Intervention de Christian Cambon

Réunion du 16 janvier 2013 à 15h00
Engagement des forces armées au mali — Lecture d'une déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Christian CambonChristian Cambon :

Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, six jours après la décision du Président de la République d’une intervention militaire au Mali, le Gouvernement engage ce débat en application de l’article 35 de la Constitution.

Nous souhaitons tout d’abord vous faire part de notre satisfaction pour la mise en œuvre de cette disposition constitutionnelle, qui permet l’information la plus précise des parlementaires au moment où nos forces armées sont engagées dans un conflit sensible.

Vous nous avez rappelé, monsieur le ministre, avec précision, la chronologie des faits qui ont conduit à cette décision du Président de la République. Depuis des années, en effet, la présence de mouvements terroristes s’est intimement mêlée à l’ancienne revendication touareg pour aboutir à une double constatation : le Mali a perdu sa souveraineté sur la moitié nord de son territoire ; le Nord-Mali est devenu un véritable sanctuaire pour des djihadistes, cachant sous de prétendues convictions religieuses toutes sortes de trafics et constituant ainsi une très lourde menace pour les pays voisins, pour la France et pour l’Europe tout entière.

Alors que s’organisait avec difficulté la mise en place de la force africaine de stabilisation prévue par la résolution 2085 du Conseil de sécurité, les mouvements djihadistes ont opéré une convergence et se sont mis en mouvement afin d’empêcher la stratégie des Nations unies. Face au peu de résistance opposée par les forces armées maliennes et à l’instabilité politique qui règne au sein du régime malien depuis des mois, le risque était grand d’assister à l’implosion brutale du Mali tout entier et de voir s’installer, au cœur même de l’Afrique, un régime terroriste menaçant l’ensemble du Sahel, une partie du continent africain et, à terme, l’Europe.

Dès lors, c’est à bon droit que le Président de la République a pris la difficile décision d’engager nos forces armées. C’est donc sans ambiguïté que le groupe UMP apporte son soutien à cet engagement.

Par ses liens historiques avec le continent africain, par l’action qu’elle mène au titre de la coopération et du développement, la France se devait de prendre une part prépondérante afin de sauver cet État ami, d’assurer la sécurité des 6 000 Français qui y résident et de poursuivre la recherche inlassable des huit otages français qui, depuis trop longtemps, vivent l’enfer.

À cet instant, notre pensée va d’abord vers eux et vers leurs familles, comme nous pensons aussi, avec tristesse et consternation, au sort qui a été réservé au soldat français tué lors de l’assaut et à Denis Allex, l’otage vraisemblablement assassiné lors de l’opération de sauvetage qui a malheureusement échoué en Somalie.

Notre pensée va aussi vers le lieutenant Damien Boiteux, qui a péri au Mali aux premières heures de l’offensive en s’opposant courageusement à la progression des bandes armées terroristes.

Enfin, nous voulons assurer nos troupes françaises et leurs alliés de notre soutien sans faille et de notre admiration. Les Français doivent savoir que c’est aussi pour leur sécurité que ces femmes et ces hommes se battent. Que nos soldats en soient remerciés !

Si notre approbation vous est acquise, monsieur le ministre, elle n’est cependant ni aveugle ni béate. Elle se veut responsable et lucide. Pour avoir déjà connu l’engagement de nos forces au Liban, en Afghanistan, en Côte d’Ivoire, et en Libye, la France est hélas bien placée pour mesurer tous les risques qui pèsent sur une telle opération ! Le devoir de la représentation nationale à travers ce débat est de vous inviter à ne pas tomber dans le piège malheureusement inhérent au choix courageux que vous avez fait.

Les risques, nous les connaissons, et, lentement, au fil des jours, ils vont apparaître : risques d’enlisement, risque d’isolement, risque, enfin, pour la sécurité même de notre territoire si une solution politique ne vient pas rapidement se substituer au bruit des armes.

Le risque d’enlisement est bien celui qui nous menace le plus : on le constate chaque jour avec inquiétude. C’est une guerre différente qu’il faut livrer. C’est une guerre où la technologie la plus sophistiquée de nos armes peut être chaque jour mise en défaut par les pratiques de guérilla sur un territoire immense que maîtrisent parfaitement ces terroristes. Pour prendre Konna, ils ne sont arrivés ni avec des chars, ni même avec des pick-up, mais en autobus, se mêlant d’abord à la population puis faisant soudain usage de leurs armes. Quel Livre blanc va nous livrer les bonnes solutions, quelles armes décisives vont permettre à nos troupes de débusquer les djihadistes désormais noyés au sein des populations locales ? Et lorsque nous aurons reconquis ces villes et ces villages, qui en assurera ensuite la gouvernance ? La faiblesse ou l’inexistence des autorités locales fait craindre le pire. Certes, il y aura la MISMA, la force africaine de stabilisation. Mais croit-on réellement que des soldats ouest-africains imposeront leur autorité à Kidal, en plein fief touareg ? Et là le risque est grand de voir maintenues pendant longtemps, très longtemps, des forces françaises afin d’empêcher le retour des insurgés.

