Intervention de Jean-Pierre Chevènement

Réunion du 16 janvier 2013 à 15h00
Engagement des forces armées au mali — Lecture d'une déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Jean-Pierre ChevènementJean-Pierre Chevènement :

Je suis moins surpris que d’autres de cette carence.

Par conséquent, l’atteinte du troisième objectif fixé par le Président de la République risque de prendre du temps ; il faut en être conscient. Or la France est engagée. Il vaut donc mieux frapper vite et fort pour dérouter l’adversaire et profiter, autant que faire se peut, de l’effet de surprise. Ne nous laissons pas enliser dans le schéma peu opérationnel, selon moi, initialement prévu. Si les alliances ont un sens, c’est maintenant qu’elles doivent se manifester. En tout état de cause, il faut acheminer des renforts. Il ne faut pas attendre trop longtemps pour occuper les villes du Nord.

Une précaution est toutefois indispensable : nous devons dissocier autant que possible les populations du Nord, Touareg et autres, des éléments terroristes, et en tout cas ne pas les solidariser. Nous devons également éviter au maximum ce qu’on appelle les « dommages collatéraux ». Ne sous-estimons pas non plus la dimension ethnique du conflit. Il y a un problème touareg au Mali, qui ne date pas d’hier puisque nous en sommes à la quatrième rébellion touareg depuis l’indépendance en 1960.

Les autorités de Bamako doivent être fortement incitées à trouver un accord avec le MLNA et avec les éléments égarés d’Ansar Dine qui reprouvent le terrorisme et souhaitent rejoindre le MLNA. L’objectif est la refondation démocratique du Mali. Celle-ci sera d’autant plus facile que le rapport des forces aura évolué au détriment des groupes terroristes. Une certaine autonomie territoriale des provinces du Nord serait alors souhaitable. Je me réjouis que la déclaration gouvernementale ait évoqué ce problème et le souci de le voir abordé dans la feuille de route que va adopter le gouvernement malien.

C’est le cœur des populations qui doit s’exprimer en faveur d’une telle refondation démocratique, au Nord comme au Sud. Nul ne peut ignorer que la répression des précédentes rébellions n’a pas laissé de bons souvenirs aux populations du Nord. Les ressentiments existants n’excusent cependant en aucune manière le massacre récent et sauvage de soldats maliens.

Le problème touareg n’est pas propre au Mali. Les Touareg, environ un million de personnes, sont dispersés entre, au moins, six États : le Mali, le Niger, le Burkina Faso, le Nigeria, l’Algérie et la Libye. Ils sont mêlés à d’autres ethnies, telles que les Bérabiches ou Chaambi, qui sont arabes, mais aussi les Soninkés, les Peuls, les Bambaras, etc.

Je doute, pour ma part, que les villes du Nord puissent être reprises sans l’appoint substantiel de militaires français. Au fond, plus que « le coup d’après » et le « billet de retour » de nos soldats, c’est le temps qui est problématique dans ces espaces immenses, qui vont de l’Atlantique à la Mer Rouge, battus non seulement par les vents de sable, mais aussi par le vent des contestations, fondamentalistes et autres, venues du fond de l’histoire, bien avant la colonisation.

Les frontières qu’ont tracées nos officiers, voilà à peine un siècle, n’ont pas encore été pleinement intériorisées par ces populations, même si la loi internationale, celle de l’ONU et celle de l’Union africaine, leur confère, à juste titre, un caractère d’intangibilité. Les tribus touareg, par exemple, se connaissent et s’interpénètrent par-delà les frontières.

Quoi qu’il en soit, la communauté internationale devra financer et mettre en œuvre un vaste plan de développement du Sahel. L’Union européenne pourrait montrer son utilité dans cette affaire.

Pour mettre avec nous le temps, nous avons, dans cette région du monde, un allié : l’Algérie. Il faut le dire, car cela n’a pas été assez souligné à mon sens.

Il s’agit du seul grand État de la région sahélienne – je mets à part le Maroc, situé plus à l’ouest –, les autres États étant fragiles, y compris le Nigeria, rongé par un mouvement djihadiste, le Boko Haram. On ne peut concevoir la paix et la stabilité de cette immense région sans l’Algérie, dont l’armée, soit dit en passant, dépasse les 300 000 hommes. Ce pays a lui-même dû faire face, dans les années 1990, à la terreur islamiste. Il a payé un lourd tribut au djihadisme. En ce moment même, ses soldats doivent faire face, à In Amenas, à une tentative d’enlèvement concernant des ressortissants français, japonais, mais aussi britanniques et norvégiens.

J’entends s’exprimer, ici et là, des réserves, des critiques, laissant entendre que les terroristes auraient pu s’approvisionner en essence en Algérie. Quiconque connaît le terrain sait qu’il est très difficile de contrôler les trafics d’essence à toutes les frontières de l’Algérie, du Maroc à la Tunisie. Telle est la réalité.

L’Algérie, qui privilégie la voie d’un isolement des groupes terroristes, a choisi clairement de fermer sa frontière avec le Mali, longue de 1 200 kilomètres. Elle a de surcroît autorisé le survol de son territoire par les avions français. Bref, dans la lutte contre le terrorisme, l’Algérie et la France combattent côte à côte.

Au moment où le Président de la République, François Hollande, vient de déclarer, à Alger, le 20 décembre 2012, devant les deux chambres du Parlement algérien, vouloir « ouvrir une nouvelle page dans les relations entre la France et l’Algérie », il ne faudrait pas que ceux qui ne sont pas encore tout à fait résolus à tourner la page empêchent par myopie la construction au Sahel, avec tous les pays riverains, d’un espace pacifique et stable, durablement purgé du terrorisme, lequel n’apporterait que malheur à la population de ces régions.

Monsieur le ministre des affaires étrangères, nous comptons sur le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, sous l’autorité du Président de la République, pour bâtir un avenir partagé entre la France, l’Algérie et les pays africains amis. Cette vision politique est nécessaire pour résoudre les immenses problèmes qui se posent aujourd’hui à cette région, à commencer par celui de sa sécurité.

Nous faisons confiance au Gouvernement, et à vous-même particulièrement, pour mettre en œuvre les médiations nécessaires, tisser les alliances, coordonner l’effort. Certes, il s’agit d’une tâche gigantesque, mais le soutien du pays tout entier ne vous fera pas défaut si cet effort lui est convenablement expliqué dans toutes ses dimensions, comme nous n’en doutons pas vous concernant et comme nous y encourageons, d’ailleurs, l’ensemble du Gouvernement. §

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