Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, conformément aux engagements pris pendant la campagne présidentielle, un ministère de l’égalité des territoires a été créé. Cette création a tout d’abord consacré un constat : des fractures demeurent, certaines s’accentuent. Elle a ensuite traduit la volonté de promouvoir l’égalité des droits pour tous les citoyens. Pour ma part, je préfère l’expression « égalité des droits » à celle d’ « égalité des chances ».
La présente proposition de résolution s’inscrit clairement dans cette perspective, et c’est une très bonne chose.
Les approches managériales et comptables des politiques passées, qui ont progressivement pris le pas sur les conceptions contractuelles de l’action publique – et dont la transformation de la DATAR en délégation interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité des territoires a symbolisé les dérives de 2005 à 2009 –, ont conduit à une véritable remise en cause des politiques de coopération et de péréquation, garantes d’une certaine idée de l’égalité républicaine.
Pour autant, ce souci de l’égalité ne saurait signifier l’uniformisation des territoires, comme beaucoup d’entre vous, mes chers collègues l’ont fait remarquer. Nous partons pourtant d’un constat simple et souvent désolant : depuis plusieurs années, des espaces entiers sont abandonnés par la puissance publique, qu’il s’agisse des zones les moins densément peuplées ou de zones périurbaines. Il nous faut donc penser à préserver leurs spécificités, tout en garantissant à leurs habitants les mêmes chances d’accès aux services, qu’ils soient publics ou privés.
La commission Wahl, dont nous avons auditionné le président la semaine dernière, a reconnu, outre le maintien des disparités historiques, l’accroissement des inégalités infrarégionales. Peut-être le phénomène de métropolisation a-t-il parfois accentué ces déséquilibres et contribué à la dévitalisation de zones rurales plus fragiles ?
Une illustration concrète de ces réalités, dont nous ne pouvons nous satisfaire, peut être tirée de la très récente étude de l’INSEE sur les bassins de vie. Dans ma région, la Bretagne, où le maillage des petites communes et des villes moyennes apparaît pourtant particulièrement équilibré, nous notons tout de même que le plus petit bassin de vie s’étend sur dix-huit kilomètres carrés en zone littorale, quand le plus grand, en zone rurale dans le centre de la Bretagne, se déploie sur plus de huit cents kilomètres carrés.
Ce diagnostic objectif me conduit à revenir sur l’un des points importants de la proposition de loi pour un nouveau pacte territorial, que nous avions défendue au Sénat l’année dernière, comme cela a été rappelé il y a un instant par Michel Teston. Nous proposions d’instituer un temps d’accès maximal aux principaux services, afin que l’ensemble de nos concitoyens, qu’ils vivent en zone urbaine, sensible ou non, en zone de montagne ou sur une île, puissent accéder de manière égale aux services auxquels ils ont légitimement droit.
L’enjeu de la continuité territoriale et, plus particulièrement, la situation des territoires insulaires ne sauraient être ignorés. En l’espèce, une application stricte et uniforme des règlements et des normes risque de conduire à fragiliser davantage ces zones déjà très vulnérables. La question à se poser est la suivante : voulons-nous encore avoir, dans vingt ou trente ans, voire plus, des habitants sur les territoires insulaires ?
De même, s’il convient de reconnaître les spécificités des territoires ultramarins, rappelons, s’il en était encore besoin, que la promesse d’égalité républicaine s’adresse aussi à eux. Je souhaiterais donc qu’ils soient pris en compte dans la réflexion conduite par la commission pour la création d’un commissariat général à l’égalité des territoires. Je suis persuadée que nos collègues de la délégation à l’outre-mer y participeraient bien volontiers.
Mais parler d’égalité des territoires, c’est surtout défendre l’égalité des droits pour tous les citoyens. Comme l’exprime très bien le rapport d’étape de la commission Wahl, « le besoin de “sens” ou de vision commune passe par la conviction de chacun et de chaque territoire […] qu’il a la même qualité d’accès aux services dont il a besoin ».
L’enjeu des services publics, des services privés ou des services au public comme l’on dit en général mérite d’être considéré avec la plus grande attention. Pour beaucoup de territoires, désertés par la puissance publique, il s’agit même d’une véritable sauvegarde, voire d’une restauration, en particulier dans les domaines de la justice, de la sécurité et de l’éducation, les trois priorités du Gouvernement, que le projet de loi de finances pour 2013 a rendues opératoires.
Le droit à la santé devra aussi être rétabli. Les propositions de Mme la ministre des affaires sociales et de la santé pour lutter contre les déserts médicaux apporteront, je l’espère, des solutions efficaces, attendues tant par les citoyens que par les professionnels de santé.
Madame la ministre, l’État doit également assumer une fonction redistributrice, en veillant au maintien des capacités locales d’animation et d’expertise, nécessaires pour mener à bien des projets d’aménagement ou de développement, et en mettant en œuvre les mécanismes de péréquation permettant aux collectivités territoriales d’assumer leurs missions. Là encore, le projet de loi de finances pour 2013 comporte plusieurs engagements forts. Je regrette, pour ma part, l’absence de débat budgétaire au Sénat, alors que la chambre des territoires aurait dû être en première ligne sur ces questions.
Le renforcement des capacités administratives et d’ingénierie des collectivités et de l’État, tout comme leur nécessaire synergie doivent constituer une priorité stratégique. Les élus locaux, vous le savez, mes chers collègues, se retrouvent dans une situation très inconfortable, pris en étau entre la rigueur budgétaire – la disparition des services de l’État – et les besoins de leurs concitoyens. Dans cette perspective, la proposition de la commission Wahl de garantir l’égalité d’accès à une ingénierie territoriale de qualité et de veiller à sa diffusion selon des modalités différenciées en fonction des réalités locales me semble opportune.
En tant que membre de la commission du développement durable, je veux insister aussi sur l’indispensable cohérence entre la révision de la politique de la ville, les traductions législatives de la conférence environnementale et l’acte III de la décentralisation.
S’agissant de ce dernier texte, tant attendu par les élus locaux, le Sénat devra relayer plusieurs exigences, en particulier celles de l’expérimentation et de l’évaluation, permettant de concilier la prise en compte de la diversité territoriale et l’efficacité de l’action publique. Il nous appartiendra aussi de promouvoir le principe de subsidiarité et de chef de file, car, comme le rappelle le rapport Wahl, « plus qu’un partage des responsabilités définitif, c’est une co-construction de responsabilités partagées qui paraît devoir être privilégiée ».
La présente proposition de résolution a le mérite d’évoquer beaucoup de ces questions, et c’est donc avec enthousiasme que nous la voterons.