Lorsque nous parlons d'une nouvelle étape de la décentralisation, il faut se rendre compte qu'elle sera totalement différente de celles que nous avons connues, compte-tenu du contexte financier, économique et culturel qui s'impose à nous. Il y a une profonde solidarité entre l'Etat et les collectivités territoriales. Cette décentralisation sera faite de dialogue et de concertation : il n'y aura plus d'unilatéralité, même si je crois à l'Etat. Cette notion de dialogue est fondamentale. Bien que tout le monde ne soit pas d'accord avec cela, les politiques publiques sont nécessairement plurielles, transversales, prospectives et coopératives. Nous, élus, en avons la preuve tous les jours.
J'ai eu la chance de participer à la mise en place du « B15 ». Ce n'est pas une institution décisionnelle, comme l'a rappelé Pierrick Massiot. C'est un lieu de rencontre, d'échange, situé dans une région particulière, la Bretagne, et disposant d'une vraie identité qui n'a rien à voir avec l'autonomisme. Depuis les années 60, des hommes et des femmes de sensibilité très différente se sont impliqués dans cette région. Je citerai volontairement le président Pleven, fondateur du comité d'étude et de liaison des intérêts bretons (CELIB) et le président André Colin. Les gens qui ont eu des responsabilités ont duré, ce qui est important, dans la mesure où la durée permet aux gens de prendre l'habitude de se rencontrer.
Lorsque ce type de réunion a lieu, on aboutit à un échec si l'on commence par débattre de la ville et de la campagne. J'ai toujours eu de très bons rapports avec des personnes qui n'étaient pas nécessairement de ma sensibilité, mais il est évident qu'il peut y avoir des oppositions, par exemple sur la question de l'établissement public foncier et sur la fiscalité. Il faut choisir des thèmes appréhendés de façon globale. Ces thèmes ne manquent pas.
Nous sommes trop cartésiens. Il serait intéressant d'avoir l'avis de M. Verpeaux à ce sujet. Je souhaiterais que nous ayons un texte souple, qui repose sur la confiance. Il y a des régions qui n'existent pas, qui ont du mal à se définir. Nous avons en Bretagne une solidarité et une identité culturelle et historique. C'est pourquoi nous avons besoin d'une grande liberté d'organisation.
Nous avons évoqué la question des maires ruraux. Mais croyez-vous que, quand j'allais au « B15 », j'y allais les « mains dans les poches » ? J'en discutais au conseil municipal, avec mes collègues de la communauté, toutes sensibilités confondues, au sein du bureau ou de la conférence des maires de la communauté, avec les élus du pays. Il y avait une coordination et des échanges à la base, ce qui me semble important.
Il faut que nous crevions un abcès : l'expression « bloc de compétences ». Il ne peut pas y avoir de « bloc de compétences », c'est ainsi. Il y aura nécessairement une coopération des collectivités territoriales entre elles, avec les représentants des sociétés civiles, avec l'Etat. Il peut y avoir des compétences obligatoires, mais pas de blocs de compétences exclusives. Tant que l'on ne sortira pas de ce schéma-là, nous n'y arriverons pas. Dans la réalité, la notion de contrat et de négociation l'emportera toujours.
Pierrick Massiot, président du conseil régional de Bretagne. - Ce qui guide notre démarche, c'est avant tout le pragmatisme. Ce pragmatisme serait battu en brèche si l'on transformait l'expérience que nous avons mise en place - de façon progressive, je le rappelle - en un aréopage de 50, 60, 70 personnes. Je crois que nous prendrions des distances avec la volonté initiale d'aboutir à une concertation destinée à débloquer des sujets importants et stratégiques pour les territoires. L'un des problèmes que nous connaissons dans ce pays est que les projets importants pour le développement des territoires, les projets d'infrastructures notamment, mettent un temps considérable à aboutir. Les délais sont liés à l'ensemble des procédures, que l'on empile les unes sur les autres et qui reviennent plus ou moins à bloquer ou à retarder les initiatives. Ceci a un coût, en énergie pour les gens qui portent les projets, mais aussi sur le plan financier. Lorsqu'il faut quinze ans pour réaliser un projet, il coûte beaucoup plus cher que lorsqu'il peut être réalisé plus rapidement. Et, en attendant, le développement économique qui s'appuie sur cette infrastructure ne se fait pas. Je constate qu'avec ce qui s'est fait en Bretagne depuis 2004, et je trouve les jugements de monsieur Méhaignerie sévères là-dessus, nous sommes parvenus à nous mettre d'accord sur l'essentiel - pas sur tout mais sur l'essentiel -, sur des projets que nous aurions mis beaucoup plus de temps à faire émerger par le passé.
Pour résumer, notre sentiment est que notre expérience peut servir à la réflexion dans le cadre d'une loi de décentralisation, mais ne formalisons pas trop, n'organisons pas les choses de façon trop rigide. S'il faut, par exemple, ouvrir notre expérience aux représentants des communautés de communes, au lieu d'avoir douze représentants des communautés d'agglomération il faudra qu'ils en désignent un peu moins, entre eux. Je rappelle que la région n'a qu'un seul représentant. Un représentant des associations des maires ruraux peut aussi être présent à ce titre et apporter sa sensibilité. Mais, de grâce, ne rigidifions pas trop et ne complexifions pas trop.