Je vous remercie, mes chers collègues, d'assister à notre réunion d'aujourd'hui, même si le Sénat ne reprendra ses travaux en séance publique que la semaine prochaine, le mardi 15 janvier.
Mais c'est précisément le mardi 15 janvier 2013, dans la soirée, que débutera la discussion générale des deux textes relatifs à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires, dont nous allons débattre aujourd'hui.
Je me réjouis que la Conférence des présidents ait bien voulu accorder à notre délégation un temps de parole de dix minutes dans la discussion générale de ces deux textes car ceux-ci ont, parmi leurs objectifs politiques affichés, celui de faire progresser la parité politique dans certaines assemblées locales, même si leurs dispositions vont susciter des débats et ne recueilleront pas nécessairement un avis unanime de la part de nos différentes sensibilités politiques.
C'est pourquoi j'ai souhaité que nous puissions avoir aujourd'hui un échange de vues sur les dispositions proposées par le Gouvernement et modifiées le cas échéant par la commission des Lois du Sénat, de façon à me permettre, si vous en étiez d'accord, de porter aussi fidèlement que possible notre parole commune devant le Sénat.
Les dispositions qui intéressent notre délégation au titre de leur impact sur la parité sont au nombre de quatre. Elles ont trait : au nouveau mode de scrutin, le scrutin binominal, destiné à garantir la parité dans les conseils départementaux ; aux dispositions tendant à garantir la parité pour l'élection des membres de la commission permanente et des vice-présidents des conseils départementaux ; à l'abaissement du seuil de la proportionnelle pour les élections municipales ; à l'élection par « fléchage » des délégués communautaires, à l'occasion des élections municipales.
L'ensemble de ces dispositions sont contenues dans le projet de loi ordinaire n° 166 (2012-2013), le projet de loi organique n° 165 (2012-2013) ayant pour objet de procéder à des coordinations et d'en tirer certaines conséquences dans la partie organique du code électoral.
Je vous rappellerai aussi succinctement que possible les quatre séries de dispositions et leur impact prévisible sur la parité.
Je commencerai par l'élection des conseillers départementaux au scrutin majoritaire binominal.
Les conseillers généraux sont actuellement élus, dans le cadre des cantons, au scrutin majoritaire uninominal à deux tours. C'est un mode de scrutin auquel on reconnaît traditionnellement pour mérite de faciliter l'ancrage territorial des élus. Mais nous savons aussi qu'il ne favorise pas la parité. C'est un point qui avait été rappelé lors de la discussion de la loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010 puisque c'est le mode de scrutin qui avait été alors retenu pour l'élection des conseillers territoriaux.
Actuellement - ce sont les chiffres publiés par l'Observatoire de la parité - les femmes ne représentent que 14 % de l'effectif des conseils généraux et trois départements sont dirigés par un conseil exclusivement masculin.
Pour y remédier, le Gouvernement propose à l'article 2 du projet de loi, de faire élire dans chaque canton du département, deux candidats de sexe différent, qui se présenteraient en binôme de candidats.
Cependant, pour maintenir inchangé l'effectif actuel des conseils généraux, l'article 3 du projet de loi propose de diviser par deux le nombre actuel de cantons.
Ces deux articles devront donc être examinés en regard.
Certes ce dispositif est mathématiquement favorable à la parité, mais son caractère nouveau peut prêter, et a d'ailleurs prêté en commission des lois, à discussion.
Conçu pour favoriser l'objectif d'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux, ce mode de scrutin devrait garantir une parité quasi mathématique dans la mesure où il débouchera, dans chaque canton, sur l'élection de deux candidats de sexe différent.
Il s'inspire d'une recommandation adoptée en juin 2010, à l'unanimité, par la délégation dans le rapport consacré par Michèle André au projet de réforme des collectivités territoriales et, plus particulièrement, au mode de scrutin envisagé pour l'élection des conseillers territoriaux.
Ce rapport avait dressé l'état des lieux suivant : la parité avait beaucoup progressé dans toutes les élections au scrutin proportionnel ; mais surtout elle avait stagné aux élections au scrutin uninominal majoritaire.
Le Conseil constitutionnel allait-il dans ces conditions censurer une loi qui privilégiait pour l'élection des conseillers territoriaux un mode de scrutin - le scrutin uninominal majoritaire à deux tours - majoritairement défavorable à la parité ? C'était peu probable, de l'avis des constitutionnalistes interrogés par la délégation. Le juge constitutionnel avait en effet déjà eu l'occasion de rappeler que le législateur devait conserver une grande latitude dans le choix du mode de scrutin et restait libre de préférer le scrutin majoritaire, même s'il s'avérait, en pratique, défavorable à la parité. On ne pouvait dans ces conditions guère « miser » sur une annulation du dispositif par le Conseil constitutionnel.
Dans une attitude constructive, la délégation, plutôt que de s'opposer au choix effectué par la majorité parlementaire et sénatoriale en faveur du scrutin majoritaire, avait recherché à l'époque un « mécanisme susceptible d'en neutraliser les effets négatifs » sur la parité.
Ce mécanisme, c'était celui de l'élection au scrutin majoritaire, dans le cadre de cantons redécoupés, d'un binôme paritaire constitué de deux candidats de sexe différent et accompagnés de deux remplaçants de sexe différent.
Pour autant, le caractère inédit de ce mode de scrutin n'est pas sans poser des interrogations.
Il est inédit en droit électoral français. Il n'existe d'ailleurs pas d'exemple de mode de scrutin comparable dans aucun autre pays, y compris au Chili, dont le mode de scrutin législatif est parfois évoqué à titre de comparaison.
