Intervention de Cécile Duflot

Réunion du 13 décembre 2012 à 15h00
Développement par l'état d'une politique d'égalité des territoires — Discussion d'une proposition de résolution

Cécile Duflot, ministre :

Dès la fin du printemps dernier, j’ai commandé à une équipe d’universitaires, coordonnée par Éloi Laurent, un travail en profondeur sur les nouvelles fractures territoriales. Ce premier travail de réflexion, qui a d’ores et déjà pris corps, fait en ce moment l’objet de consultations auprès d’élus pour rapprocher les analyses des universitaires de l’expertise et de l’expérience des acteurs de terrain. Cette méthode particulière permettra de faire en sorte que chaque contribution d’universitaire fasse l’objet d’un contrepoint, sous la forme de regard d’élu. Le rapport, qui me sera remis en février 2013, fera toute la lumière sur les évolutions inquiétantes que vous mentionnez dans votre proposition de résolution, monsieur Mézard, et pourra nourrir notre réflexion commune.

J’ai parallèlement souhaité réfléchir aux modalités d’intervention de l’État sur le territoire, y compris dans les outre-mer, madame Herviaux, en appui aux projets qui y naissent et s’y développent chaque jour. C’est tout le sens de la mission que j’ai confiée à la commission présidée par Thierry Wahl pour la préfiguration d’un commissariat général à l’égalité des territoires. C’est tout le sens de la réflexion que je souhaite mener sur la mission d’appui aux collectivités, au sein de mon ministère.

Ainsi, je pourrais dire à Mme Lamure qu’il s’agit bien là de réformer, de fait, la DATAR, dans l’esprit d’une réorientation de la politique en direction d’une vraie égalité des territoires et dans le sens de la modernisation de l’État, voulue par le Premier ministre.

Pendant que se tiennent ces travaux de réflexion, qui sont en train de parvenir à leur terme, vous aurez observé, mesdames, messieurs les sénateurs, que les actions les plus urgentes ont été lancées par le Gouvernement. La concertation « Refondons l’école de la République », menée par Vincent Peillon, a identifié les inégalités territoriales dans la réussite scolaire. Les assises de l’enseignement supérieur et de la recherche, menées par ma collègue Geneviève Fioraso, ont identifié les inégalités d’accès à l’enseignement supérieur. Marisol Touraine prend à bras-le-corps le sujet de la lutte contre les déserts médicaux. Manuel Valls a lancé une politique de zones de sécurité prioritaire, en zone gendarmerie comme en zone police. Dominique Bertinotti réfléchit, quant à elle, aux moyens de développer les services à la petite enfance sur tout le territoire.

Dans le même temps, le Gouvernement renouvelle ou acquiert de nouveaux outils pour mieux répondre aux territoires. La Banque publique d’investissement, dont vous avez voté la création il y a deux jours, permettra de mieux répondre aux PME de chacune des régions et de soutenir des filières nouvelles, comme celles qui permettront la transition écologique et énergétique. La nouvelle politique de pôles de compétitivité, que je conduis avec le ministre du redressement productif, conduit à réaffirmer le rôle des écosystèmes innovants pour le développement économique, en veillant à leur effet d’entraînement sur tout le territoire. Les emplois d’avenir ont été ciblés, vous le savez. J’avais personnellement veillé, en harmonie avec Michel Sapin, à ce que ces dispositifs soient prioritairement orientés vers les territoires les plus meurtris : les zones rurales oubliées et les quartiers sensibles

La nouvelle politique, que vous appelez de vos vœux, monsieur Mézard, est donc d’ores et déjà à l’œuvre.

Pour s’incarner de manière plus visible encore dans la durée, elle continuera à s’articuler autour de trois objectifs que vous avez relevés.

