Merci de me donner ainsi l'occasion de vous éclairer sur certains points, et en particulier sur la discordance que vous relevez entre nos résultats financiers et notre plan de réorganisation, mais aussi sur les enjeux d'une grande entreprise comme la nôtre sur le territoire français.
Sanofi-Aventis est un groupe international de santé présent dans près de cent pays : santé humaine, avec les vaccins, le traitement pour le diabète, contre le cancer, les maladies cardio-vasculaires, les maladies rares, mais aussi santé animale. Notre ancrage en France est fort, et constitue un maillage unique sur le territoire. Nous employons 28 000 personnes sur le territoire français, ce qui constitue un quart de notre effectif global, et la moitié de notre effectif de recherche et développement. Nous avons quarante-neuf sites industriels et de recherche répartis entre vingt-cinq départements et quinze régions, vingt-six sites de production chimique, biotechnologique et pharmaceutique - peu d'entreprises ont autant de sites de production et de recherche en France ! Quatorze de nos sites - dont notre siège social, qui emploie 9 000 personnes - sont situés en région parisienne, et nous sommes le premier employeur privé du Grand Lyon, avec 7 000 collaborateurs. L'activité de nos 28 000 collaborateurs en France est orientée à 80 % vers l'exportation ou du moins vers l'international : la France est la base internationale de Sanofi, alors même que le chiffre d'affaires de nos médicaments remboursés par la sécurité sociale en France est en forte régression depuis 2006 et ne représente plus que 7 % du chiffre d'affaires total du groupe.
Sanofi est la seule entreprise de cette taille en France dans l'univers de la santé et, comme c'est le cas dans d'autres secteurs technologiques, nous sommes confrontés à des changements considérables. C'est pourquoi Sanofi a présenté dès juillet 2012 ce plan d'adaptation de ses activités en France, avec comme horizon une mise en oeuvre pour 2015 : nous avons donc trois ans devant nous.
Les enjeux sont multiples. Nous devons en particulier découvrir de nouveaux médicaments pour faire face à la nouvelle concurrence dans le secteur des vaccins. Je dois en effet vous dire que depuis dix ans nous n'avons pas trouvé de médicament significatif. Et la concurrence des pays émergents dans le domaine des vaccins nous impose des efforts de compétitivité si nous voulons continuer à fabriquer nos vaccins en France. Le contexte scientifique est en évolution rapide et constante. La complexité de la recherche fondamentale et des nouvelles technologies telles que les biotechnologies est un défi qu'il nous faut relever afin d'assurer le progrès thérapeutique pour les patients : tous les observateurs du secteur s'accordent à dire qu'il faut en finir avec la pratique des « me too » et qu'il faut mettre à disposition des médicaments d'innovation et de rupture.
Face à ce bouleversement de notre environnement, nous avons plusieurs niveaux de responsabilité : anticiper le changement pour prendre les décisions d'investissement permettant de développer les innovations thérapeutiques et de maintenir les activités industrielles, et accompagner ces adaptations dans les meilleures conditions pour chacun de nos collaborateurs - c'est notre responsabilité sociale - tout en gardant à l'esprit l'importance de ce que nous faisons pour l'économie et l'indépendance stratégique du pays - c'est notre responsabilité de citoyen. La performance, et les résultats, de l'entreprise, me permettent d'exercer pleinement ces responsabilités. Pour avoir travaillé dans le groupe depuis plus de vingt ans, aux côtés de Jean-François Dehecq puis de Chris Viehbacher, je puis dire que l'adaptation que nous projetons est dans la continuité de toutes celles qui ont été mises en oeuvre depuis plusieurs décennies : elle se fera dans le respect de nos collaborateurs, dans le dialogue et la concertation, et avec le souci d'assurer la pérennité de l'emploi.