Sa nouveauté ne réside pas dans l'élection de deux élus mais dans leur solidarité devant le scrutin.
On ne peut, par exemple, le comparer aux élections sénatoriales dans les départements élisant deux ou trois sénateurs où le destin de chaque candidature reste indépendant de celui des autres.
Ici, la solidarité entre les deux membres du binôme reste entière pendant toute la durée des opérations électorales : ils font une déclaration de candidature commune (article 8) ; ils ont un mandataire financier unique et un compte de campagne unique (article 11) ; l'inéligibilité d'un membre du binôme rejaillit automatiquement sur l'élection de l'autre membre, même si celui-ci n'est pas par lui-même inéligible (article 13). Autrement dit, la solidarité du binôme s'étend jusqu'à la phase contentieuse. Et si le scrutin a été vicié, le juge annule l'élection des deux membres du binôme.
Chaque élu a vocation à être remplacé, en cas de décès, démission ou empêchement, par son remplaçant qui est du même sexe.
Des élections partielles ne peuvent être organisées que dans trois cas : en cas d'annulation de l'élection, ou de démission d'office, qui concernent solidairement les deux candidats, ou encore dans le cas où les deux sièges du canton viendraient à être vacants faute de remplaçants ; si cette vacance, en l'absence de remplaçant, ne concerne que l'un des deux mandats, le siège reste non pourvu.
En revanche, une fois élus, les deux conseillers départementaux deviendront indépendants l'un de l'autre. Qu'en sera-t-il dans l'exercice de leur mandat ? Ne risque-t-on pas de retomber dans un partage inégal et sexué des responsabilités ?
Les débats en commission des lois ont soulevé un certain nombre de questions : l'objectif de parité n'aurait-il pas été aussi valablement garanti par le recours au scrutin proportionnel, dont le fonctionnement est mieux connu ? Les deux candidats d'un binôme seront-ils nécessairement de la même sensibilité politique ou la mise en place des binômes donnera-t-elle au contraire à des alliances politiques a priori, c'est-à-dire avant le premier tour de scrutin ? Ce nouveau mode de scrutin sera-t-il neutre par rapport au scrutin uninominal actuel en matière de pluralisme et d'ancrage territorial ?
Ces questions, et surtout la première qui est au coeur de nos préoccupations, reviendront sans doute dans nos débats tout à l'heure.
J'en viens au second dispositif : l'introduction de la parité dans l'élection des membres de la commission permanente et des vice-présidents des conseils généraux.
Aux termes de l'article 14 du projet de loi, les membres de la commission permanente autres que le président sont élus au scrutin de liste et chaque liste doit être composée alternativement d'un candidat de chaque sexe ; les vice-présidents sont également élus au scrutin de liste et sur chaque liste l'écart entre le nombre de candidats de chaque sexe ne peut être supérieur à un.
Ce dispositif transpose à l'élection des exécutifs départementaux les dispositions de la loi du 31 janvier 2007 qui ont permis d'assurer une quasi parité dans les exécutifs régionaux : les femmes, qui ne représentaient que 37,4 % des vice-présidents de conseils régionaux après le renouvellement de 2004, en constituaient 45,4 % au lendemain des élections de 2010.
Il s'agit donc d'un dispositif connu qui a fait ses preuves et que, à ce titre, nous devrions pouvoir approuver sans réserve.
Le troisième dispositif prévoit l'abaissement du seuil de population pour l'élection des conseillers municipaux au scrutin de liste.
Actuellement, les contraintes paritaires ne s'appliquent qu'aux communes de plus de 3 500 habitants. Elles ont facilité une entrée massive des femmes dans les conseils municipaux.
Leur proportion n'était que de 25,7 % dans les conseils municipaux lors des élections de 1995, celle-ci est grimpée à 47,5 % en 2001 puis à 48,5 % au lendemain des élections de 2008 grâce à ces contraintes paritaires.
Dans les communes de moins de 3 500 habitants, l'élection des conseillers municipaux s'effectue au scrutin majoritaire et n'est pas assortie de contraintes paritaires.
Le projet de loi propose, à l'article 16, d'abaisser le seuil du scrutin de liste de 3 500 à 1 000 habitants. L'étude d'impact évalue à 16 000 le nombre de femmes conseillères municipales supplémentaires dont ce dispositif devrait permettre l'élection.
L'abaissement du seuil pour ce mode de scrutin avait déjà été envisagé dans le projet de réforme territoriale proposé par le précédent gouvernement. Dans le dispositif initial, il prévoyait d'abaisser ce seuil à 500 habitants, mais cette mesure n'avait pu être examinée.
Celui-ci semble donc bien faire l'objet, dans son principe, d'un certain consensus politique largement motivé, mais pas exclusivement, par la volonté de favoriser la parité.
La seule question qui peut en revanche susciter un débat réside dans la fixation du seuil : 1 000 habitants, comme le prévoit le projet de loi ou 1 500 ou 500, voire extension à l'ensemble des communes ?
Le quatrième dispositif prévoit l'élection concomitante des conseillers communautaires des EPCI à fiscalité propre et des conseillers municipaux dans le cadre d'un scrutin « fléché ».
L'article 20 du projet de loi prévoit l'élection au suffrage universel des délégués des communes de 1 000 habitants et plus par un système de « fléchage ». Initialement, le projet de loi prévoyait que les sièges des délégués étaient répartis entre les listes et attribués pour chacune d'entre elles, dans l'ordre de présentation des candidats.