Le premier est de développer les capacités propres de chacun des territoires, de donner à chaque terroir, à chaque quartier, les moyens de se développer en s’appuyant sur ses forces, en misant sur son développement humain, sur l’éducation, sur la santé, sur l’innovation, sur le numérique. C’est un chantier indispensable. Les nouveaux usages permis par le numérique sont, bien sûr, une chance inestimable pour tous les territoires. Contrairement à bien des révolutions technologiques passées, qui articulaient le développement économique autour d’un centre et d’une périphérie, les services numériques mettent les femmes, les hommes et les territoires en réseau, s’appuient sur l’énergie créatrice de tous, où qu’ils se trouvent, et rendent possible le développement de tous les territoires. Le socle de la répartition des compétences, au sein de l’appareil public, sur le déploiement des dernières générations du réseau numérique figurera dans le projet de loi de décentralisation et sera complété à l’occasion du séminaire gouvernemental sur le sujet, qui aura lieu en février 2013.

Le deuxième objectif politique du Gouvernement est celui de la réparation des territoires meurtris, des zones hyper-rurales, des quartiers de la politique de la ville, des bassins d’emploi frappés par la désindustrialisation. Je souhaite mener avec vous un travail sur les outils de développement économique existants et sur leur réorientation, sans tabou ni exclusive.

Le troisième objectif politique du Gouvernement est celui, crucial, de l’accès aux services.

Cela pose naturellement la question de l’organisation des mobilités locales et de l’accessibilité aux réseaux de transport. Frédéric Cuvillier mène actuellement une évaluation du schéma national des infrastructures de transport, dont je ne peux pas préjuger du résultat aujourd’hui ; il y va de la cohérence de l’action gouvernementale.

Mais le sujet va bien au-delà. Comme vous le constatez au quotidien sur les territoires que vous représentez, mesdames, messieurs les sénateurs, la présence des services publics a souvent été pensée en silo, ministère par ministère. Le résultat en est connu : aucune stratégie territoriale d’ensemble n’a jamais pris corps et le reflux des services publics a laissé place aux difficultés d’accès aux services publics et, plus largement, aux services au public.

Le Gouvernement entend rompre avec cette forme d’aveuglement. Bien sûr, il faut poursuivre la modernisation nécessaire du service rendu à l’usager et l’adaptation de l’organisation de l’appareil administratif. Mais l’ambition de ce gouvernement est de mieux articuler la présence des services publics autour d’une stratégie pensée de manière globale et cohérente. C’est tout le sens de la mission que m’a confiée le Premier ministre à l’occasion du séminaire gouvernemental sur la modernisation de l’action publique.

Je souhaite que l’on réfléchisse à nouveau à ce que signifie « accéder aux services ». Plusieurs d’entre vous ont soulevé cette question. Je veux que les habitants et les collectivités locales soient associés à la définition du bouquet adapté de services rendus aux usagers sur leur territoire.

J’ai bien entendu M. Mézard indiquer qu’il ne revendiquait pas l’implantation d’un CHU dans la Margeride. Ce débat est réel. Il nous faut savoir quel bouquet de services nous voulons. Pour quels publics ? Selon quelles modalités ? Avec quelle accessibilité ? Quel temps d’attente avant l’accès au service, par exemple le service médical ?

Je m’engage devant vous à favoriser les dispositifs de mutualisation pour rendre possible un maillage en services au public de l’ensemble du territoire.

Je dis bien « services au public », madame Herviaux. Certes, je n’oublie évidemment pas la question du service public. Mais, dans les territoires concernés, avoir accès à un distributeur de billets de banque, à un bureau de tabac ou à un bar, qui participent du maintien du lien social dans les zones hyper-rurales, est parfois aussi important qu’avoir accès au service postal ou à la sécurité sociale. L’ensemble de ces questions doivent être prises en compte.

Pour mettre en œuvre de telles priorités, le principal enjeu est, me semble-t-il, celui de la cohérence de toutes les politiques publiques au service de l’aménagement du territoire. Je crois nécessaire de mettre en facteur commun les dispositifs de contractualisation, de l’accord de partenariat avec la Commission européenne aux contrats à passer avec les territoires. Les outils prévus par la Commission européenne pour concentrer les fonds sur les territoires à enjeux, comme les contrats de territoire, que j’imagine autour de stratégies de services rendus au public, participent naturellement à cette réponse aux besoins des territoires meurtris.

Monsieur Bertrand, « celui » qui viendra défendre le projet de loi sur l’égalité des territoires, ce sera peut-être « celle » !

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