Au cours des dernières années, l'entreprise pharmaceutique a effectué plusieurs changements stratégiques, pour faire face à la perte de nombreux brevets. Sanofi, en particulier, a perdu six de ses sept brevets les plus lucratifs, ce qui l'a privée de 30 % de son chiffre d'affaires. Malgré ce contexte difficile, nous avons toujours privilégié notre ancrage français, en protégeant notamment nos vingt-six sites industriels : nous avons constamment rapatrié des volumes de production et d'activité depuis nos sites étrangers, notamment depuis les Etats-Unis, l'Italie, l'Espagne... Sanofi pilote l'ensemble de ses activités mondiales depuis la France, et les sièges sociaux de ses activités « vaccin » et « santé animale » ont été rapatriés à Lyon en 2011 - ils étaient auparavant localisés aux Etats-Unis. Je réaffirme que notre projet ne comporte ni délocalisation, ni réduction du nombre de sites industriels. D'ailleurs, plusieurs chantiers importants témoignent de notre volonté de rester implantés en France : nous construisons deux sites tertiaires, l'un à Lyon pour 1 600 personnes et l'autre à Gentilly, de 50 000 mètres carrés, dans lequel nous accueillerons plus de 3 000 personnes et où nous rassemblerons une grande partie de nos activités parisiennes - nous avons posé la première pierre de ce nouveau site il y a quinze jours, en présence des élus locaux. Les investissements industriels du groupe en France se sont élevés, sur les cinq dernières années, à plus de 3,5 milliards d'euros, soit la moitié du total de nos investissements, alors que nous n'avons que le quart de nos collaborateurs en France. Ils sont destinés à la reconversion de sites de production chimique vers des activités de bio-production. Ainsi, nous avons investi 350 millions d'euros à Neuville-sur-Saône afin de créer le site de production mondiale du vaccin contre la dengue ; et nous avons reconfiguré un site classé Seveso à Vitry-sur-Seine pour qu'il devienne une plateforme de bio-production ouverte aux partenariats avec les entreprises françaises et européennes.
Quels sont nos objectifs ? En recherche et développement, le problème principal est qu'aucun médicament significatif n'a été mis au point par Sanofi au cours des dix dernières années. Or, pendant cette période, nous avons investi environ 2 milliards d'euros chaque année sur le territoire français, et 4,8 milliards à l'étranger. Cela fait 20 milliards d'euros en dix ans pour la France, presque 50 milliards à l'étranger, et nous n'avons pas été en mesure de mettre au point une molécule nouvelle significative sur le marché ! Il n'est pas question d'imputer la responsabilité de cet échec à nos collaborateurs. Nos chercheurs ont autant de talent que ceux des autres entreprises ou dans les centres publics de recherche. Il s'agit de repenser notre organisation, comme le font d'autres grands groupes internationaux qui sont confrontés à des difficultés comparables aux nôtres. Le succès de la recherche mondiale de Sanofi passe donc par son changement de modèle et par la simplification de son organisation en France : c'est ce que nous avons fait depuis 2010-2011 dans les autres pays. La recherche amont doit être plus ouverte et coopérative - c'est ce qu'on appelle l'open-innovation - et nos sites doivent être beaucoup plus spécialisés. Actuellement, il y a beaucoup de redondances, ce qui est un héritage de notre histoire faite de fusions et d'acquisitions - Sanofi regroupe l'essentiel de la pharmacie française des années 1980 - mais les rationalisations ne se sont sans doute pas faites aussi vite que ne l'exigeait la compétition internationale. Nos neuf sites de recherche français travaillent souvent sur les mêmes choses. Leur nombre même est considérable : il n'y a guère d'entreprise qui en possède autant. Nous devons donc spécialiser notre recherche d'ici à 2015, ce qui entraînera un recentrage de nos activités sur les sites de la région parisienne, sur ceux de la région lyonnaise et à Strasbourg.
Certaines activités des sites de Toulouse et de Montpellier seront regroupées à Vitry-sur-Seine, à Chilly-Mazarin et à Lyon. Le site de Montpellier évoluera pour devenir un centre stratégique mondial de développement et de conduite des essais cliniques des nouvelles molécules, à la suite de la fermeture de deux sites aux Etats-Unis (Bridgewater et Green Valley). L'avenir du site de Toulouse, en revanche, est plus problématique, et l'on comprend que cela suscite des inquiétudes parmi nos collaborateurs. Mais il n'a pas vocation à disparaître : seule une partie de ses activités fait l'objet du plan que nous présentons. Pour explorer l'ensemble des options, nous avons proposé la constitution d'un groupe de travail réunissant des représentants de Sanofi, des représentants de salariés et des acteurs publics et nationaux. Les propositions seront faites en marge du projet actuel, mais je comprends votre désir de clarification sur ce point.
En matière de vaccins, la problématique est différente : il s'agit de la confrontation avec les marchés émergents. Les vaccins produits en France sont à 97 % destinés à l'étranger. Les niveaux de prix pratiqués sur les marchés émergents, où se trouve le potentiel de croissance de nos ventes de vaccins, sont très bas, et les marges sont donc sensiblement dégradées : certains produits vendus sur ces marchés par nos concurrents, européens ou non, le sont à des prix proches de nos coûts de revient industriels. Notre plan de restructuration vise à répondre à cette problématique en maintenant le nombre de sites sur le territoire français, et en développant un nouveau site dans le domaine du vaccin.
