La focalisation sur la dangerosité nous avait semblée excessive, même si la psychiatrie n'avait pas été uniquement abordée sous cet angle. Ainsi, deux plans de santé mentale ont été élaborés, l'un pour 2005-2008 et l'autre pour 2011-2015 ; l'essentiel de l'action publique repose sur ces plans. Malgré nos demandes répétées, aucune concertation nationale avec les acteurs de la psychiatrie et de la santé mentale n'a été engagée, ni aucun projet de loi relatif à la santé mentale déposé.
Cette inaction est-elle liée à l'idée que le plan de santé mentale 2005-2008 serait suffisant ? Parus fin 2011, les rapports du Haut Conseil de la santé publique et de la Cour des comptes en ont pourtant dressé un bilan en demi-teinte : absence de connaissances exactes tant sur la prévalence des troubles relevant de la psychiatrie que sur l'activité des équipes et des structures ; cloisonnement persistant des soins, notamment entre psychiatrie et médecine générale ; absence de politique d'innovation et d'amélioration des soins. Il est trop tôt pour juger des effets du plan 2011-2015 dont le programme n'est paru que fin février 2012.
Une nouvelle impulsion politique est donc indispensable. Le Gouvernement pourrait proposer une politique de lutte contre les troubles mentaux qui s'intègre enfin à la politique de santé publique. L'annonce d'une nouvelle loi de santé publique favoriserait cette approche. Je crains cependant que les difficultés qui ont corseté les initiatives du précédent gouvernement n'entravent l'action du nouveau.
Les acteurs de la prise en charge des troubles mentaux ne sont absolument pas d'accord entre eux. Le rapprochement des points de vue sera particulièrement ardu. Aucune proposition dans le domaine de la prise en charge psychiatrique, excepté l'augmentation des moyens, ne peut être formulée sans déclencher des protestations et des campagnes d'opinion qui garantissent le maintien du statu quo.
La situation actuelle est préférable à une réforme mal conçue ou aux demi-mesures déjà prises. La prise en charge psychiatrique française a été refondée en 1960, avec la création des secteurs, sur des valeurs qui conservent toute leur actualité. Malgré ses défauts, le système parvient, grâce à l'implication des personnels, à prendre en charge la plupart des malades. Mais le statu quo n'offre que l'illusion du maintien des principes fondateurs. Le rapport que j'ai présenté au nom de l'office parlementaire d'évaluation des politiques de santé (Opeps) dénonçait l'état d'abandon des malades et des soignants, en l'absence d'une politique pour améliorer la prise en charge psychiatrique. La liberté d'innovation du praticien et l'autonomie du malade se heurtent à l'absence de diffusion des meilleures pratiques et au défaut de suivi thérapeutique, qui fait peser sur l'entourage des malades le risque d'une rechute. Le rapport de l'Opeps, publié en 2009, estimait que la psychiatrie française, longtemps stigmatisée, était en mesure de devenir une médecine de pointe. C'est ce projet ambitieux qu'il convient de présenter aux professionnels de santé, aux patients et à leurs familles.
Il faut tout d'abord nous livrer à un exercice de définition. La commission m'ayant demandé d'examiner la prise en charge psychiatrique des personnes atteintes de troubles mentaux, le sujet est donc restreint : il s'agit de la prise en charge psychiatrique et non des autres formes de thérapie ou de prise en charge sociale dont sont susceptibles de bénéficier les malades, ce qui ne signifie pas que les prises en charge non psychiatriques soient moins importantes. Pour la vie quotidienne des patients, la prise en charge sociale est incontestablement plus importante que les thérapies offertes par la psychiatrie. Mais la psychiatrie est au coeur du traitement de la maladie mentale. C'est donc sur l'avenir de cette spécialité médicale que je me suis penché.
Le domaine de la psychiatrie est celui du trouble mental, qui comporte des pathologies lourdes, comme la schizophrénie, mais aussi toute l'étendue de pathologies dont la sévérité varie, comme la dépression. A priori, la notion de trouble mental exclut les troubles du comportement, comme l'anorexie et la boulimie, et les troubles envahissants du développement, comme l'autisme. J'ai néanmoins fait référence à la prise en charge psychiatrique dans ces domaines pour lesquels la recherche et les recommandations de bonnes pratiques jouent un rôle déterminant.
L'intérêt de ce sujet restreint est de rompre avec l'approche en termes de « santé mentale ». Ce concept est issu de la convention constitutive de l'OMS de 1948 ; il a été précisé par cette institution et ses organisations régionales depuis 2002. Il s'intègre à l'approche globale des problématiques de santé prônée par l'organisation, pour qui la santé est caractérisée par un « état de complet bien-être physique, mental et social et non par la simple absence de maladie ». De même, « la santé mentale est un état de bien-être dans lequel une personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et contribuer à la vie de sa communauté ». Cette définition passe sous silence l'aspect médical pour souligner les facteurs et les conséquences sociales de la santé mentale, présentée comme « le fondement du bien-être d'un individu et du bon fonctionnement d'une communauté ». La Commission européenne a repris cette notion dans son « Livre vert » sur la santé mentale, publié en 2005. La mauvaise santé mentale y est estimée au travers de la prévalence des troubles anxiodépressifs dont le coût est exorbitant : en 2004, le « Livre vert » le chiffrait à 235 euros par habitant de l'Union.
En France, la direction générale de la santé (DGS) a partiellement adopté la notion de santé mentale, tout en maintenant celle de troubles mentaux. Dans les informations communiquées à la Cour des comptes, elle estime ainsi qu'« environ 30 % de la patientèle des médecins généralistes souffrirait de troubles psychiatriques ou relatifs à leur santé mentale ».