Nous n’avons pas la capacité de maîtriser dans la durée un territoire plus grand que la France et aussi accidenté que l’Afghanistan. Chacun le sait, cela n’est ni possible, ni même souhaitable. Prenons garde de ne pas nous faire entraîner dans cette voie-là.

Le risque d’isolement n’est pas moindre. La France ne peut pas porter seule toute la lutte contre le terrorisme. Nous n’en avons pas les moyens ni la vocation. La relation de la France avec ses partenaires africains doit être fondée sur le transfert aux Africains de leurs propres dispositifs de sécurité. On en voit malheureusement aujourd’hui les limites.

À l’heure actuelle, nous intervenons ; mais nous intervenons presque seuls. Une fois de plus, l’Union européenne vient de montrer qu’elle n’est pas tout à fait au rendez-vous. L’Europe n’est pas en capacité d’avoir une politique et des moyens d’action communs vis-à-vis du flanc sud du continent. Et nous n’avons visiblement pas converti l’Europe à l’Afrique. Il est vrai que nous recevons de nombreux concours logistiques, des moyens de transport de troupes qui nous font toujours défaut, mais de soldats expérimentés susceptibles de participer activement à cette opération, nous n’en voyons pas venir.

Il faudra en tirer les leçons, d’abord, pour notre propre politique de défense au moment – M. le président de la commission vient de le rappeler – où nous finalisons le Livre blanc. Pour l’Europe ensuite, à quelques jours du cinquantième anniversaire du traité d’amitié franco-allemand : il nous faudra dépasser notre déception et donner enfin une nouvelle ambition à la coopération franco-allemande.

Les États-Unis nous apportent leurs encouragements et un soutien non négligeable pour le renseignement et la logistique. Mais au regard de notre propre engagement à leurs côtés en Afghanistan, est-ce bien suffisant ? L’Algérie, enfin, va peut-être commencer à jouer le rôle essentiel qui doit absolument être le sien. Les nouvelles d’aujourd'hui vont dans le bon sens. Forte d’une armée de 400 000 hommes, elle est en vérité la seule puissance militaire de la région. Fermer ses frontières, autoriser le survol de son territoire, tout cela est utile. Mais on peut s’interroger sur des attitudes ambiguës du passé. Et si la presse algérienne, qui, certes, change de ton, semble redouter des relents de néocolonialisme dans la présence militaire française actuelle au Mali, il faut que l’Algérie, avec l’aide et le soutien de la France, prenne toute sa part dans la résolution de ce conflit, car c’est sa propre stabilité qui est aussi en jeu.

Risque, enfin, d’une absence de solution politique durable. Le bruit des armes n’a qu’un temps. Il faudra très vite que la France et ses partenaires aident le Mali et ses voisins à élaborer une solution politique durable. Celle-ci devra prendre en compte non seulement les revendications anciennes des communautés touareg, mais aussi l’aspiration des populations maliennes à une société plus soucieuse de lutte contre la pauvreté que de luttes politiciennes internes. À défaut d’une telle politique, l’actuelle opération militaire aura été menée pour rien. Et tout recommencera. De surcroît, le terrorisme sera exporté sur le sol français, les djihadistes souhaitant se venger des échecs et des destructions que nous leur faisons subir. Ce qui vient de se passer aujourd'hui même dans le sud de l’Algérie est déjà un signe inquiétant.

Pour notre part, nous ne ferons pas non plus l’économie d’une révision de notre politique de développement vis-à-vis du Mali et des seize autres pays prioritaires en matière de coopération française. C’est en effet sur le terreau du sous-développement que prospèrent les mouvements révolutionnaires, qui proposent l’instauration de toutes sortes de trafics comme seule réponse à la pauvreté.

Le Mali figure parmi les pays les plus pauvres de la planète. L’espérance de vie moyenne y est inférieure de vingt ans à celle des citoyens des pays européens. Un enfant qui naît au Mali a cinquante fois plus de risques de mourir avant cinq ans qu’un petit Français. Or à ne pas considérer les pays d’Afrique subsaharienne comme une priorité absolue dans le domaine de notre aide au développement, de même que toute l’Europe, nous portons une part de responsabilité dans leur désagrégation. Monsieur le ministre chargé du développement, la future loi de programmation sur le développement devra procéder à ce réexamen.

Monsieur le ministre des affaires étrangères, telles sont les raisons pour lesquelles le soutien des membres du groupe UMP à l’intervention de la France au Mali est certes total, mais aussi lucide. Au moment où, hélas ! certaines autres initiatives nationales du Gouvernement ne vont pas dans le sens de l’apaisement

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