L'existence de dérives nourrit le discours antipsychiatrique, voire sectaire : la commission des citoyens pour les droits de l'homme, affiliée à la Scientologie, affirme ainsi que la psychiatrie est un danger pour la société.
Il est facile de remédier à ces dérives, heureusement circonscrites. La meilleure protection des droits des malades comme de la sécurité du personnel, repose avant tout sur le projet thérapeutique de l'équipe soignante. L'Igas donne l'exemple du centre hospitalier Henri Laborit de Poitiers, où la circulation des malades est libre alors que le taux d'incidents y est plus faible que dans d'autres établissements. Chaque malade est pris en charge dans un programme d'activités thérapeutiques et de loisirs qui ne le laisse pas seul face à ses troubles. De telles pratiques devraient être généralisées.
Une meilleure gestion des établissements est nécessaire pour mettre fin aux abus. Une association administrative plus étroite avec les établissements généraux devrait également être envisagée pour que le dialogue social puisse reposer sur des comparaisons avec les autres services de médecine.
Surtout, il importe d'associer les familles et les associations d'usagers à la vie des services de psychiatrie, afin de faire mieux accepter les traitements et d'assurer un regard extérieur sur les pratiques. J'ai pu mesurer, lors de l'audition des associations de familles, dont le Collectif national des victimes de la psychiatrie, la douleur due à l'absence de dialogue avec les soignants. Un conseil regroupant représentants des familles et des malades devrait être créé dans chaque établissement et informé des choix administratifs et des stratégies médicales globales. Le dialogue entre les soignants et les proches du malade doit également être renforcé ne serait-ce que parce que l'entourage prendra en charge le patient lors de la sortie de l'hospitalisation.
La réforme de la psychiatrie ne se fera pas de l'extérieur ou contre la psychiatrie mais à partir et avec les soignants.
Après avoir hésité, j'estime qu'il faut intégrer la lutte contre les troubles mentaux à la prochaine loi de santé publique, pour deux raisons. L'une est d'opportunité. Nous avons trop attendu pour nous permettre de laisser passer un véhicule législatif adapté. Peu de mesures législatives sont nécessaires mais elles doivent être prises rapidement. L'autre est de fond. La psychiatrie a plus souffert que bénéficié de son isolement par rapport aux autres spécialités médicales. De nombreux professionnels ont insisté en audition sur le fait que les critères d'évaluation de la psychiatrie ne sont pas différents de ceux qui s'appliquent à la recherche et à l'activité des autres disciplines. Intégrer la prise en charge des pathologies mentales à la loi de santé publique soutiendrait l'action des professionnels les plus dynamiques.
Il faut, en deuxième lieu, organiser une concertation avec les praticiens et les associations représentant les malades et leur famille pour que la prochaine loi sur l'accès aux soins comporte des choix clairs et acceptables sur l'avenir du secteur. L'absence de fondement juridique du secteur psychiatrique n'est plus tenable et seule une solution concertée permettra d'y remédier.
Troisièmement, un programme de développement des réseaux de soins en psychiatrie devrait être élaboré. Que ce soit en matière de recherche ou de prise en charge, ces réseaux sont très innovants mais ils ont du mal à mobiliser des ressources. Une action déterminée de la direction générale de l'offre de soins améliorerait la prise en charge sur le terrain.
Je propose, en quatrième lieu, de mettre en place des case managers non-médecins chargés du suivi d'un patient afin de surmonter les cloisonnements entre hôpital et ville, médecine et médico-social, qui engorgent le système et font peser sur les malades et leur entourage un poids démesuré.
Comme je l'ai déjà dit, il faudrait aussi intégrer un conseil des familles et des usagers à l'organisation des établissements psychiatriques.
En sixième lieu, il conviendrait de fixer avec la Haute Autorité de santé (HAS) un calendrier de réunions de consensus pour élaborer des recommandations de bonnes pratiques. Face à des écarts de prise en charge de plus en plus mal compris par les malades et les familles, ces recommandations éviteraient les polémiques et favoriserait les bonnes pratiques.
Je propose aussi la prise en charge somatique des personnes atteintes de troubles mentaux. Ce point essentiel milite pour l'inscription de la psychiatrie dans la loi de santé publique. L'espérance de vie des personnes atteintes de tels troubles est inférieure de vingt ans à celle de la population générale en raison des nombreuses comorbidités et des effets secondaires des traitements. Un suivi spécifique doit donc être effectué. Dans ce cadre, il faut lutter contre les addictions comme le tabac, toléré dans les hôpitaux psychiatriques, et les drogues illégales, qui circulent dans de nombreux établissements. De plus, comme le souligne Mme Fagot-Largeault, « la dépression n'empêche pas d'avoir une insuffisance cardiaque ; on rate trop de diagnostics masqués par un état psychiatrique ». Le patient en psychiatrie doit être suivi par une équipe pluriprofessionnelle et pluridisciplinaire. Pour la FNaPsy, très attachée à cette idée d'une prise en charge globale, l'état de santé dégradé des personnes souffrant de troubles mentaux est en partie lié à la difficulté d'accès de ces malades à la médecine générale de ville. Des consultations somatiques pourraient donc être conduites dans les établissements psychiatriques. Le développement de services de psychiatrie dans les hôpitaux généraux depuis les années 1970 favorise la prise en charge complète des patients. Pourtant, seuls 40 % des établissements psychiatriques d'Ile-de-France pourraient assurer la prise en charge somatique des patients. Pourquoi ne pas constituer des services de médecine générale au sein de ces établissements ? La FNaPsy suggère la mise en place de maisons de santé ouvertes à l'ensemble de la population en périphérie des établissements psychiatriques.
