droit. C’est pour cela que nous sommes favorables à la proposition de loi de M. Collin.
Pour autant, nous ne devons pas oublier que notre objectif à long terme doit être la création d’un service civique, universel, mixte et obligatoire, qui permettrait un nécessaire brassage social, une confrontation aux différences, pour tous les jeunes de notre pays, un brassage des cultures qui se mêlent sur notre sol et un apprentissage de la citoyenneté faite de droits et de devoirs.
Le texte que nous réexaminons aujourd’hui constitue une véritable première étape dans la réalisation de cet objectif. Du moins est-ce ainsi que nous le considérons. C’est pourquoi nous avions déjà exprimé, en première lecture, notre satisfaction sur un grand nombre de points. Il constitue une évolution notable pour notre société et une première étape décisive vers la réalisation de notre objectif républicain de renforcement du civisme.
Notre travail commun avait déjà permis d’adopter des amendements améliorant et précisant le texte. L’Assemblée nationale a, elle aussi, poursuivi cette tâche de clarification.
Je voudrais particulièrement revenir sur quelques points précis où des avancées ont été obtenues.
Concernant les frais relatifs à la mission du volontaire, les députés ont adopté la prise en charge du coût des déplacements relatifs aux missions, ce qui permet de favoriser la mobilité des futurs volontaires. Ils pourront ainsi choisir d’effectuer leur mission loin de leur lieu d’habitation, ce qui favorisera le brassage culturel et social que nous souhaitons tant pour le service civique.
L’adoption d’un amendement mettant en place un réseau de familles d’accueil pour les volontaires en mission éloignée de leur domicile va également dans le sens d’une amélioration de la mobilité des jeunes.
Nous nous félicitons de l’amendement de nos collègues députés instaurant la prise en charge de 100 % par l’État des indemnités du jeune volontaire et de sa couverture sociale. Une telle disposition permettra aux associations et aux collectivités locales de jouer réellement le jeu du service civique. Pour une fois, l’État assume la totalité de sa responsabilité et ne se décharge pas sur elles de l’essentiel de ses responsabilités ! Cela mérite d’être signalé !
À l’Assemblée nationale, le dispositif de valorisation de l’expérience d’engagement pour l’université a été élargi au secondaire pour permettre aux jeunes en difficulté scolaire de s’investir dans une expérience enrichissante et de pouvoir valider cette expérience pour le baccalauréat.
Enfin, le dispositif de gouvernance finalement retenu nous semble bon : il est exclusivement public, le groupement d’intérêt public conciliant un pilotage par l’État et un partenariat tant au sommet qu’au niveau local avec les associations et les collectivités.
Pour autant, et même si nous avons obtenu des éléments de réponses, quelques incertitudes ou imprécisions subsistent qui pourraient être dommageables au texte et à sa mise en œuvre. Nous aurions pu être tentés de déposer quelques amendements, nous ne l’avons pas fait, mais, monsieur le haut-commissaire, j’attends de votre part des réponses aux dernières questions que je vais maintenant vous poser.
Tout d’abord, je m’interroge sur l’opportunité de la disposition de l’article 3 ter qui prévoit que, lors de l’entretien avec le service public d’orientation que cet article instaure, le jeune en décrochage scolaire pourra se voir notamment proposer d’accomplir le service civique.
En effet, est-il raisonnable de fixer une nouvelle mission à un service public qui n’a déjà pas les moyens de suivre tous les élèves qui auraient besoin d’être accompagnés ? Croyez-vous vraiment, monsieur le haut-commissaire, que ce service public pourra remplir sa nouvelle mission alors qu’il n’est pas en mesure d’assurer le minimum de ce qui lui est demandé aujourd'hui ? La question porte donc sur les moyens, et non pas sur le principe.
Par ailleurs, puisque des discussions sont en cours sur une réforme du lycée devant comprendre une refonte complète du système d’orientation scolaire – on parle d’un grand service public de l’orientation scolaire –, ne serait-il pas plus judicieux de traiter le cas particulier des jeunes en décrochage scolaire dans le cadre de cette réforme ?
De plus, étant donné qu’il s’agit là d’un cas particulier par rapport à l’objet tout à fait général du service civique, cette disposition ne constitue-t-elle pas un « cavalier », préjudiciable à la lisibilité de la future loi ?
La possibilité de dérogation pour l’accueil des personnes de dix-huit à vingt-cinq ans qui sera accordée par l’Agence du service civique aux associations et fondations qui en feront la demande, s’agissant du volontariat de service civique, apporte de la souplesse mais, pour autant, cette souplesse ne doit pas se traduire par l’absence de tout encadrement. Il aurait peut-être fallu accompagner la délivrance des dérogations de critères garantissant à l’État une utilisation judicieuse du volontariat de service civique.
Concernant ensuite le rapport remis par le Gouvernement au Parlement sur l’application de la loi, la version proposée par le Sénat en première lecture faisait mention d’une évaluation du « rôle qu’un service civique obligatoire et universel peut jouer » dans la préservation et le développement de la politique française en matière de cohésion sociale et républicaine. Cette mention a disparu du texte après son passage à l’Assemblée nationale : il n’est plus question de service civique obligatoire en tant qu’objectif.
Pourtant, nous considérons pour notre part que le service civique tel qu’il est actuellement mis en place doit être considéré comme une première étape vers l’instauration, à long terme, d’un service civique obligatoire et il me semble qu’une large majorité de parlementaires, tant à l’Assemblée nationale que dans cet hémicycle et tous bords politiques confondus, est d’accord sur ce point. Pourquoi donc ne pas laisser la possibilité au Gouvernement de maintenir cet objectif à la vue de tous ? Je souhaiterais, monsieur le haut-commissaire, que vous vous exprimiez sur ce sujet avant que nous passions au vote.
Pour finir, j’aimerais m’attarder sur un point qui me semble d’une grande importance.
Si nous sommes satisfaits de voir se mettre en place un service civique de qualité, je dois dire franchement, monsieur le haut-commissaire, que nous nous interrogeons sur sa mise en œuvre. Nous savons en effet que, dès les élections régionales terminées, nous allons entrer, malheureusement, dans une période d’austérité budgétaire.
Mon inquiétude est donc grande que tous les moyens annoncés par le Gouvernement en faveur du service civique tel que le prévoit le présent texte ne soient pas débloqués et je crains, monsieur le haut-commissaire, que tous les chiffres avancés par vous ne soient revus à la baisse, et peut-être même drastiquement. Vous ne serez d’ailleurs certainement pas le seul membre du Gouvernement touché…
Certes, l’engagement a été pris à l’Assemblée nationale d’une montée en charge pluriannuelle du dispositif, ce qui, je le reconnais, assure une certaine pérennité. Mais il faut espérer que cette mise à disposition de moyens ne soit pas prise sur le budget de la vie associative et de l’éducation populaire, secteur déjà sinistré !
Vous avez une grande responsabilité, monsieur le haut-commissaire : nous devons offrir à notre jeunesse l’espoir d’une vie plus harmonieuse et plus solidaire où chacun aura appris à vivre, non pas à côté, mais avec son voisin.
C’est à ce véritable enjeu de société que nous nous trouvons aujourd’hui confrontés et, dans cette optique, nous approuvons, cher Yvon Collin, la présente proposition de loi.
(Sourires.) Je vous demande simplement de faire parler les faits et sachez que, si nous sommes sincères dans notre vote en faveur du texte, cela ne nous empêchera pas d’être vigilants.