L'approche en termes de santé mentale tend à reléguer les troubles mentaux relevant d'un traitement psychiatrique au rang d'épiphénomènes au sein d'un problème de santé beaucoup plus large. Les études sur la prévalence des troubles mentaux reposent de plus en plus sur une acception large. Un article publié en septembre 2011 dans la Revue européenne de neuropsychopharmacologie, affirmait ainsi que chaque année, 38,2 % de la population européenne souffre d'un trouble mental...
L'étude inclut la dépression, la démence, l'usage d'alcool et le stress mesuré par les attaques cardiaques. Comme le souligne un rapport du Centre d'analyse stratégique, « la maladie mentale et la santé mentale ne sont pas mutuellement exclusives : une personne souffrant d'une maladie mentale peut jouir par d'autres aspects d'une santé mentale positive ».
La santé mentale tend à se confondre avec la capacité à mener une vie sociale. Les notions de santé mentale et de santé mentale positive, sans pathologie, s'inscrivent donc dans le cadre de la promotion du bien-être de l'individu. Elles peuvent être porteuses de progrès pour les personnes qui souffrent et pour la collectivité dans son ensemble. Elles ne sont pourtant pas exemptes de dangers car elles peuvent s'appuyer sur les pratiques non médicales pour promouvoir la confiance de l'individu en lui-même. Si des professionnels de grande qualité peuvent fournir des conseils avisés, le centre d'analyse stratégique relève que les personnes peu diplômées sont séduites par des pratiques comme le coaching qui peuvent comprendre des éléments déviants, voire sectaires. Il faut donc nous concentrer sur les pathologies mentales qui sont l'objet de la psychiatrie.
La psychiatrie et les psychiatres n'ont pas vocation à traiter l'ensemble du mal-être social. Dans le domaine des pathologies mentales, la psychiatrie doit permettre une approche équilibrée entre traitements médicaux et autres formes de prise en charge. La prudence est d'autant plus nécessaire que de nombreuses critiques sont adressées aux pratiques anglo-saxonnes dominantes en la matière. Les chiffres considérables de certaines études nous amènent à penser que la prévalence actuelle des maladies mentales est surestimée. La maladie mentale, aux Etats-Unis, est diagnostiquée sur la base de symptômes, c'est-à-dire de manifestations subjectives, comme la douleur, et de comportements, et non de signes, qui sont des manifestations objectives, comme une inflammation. La psychiatrie se distingue ainsi des autres disciplines médicales en ce que la plupart des maladies traitées par les autres spécialités produisent des signes physiques et des résultats biologiques ou radiologiques anormaux, en plus de symptômes. La part de subjectivité est donc importante dans le diagnostic psychiatrique.
Le recours aux médicaments est lui aussi contesté. Dans les années 1950, les modalités de prise en charge psychiatrique ont évolué, après la mise sur le marché de quatre nouvelles molécules, la chlorpromazine en 1954, le méprobamate en 1955, l'iproniazid en 1957 et la première benzodiazépine, la chlordiazépoxyde, en 1958. Ces molécules, agissant comme calmant ou comme stimulant, réduisent les symptômes les plus visibles de certains troubles mentaux. Elles limitent, voire éliminent, la nécessité de contrainte et d'isolement et permettent le traitement ambulatoire des malades, mis en place dans les années 1960. L'efficacité réelle de certains médicaments a cependant été remise en cause à partir d'une analyse des essais cliniques disponibles. Un chercheur affirme ainsi qu'une fois éliminés les biais méthodologiques des études cliniques, plusieurs gammes d'antidépresseurs semblent avoir un effet clinique à peu près équivalent au placebo. Dès lors que leur efficacité est considérée comme faible, le rapport bénéfices-risques des médicaments psychiatriques devient défavorable.
Comme l'indique le rapport de l'Opeps sur le bon usage du médicament psychotrope, même si les nouvelles classes de médicaments ont des effets secondaires moindres que leurs prédécesseurs, leur ampleur exacte n'est pas connue avec certitude en raison d'études pharmaco-épidémiologiques insuffisantes. L'Igas (inspection générale des affaires sociales) relève néanmoins que les neuroleptiques classiques provoquent « des syndromes extrapyramidaux (tremblements, hypertonie et akinésie) dont l'importance dépend de la dose administrée et qui disparaissent à l'arrêt des traitements, des dyskinésies tardives (20 % à 40 % des traitements prolongés), des crises convulsives, de l'hypotension orthostatique », ainsi que des effets plus rares. Les neuroleptiques de seconde génération provoquent moins d'effets neurologiques, mais « entraînent des effets métaboliques (prise de poids, obésité, diabète, hyperlipémies, dysfonctions sexuelles, hyperprolactinémie, constipation) ainsi que des risques cardiaques accrus ».
Le développement des médicaments psychiatriques a accompagné l'essor de la prévalence des troubles mentaux, ce qui peut être considéré comme un échec. Le directeur du National Institute of Mental Health, chargé de la politique fédérale de santé mentale aux Etats-Unis, constate ainsi que malgré le « boom » des médicaments psychotropes depuis cinquante ans - 25 milliards de dollars de chiffre d'affaire en 2011 aux Etats-Unis - il n'y a eu aucun impact significatif sur la morbidité ni la mortalité. Ces données renforcent le scepticisme face au médicament psychiatrique qui rejoint la remise en cause plus générale du médicament à la suite des scandales sanitaires.
L'hypothèse de l'origine neurologique des troubles mentaux qui sous-tend l'approche anglo-saxonne, est elle aussi remise en cause, car aucune causalité n'a pu être établie entre les dysfonctionnements cérébraux relevés chez les malades et la maladie elle-même. L'hypothèse d'un lien de causalité entre dopamine et schizophrénie, développée dans les années 1960, n'a pu être prouvée empiriquement. Les variations par rapport à la normale du taux de dopamine chez les malades peuvent apparaître tout autant comme une cause que comme une conséquence ou une coïncidence avec la maladie. Le rôle de la dopamine dans l'action des neuroleptiques a, pour sa part, été scientifiquement validé.
Les théories psychiatriques fondées sur la biologie ont été répudiées, faute d'assises scientifiques suffisantes. Elles ont néanmoins suscité pendant un temps l'enthousiasme de praticiens avec des conséquences graves en matière de prise en charge.
Les dérives de pratiques psychiatriques fondées sur des hypothèses non validées renforcent incontestablement l'intérêt de la psychanalyse. Ces dérives nourrissent par ailleurs le mouvement antipsychiatrique, sans apporter à elles seules la preuve qu'il existe une alternative à la prise en charge psychiatrique des troubles mentaux.
Lors de mes auditions, j'ai constaté l'existence d'une spirale néfaste : l'extension du concept de santé mentale aux troubles du comportement dès le plus jeune âge a pour conséquence l'encombrement croissant des consultations en psychiatrie, une pression accrue sur les médecins pour poser rapidement un diagnostic et engager un traitement qui donne des résultats immédiats. En réaction, la contestation radicale de la psychiatrie a émergé.
Nombre de praticiens auditionnés ont insisté sur l'augmentation du nombre de consultations, spécialement en pédopsychiatrie, liées à des questions impliquant moins des troubles mentaux que des problèmes sociaux. Le Haut Conseil de la santé publique relève le cas d'un centre hospitalier dont la population était composée en 1987 pour 44 % par des personnes atteintes de schizophrénie. En 2002, le taux était passé à 29 % tandis que les troubles de l'humeur s'établissaient à 29 %...