L'interaction entre le somatique et les troubles psychiatriques est mal connue. Le déficit en vitamine D, récemment établi par les chercheurs, des patients hospitalisés pour troubles mentaux est un exemple de cas où examens somatiques et prise en charge psychiatrique doivent interagir. En Allemagne et en Autriche, la psychosomatique est une discipline à part entière tournée vers l'étude et la prise en charge des pathologies mentales. Une analyse plus détaillée de ces pratiques permettrait d'améliorer les soins en France.
Il conviendrait de garantir un tronc commun de la spécialisation en psychiatrie. La régionalisation des spécialisations en psychiatrie renforce le poids des chefs de services de CHU. Les étudiants en psychiatrie veulent pouvoir librement déterminer leur formation. Il importe cependant qu'ils soient formés à tous les types de prise en charge. Je regrette que l'idée de porter de trois à cinq ans la formation générale en psychiatrie ait été abandonnée et que la création de deux nouveaux diplômes d'études spécialisées soit encore en projet.
Enfin, sur le modèle de l'Institut national du cancer, il faudrait qu'une agence centrale finance les projets de recherche en psychiatrie qui ne représentent que 2,4 % des publications mondiales. Cette situation est en partie liée aux refus de certaines équipes de soumettre leur démarche aux critères d'évaluation des grandes revues internationales, mais elle est surtout due à la sous-dotation persistante de la recherche en psychiatrie qui ne reçoit que 3 % des crédits publics de recherche en santé. Malgré la faiblesse du financement, les publications françaises font référence dans plusieurs domaines, notamment l'autisme.
L'absence de financement de la recherche épidémiologique est la cause du manque de connaissances précises sur les prévalences, les facteurs de risques et même les modalités de prise en charge et leur efficacité.
Comme le dit Marie-Odile Krebs, la recherche en psychiatrie comporte des spécificités : « la recherche en psychiatrie est plus que pour tout autre spécialité nécessairement (i) intégrative : manifestement multifactorielles, les maladies s'expriment par des comportements complexes et seules des approches multi-niveaux (du moléculaire au niveau le plus intégré, individuel et sociétal) permettront de progresser et (ii) translationnelle, pour faciliter le transfert entre la recherche fondamentale - recherche « clinique » : seul espoir d'aboutir à l'innovation thérapeutique et diagnostique, et faciliter le transfert entre la recherche et la pratique clinique : pour améliorer les procédures diagnostiques et thérapeutiques ».
De nouvelles perspectives de diagnostic et de soins s'ouvrent à la psychiatrie. En neuropsychiatrie et en biologie, la recherche de bio-marqueurs permettrait de détecter les fragilités des individus avant l'apparition de symptôme et de mettre en place un suivi pour prévenir le développement de la maladie. La recherche sur les thérapies cognitives pourrait également apporter des évolutions bénéfiques à la prise en charge des malades étant donné les premiers résultats positifs obtenus aux Etats-Unis. Il importe de ne pas mener un seul type de recherche mais de faire progresser les connaissances dans tous les domaines. Le réseau de recherches fondées sur les pratiques psychothérapeutiques, labellisé par l'Inserm, se fixe parmi ses objectifs de « développer une collaboration soutenue entre chercheurs et cliniciens en centrant la recherche évaluative sur des questions cliniques favorisant l'amélioration des pratiques ».
La création d'une instance alliant recherche et soins sur le modèle de l'Institut national du cancer permettrait aux projets innovants d'obtenir les crédits dont ils ont besoin tout en garantissant l'efficacité des sommes allouées.
Il faudrait aussi renforcer la formation continue des pédiatres et des médecins généralistes pour prendre en charge les dépressions et détecter les troubles psychiatriques.
Je propose enfin de mettre en place un observatoire des suicides rattaché à l'Institut de veille sanitaire. D'après une étude de la Drees de septembre 2012, la tendance suicidaire est une problématique importante : au cours des cinq dernières années, 80 % des médecins généralistes ont été confrontés à la tentative de suicide et près de la moitié à un suicide. Le rôle des généralistes dans ce domaine est donc essentiel. L'OMS mène depuis plusieurs années des campagnes de prévention et souligne la situation particulièrement préoccupante en Europe. Des bonnes pratiques existent, comme en Suède, qui reposent sur une meilleure formation des médecins généralistes. Le colloque sur la mortalité due à la crise organisé par France Prévention Suicide et Technologia le 11 février au Sénat a permis de souligner le manque de données épidémiologiques fiables sur les suicides qui sont pourtant nécessaires pour leur prévention.
Ces quelques propositions pourraient améliorer la situation de la psychiatrie et donc celle des malades à l'occasion de la discussion du prochain projet de loi qui nous sera soumis, quel qu'il soit.