Quant aux fonctions support (ressources humaines, paie, comptabilité, achats...), elles ne seront ni délocalisées, ni externalisées, mais nous les regrouperons progressivement autour de deux pôles géographiques, à Paris et à Lyon.
Nous mettrons en oeuvre ces adaptations en faisant exclusivement appel au volontariat. Nos mesures s'inscrivent dans la continuité de ce que le groupe a toujours proposé à ses collaborateurs : une cessation anticipée d'activité sera proposée à 1 300 collaborateurs - alors que le nombre de postes que nous supprimons ne dépasse pas 900 -, un dispositif de mobilité externe volontaire accompagnera des départs dont le nombre est estimé à 300 ou 400, et des mobilités sur un même secteur, ou en dehors d'un secteur, seront proposées, toujours sur la base du volontariat, y compris et surtout pour les quelque 360 mobilités hors secteur prévues. Nous savons qu'en général 90 % de la population adhère à ce type de mesures et, à l'heure actuelle, une partie de nos collaborateurs souhaite que les négociations aboutissent pour pouvoir en bénéficier. Le solde net de suppressions de postes en France en 2015 serait de 914. Cela correspond à 1 % environ de l'activité de notre entreprise, c'est un niveau d'attrition naturel que peuvent connaître toutes les grandes entreprises.
J'y insiste : nous ne ferons appel qu'au volontariat. Une personne qui ne sera pas volontaire pour changer de région se verra proposer des alternatives professionnelles, par exemple une reconversion et une formation lui permettant de rester sur son bassin d'emploi. Nous mettrons en oeuvre la restructuration de manière progressive, dans la concertation avec les partenaires sociaux, et elle fera l'objet d'un suivi par des comités paritaires : notre expérience nous enseigne d'ailleurs que maints problèmes trouvent leur solution dans ce type d'instance.
Bref, Sanofi est et restera fortement implantée en France, où nous continuons à investir pour consolider notre outil industriel et notre place de premier investisseur privé dans la recherche, toutes activités confondues - y compris l'aéronautique, l'aérospatiale, le nucléaire... Sanofi sera un partenaire actif dans la mise en oeuvre du pacte national pour la compétitivité, la croissance et l'emploi : nous sommes un grand exportateur, notre participation au solde positif de la balance commerciale s'élevant à 7 milliards d'euros. Nous continuerons à assumer notre rôle stratégique, qui contribue à rendre notre pays indépendant en matière de politique de santé, notamment dans la fabrication des vaccins - pour l'homme comme pour les animaux -, dans le développement des biotechnologies, ou dans le domaine des maladies orphelines - grâce à l'acquisition de Genzyme, nous y sommes désormais un acteur majeur. Notre plan de restructuration a suscité beaucoup de commentaires et d'émotions, sans doute en raison du rôle que nous jouons dans le pays, où nous avons de nombreux sites. C'est pourquoi nous pensons qu'il est important de poursuivre le dialogue social, d'abord pour répondre aux interrogations parfaitement légitimes des représentants du personnel, mais aussi pour répondre aux attentes de nos collaborateurs, qui ont besoin de visibilité, et qui veulent savoir comment ces adaptations seront conduites. Notre attitude d'ouverture nous a donc conduits à proposer une rencontre à l'intersyndicale, en marge des réunions qui se tiennent avec les institutions représentatives du personnel de chaque entité, pour essayer de réfléchir ensemble aux modalités du processus d'adaptation que nous pourrions modifier, corriger, supprimer...
Madame la Présidente, vous avez évoqué une discordance entre les résultats de notre entreprise et notre intention de la restructurer. Mais les résultats que nous obtenons aujourd'hui sont le produit du cycle pharmaceutique d'hier. Nous mettons en place une réorganisation pour continuer à croître et à avoir de bons résultats. Les dividendes distribués aux actionnaires l'an dernier se sont élevés à 3,5 milliards d'euros, les investissements dans la recherche à 4,8 milliards : notre choix reste donc délibérément de découvrir de nouvelles molécules. Nous comprenons bien évidemment les enjeux pour le pays de la présence de Sanofi en France, et nous n'avons aucunement l'intention de nous en retirer - au contraire, nous avons rapatrié récemment deux centres de décision importants.